Et si la politique de la Fed servait celle de Donald Trump ?

Publié le 21 septembre 2018 à 17h22

Anton Brender

Lorsque Jerome Powell a été nommé à la tête de la Réserve fédérale, des voix n’ont pas manqué de s’élever pour mettre en doute sa future indépendance : appelé par Donald Trump à prendre la place de Janet Yellen qui, au dire du Président lui-même, n’avait pourtant pas démérité, le nouveau Chairman n’allait-il pas devenir son obligé ? L’été nous aura sur ce point rassuré. Le Président Trump n’a pu s’empêcher, chose rarissime, de critiquer explicitement la politique de la Banque centrale américaine, lui reprochant de défaire ce qu’il tentait de faire.

En montant graduellement ses taux, la Fed cherche effectivement à freiner une économie que la Maison-Blanche a voulu stimuler par des baisses d’impôts et une hausse des dépenses budgétaires. Rassurant sur l’indépendance de la Fed, le propos du Président américain confirmait toutefois une réalité inquiétante : ce dernier ne comprend clairement pas comment fonctionne l’économie qu’il prétend revigorer par sa politique. Pousser, par le budget, les feux d’une économie proche du plein emploi doit, normalement, conduire à des taux plus élevés… et, subsidiairement, à un surcroît d’endettement public.

Jerome Powell, n’est toutefois pas seulement indépendant. Sa parabole sur la «navigation aux étoiles» – utilisée à Jackson Hole pour illustrer l’incertitude qui entoure les repères sur lesquels s’appuie la conduite de la politique monétaire – montre qu’il a fait sienne la manière dont ses prédécesseurs ont, depuis trois décennies maintenant, appris à gérer les risques qui en découlent. En montant graduellement les taux, comme elle le fait depuis maintenant presque deux ans, la Réserve fédérale s’assure contre le risque d’être prise de court par une montée soudaine de l’inflation. Son resserrement monétaire a d’ores et déjà commencé à produire ses effets : en freinant l’investissement résidentiel et les ventes de voitures, il contribue à ralentir la croissance de l’activité. Et si demain les tensions inflationnistes devenaient inquiétantes, la Réserve fédérale a de bonnes chances de pouvoir les maîtriser sans avoir à monter brutalement ses taux, ce qui risquerait de provoquer une récession.

En même temps, le freinage engagé, parce qu’il est progressif, n’a pas empêché l’économie de croître à un rythme soutenu, inférieur certes aux 4 %, voire 6 %, promis par Donald Trump, mais nettement supérieur aux 2 % considérés comme étant son rythme de croissance potentielle. La Fed tente ainsi de ne pas mettre fin prématurément à une expansion dont elle n’est pas sûre qu’elle ait porté l’économie aux limites du plein emploi. Certes, le taux de chômage est pratiquement sur un plus bas historique, mais on ne peut exclure qu’il surestime l’état de tension du marché du travail. Le taux d’emploi du cœur de la population active – les 25-54 ans – reste, lui, encore inférieur aux plus hauts observés par le passé et, si le rythme de hausse des salaires accélère bien, il n’en est pas moins, lui aussi, inférieur à ce que laisserait attendre un taux de chômage proche, depuis maintenant un an, de 4 %.

La politique de Jerome Powell se situe clairement dans le prolongement de celle envisagée par Janet Yellen. En se prémunissant contre les risques d’une inflation qui surprendrait à la hausse, elle vise à explorer les limites du plein emploi. On constate ainsi mois après mois que la «pression» élevée à laquelle est soumise l’économie fait progressivement revenir sur le marché du travail des personnes qui s’en étaient retirées. Et rien ne permet d’exclure, comme l’envisageait la Chairwoman, que demain le rythme des gains de productivité, toujours étonnement faible, n’accélère quelque peu. On notera d’ailleurs, sur ce point, le salut de Jerome Powell à l’intuition d’Alan Greenspan qui, au milieu des années 1990, a fait le pari d’une telle accélération : l’économie américaine a alors crû pendant plusieurs années nettement plus vite qu’on ne l’attendait, sans que des tensions inflationnistes ne se manifestent. Pour qu’il en aille à nouveau ainsi, il faudrait toutefois que l’effort d’investissement des entreprises contribue plus à augmenter la productivité des travailleurs américains. Or c’est précisément ce que l’incertitude introduite par la politique commerciale de Donald Trump risque de contrarier. A mieux y regarder, la politique de la Réserve fédérale, loin d’aller à l’encontre de ce que le Président recherche, est celle qui lui laisse le plus de chances d’y parvenir… Pourvu seulement qu’il cesse de défaire d’une main ce qu’il fait de l’autre !

Anton Brender

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