La France, laboratoire du macro-prudentiel

Publié le 2 février 2018 à 15h59

Gilles Moëc

Avec le débat sur la normalisation de la politique monétaire de la BCE, la question de la divergence au sein de la zone euro va sans doute également ressurgir. C’est une interrogation légitime – sans les achats de la BCE, les conditions de taux en Italie par exemple pourraient redevenir problématiques pour une économie convalescente – mais pour nous, l’angle français est tout aussi intéressant.

En effet, la France se trouve dans une configuration très spécifique. L’inflation y est toujours très faible (et plus faible que dans la zone euro), ce qui militerait pour une poursuite du stimulus monétaire. Mais la France est aussi le seul grand pays de la zone euro où l’endettement des entreprises a continué de progresser pendant la crise jusqu’à atteindre des niveaux records, ce qui suggère que les taux d’intérêt sont maintenant trop bas. La solution se trouve dans le domaine macro-prudentiel, c’est-à-dire dans l’utilisation de la régulation financière pour maîtriser l’emballement de la dette. La Banque de France a commencé à y recourir. La France pourrait être un laboratoire pour l’ensemble de la zone euro, l’utilisation des instruments macro-prudentiels permettant un retrait très graduel du stimulus monétaire tout en gérant la possible apparition de «bulles».

La croissance est de retour en France, et pourtant l’inflation y est toujours très basse (0,6 % pour le sous-jacent en décembre). Il faut y voir, au-delà des facteurs globaux, l’effet du déficit de croissance accumulé depuis 2008. Même avec une hausse annualisée du PIB qui dépasse 2 % depuis fin 2016, l’output gap français reste élevé (il est supérieur à celui de la zone euro pour la Commission européenne comme pour l’OCDE). Certes, certains signes de contraintes d’offre apparaissent, comme l’augmentation rapide des difficultés de recrutement. Mais si l’économie française était en surchauffe, cette «pénurie de bras» se traduirait par des augmentations de salaires. Or, sur ce front, rien ne bouge.

Il y a en France à la fois inadéquation de l’offre à la demande de travail et détérioration de la qualité des emplois. Les entreprises ne trouvent pas facilement de main-d’œuvre qualifiée, mais offrent en même temps beaucoup d’emplois précaires. Le nombre d’emplois rapporté à la population en âge de travailler atteignait en 2017 65 %, un record, mais si l’on ne prend en compte que les CDI à temps complet, alors le taux d’emploi est à 3 points au-dessous de son pic de 2008. Ces «nouveaux emplois» – temps partiel, CDD – ont un pouvoir de négociation limité, contribuant à la faible inflation.

C’est pour cela que, même si la politique de la BCE n’était déterminée que par l’évolution française, un haut niveau de stimulus monétaire serait nécessaire. Le «point d’ébullition» auquel les pressions inflationnistes reviennent n’est pas encore atteint.

En revanche, les comportements financiers peuvent inquiéter. La dette des entreprises françaises atteignait 168 % du PIB en 2016, contre 141 % en 2007. La France fait le chemin inverse des pays périphériques : dans le même temps, l’Espagne a fait baisser sa dette corporate de 187 % du PIB à 138 %. La comparaison n’est pas évidente (la dette espagnole était concentrée dans la construction et les entreprises françaises ont des réserves de cash importantes) mais cet emballement reste toutefois problématique. La vulnérabilité ne tient pas tant au risque d’une remontée des taux d’intérêt – la normalisation de la politique monétaire sera sans doute très graduelle – qu’à la possibilité que l’économie française réponde à tout choc de demande par une contraction brutale de son endettement, ce qui aurait pour conséquence d’en accentuer les répercussions pour l’économie. Les ralentissements cycliques faisant suite à des épisodes de surendettement sont particulièrement longs à résorber. C’est là qu’interviennent les instruments macro-prudentiels. En décembre, la Banque de France a proposé un plafond de 5 % des fonds propres sur les engagements pris par les banques sur une seule entreprise. Le gouverneur de la BdF a également annoncé un durcissement du ratio de capital en cas de poursuite du cycle de crédit.

Certes, le macro-prudentiel est une arme difficile à manier – elle peut figer les positions concurrentielles et engendrer une «course-poursuite» entre superviseur et supervisé – mais la politique monétaire elle aussi est un instrument trop généraliste pour gérer les emballements de crédit. La BCE a une boussole, le retour à la stabilité des prix. L’apparition de bulles ne peut suffire à justifier un durcissement. D’autres instruments existent pour cela.

Gilles Moëc Chef économiste ,  AXA

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