La BCE à un tournant de son histoire

Publié le 27 octobre 2017 à 10h07    Mis à jour le 27 octobre 2017 à 14h54

Anton Brender

Avec le recul, l’annonce par la BCE de l’arrêt progressif de son programme d’achats de titres apparaîtra certainement comme une date charnière de son histoire. Elle met fin à une décennie pendant laquelle la jeune Banque centrale européenne a inventé, à jet presque continu, des mesures visant à pallier les conséquences, d’abord de la grande crise financière, puis de celle des dettes souveraines. Dans un premier temps, elle a volé au secours de son système bancaire vite tétanisé par l’onde de choc de la «crise des subprimes». Elle a ensuite continué d’interposer son bilan entre celui des banques de la zone euro, cette fois en réponse à la défiance provoquée par une crise née en Grèce mais rapidement devenue européenne. Les dissensions entre gouvernements et la pression des marchés ayant fini par menacer la survie même de l’euro l’ont forcé alors à innover de manière plus radicale encore. Enfin, les tensions s’apaisant, elle a dû, par sa seule politique, faire repartir une activité déprimée par cette succession de chocs… et des politiques budgétaires devenues trop tôt restrictives.

La fin annoncée du QE est ainsi celle d’une longue période pendant laquelle la Banque centrale a mené une politique monétaire de détresse. La reprise de l’activité qui s’étend maintenant à l’ensemble des pays européens justifie pleinement qu’elle y mette un terme. La baisse de l’euro et celle du prix du pétrole en 2014, jointe à des taux à long terme proches de zéro, ont fini par ranimer la conjoncture européenne : dans presque tous les pays de la zone, l’emploi progresse maintenant suffisamment vite pour que le chômage baisse. Et, au niveau de la zone prise dans son ensemble, le crédit croît à un rythme proche de celui des revenus. Les effets secondaires de cette progression du crédit ont toutefois commencé à se manifester : en Allemagne, en particulier, l’endettement des ménages augmente maintenant plus vite que jamais depuis la naissance de l’euro et, avec lui, les prix immobiliers. Revenir à une politique monétaire plus normale semble donc naturel : continuer d’écraser, par des achats de titres et le maintien de taux de dépôts négatifs, l’ensemble de la courbe des taux d’intérêt risque d’amener plus de problèmes que de résultats !

Que la BCE engage cette normalisation alors même que son objectif d’inflation n’est pas atteint peut bien sûr surprendre. La stabilité des prix, définie par un taux d’inflation proche de – mais inférieur à – 2 %, est en effet sa priorité et cela fait de longues années qu’elle n’a pas réussi à maintenir l’inflation à ce rythme. Le retour de la croissance était toutefois un préalable à toute accélération de l’inflation et c’est bien la volonté de le provoquer qui, à un moment où l’activité était désespérément déprimée, a justifié le recours à des instruments inhabituels. Une fois la reprise enclenchée, une fois les limites des instruments utilisés visibles, maintenir une politique de détresse ne se justifie plus. D’autant qu’une inflation inférieure à 2 % est aujourd’hui loin d’être un problème : tant que le chômage est trop élevé pour permettre aux salaires de monter plus vite, plus d’inflation ne peut que freiner la dépense des ménages et, avec elle, l’activité. Si la BCE réduit lentement l’effort qu’elle a fait pour écarter le risque de déflation, la reprise engagée n’a aucune raison d’avorter et, la baisse du chômage se poursuivant, les prix finiront bien par monter un peu plus vite.

Certains considèrent toutefois la crédibilité même de la BCE en jeu : en acceptant de manquer continuellement son objectif, elle minerait la confiance que les agents économiques ont en sa capacité à tenir parole. En mettant un terme à sa politique de quantitative easing, la BCE ne dit toutefois pas qu’elle renonce à atteindre son objectif d’inflation, mais seulement qu’elle pense l’élan donné à la reprise suffisant pour que le chômage continue de baisser, même si les taux à long terme sont un peu plus élevés. En outre, les années qui viennent de s’écouler auront montré aux populations des pays de l’euro que leur Banque centrale était capable, pour respecter pleinement son mandat, de faire preuve d’invention et de détermination. En défendant l’intégrité de l’euro, en cherchant à tout prix à relancer la croissance, la BCE aura considérablement accru son capital de crédibilité politique. Cela compense largement les doutes qui pourraient naître sur sa capacité à faire remonter l’inflation à 2 % !

Anton Brender

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