Politique budgétaire : le difficile retour

Publié le 25 janvier 2019 à 11h47    Mis à jour le 25 janvier 2019 à 16h55

Gilles Moëc

Idéalement, la politique monétaire devrait commencer à se normaliser au moment où une reprise robuste s’est enracinée, même si l’accélération de l’inflation n’est pas encore patente. C’est ce qui s’est produit aux Etats-Unis, où la Fed dispose aujourd’hui d’une «réserve» pour soutenir la croissance en cas d’accident.

La situation européenne est aux antipodes : la BCE a mis fin au QE au moment même où la reprise exceptionnelle de 2017 s’est retournée : même si de nombreux chocs temporaires dans l’automobile par exemple ont exagérément tiré les données vers le bas, l’économie européenne est depuis l’été en quasi-stagnation, essentiellement sous l’effet de la faiblesse du cycle mondial. Les risques à court terme abondent, comme l’intensification de la «guerre commerciale» ou le Brexit.

La BCE va continuer à rassurer mais les contraintes politiques sont telles qu’à ce stade, seules des demi-mesures sont envisageables, comme un nouveau round d’injections de liquidités à long terme (LTRO). En l’absence de rebond dans les mois qui viennent, c’est probablement à la politique budgétaire que reviendra la mission difficile de soutenir la conjoncture européenne.

La meilleure mesure du rôle de la politique budgétaire dans le réglage conjoncturel est le «fiscal stance», la variation sur un an du solde budgétaire corrigé du cycle. Après un assouplissement massif au plus fort de la Grande Récession (3 points de PIB de 2007 à 2010 d’après la Commission), la conversion à l’austérité a ensuite contribué puissamment à la rechute de 2012 (4 points de durcissement de 2010 à 2014). Mais depuis 2015 le stance a été neutre, la politique budgétaire ne freinant ni n’accélérant la croissance. 2019 va marquer le retour au stimulus.

En dépit de sa préférence pour une prudence budgétaire extrême, l’Allemagne va assouplir son «stance» de 1 % du PIB cette année. Cela ne tient pas à une volonté de compenser la faiblesse des exportations : la décision de dépenser une partie du surplus a été prise dès l’été dernier pour des raisons d’équilibre politique au sein de la coalition. Ce point de PIB tombe toutefois à pic. La France avait décidé de maintenir une orientation budgétaire neutre jusqu’à ce que la crise des gilets jaunes la contraigne à une injection d’environ 0,5 % du PIB. Là aussi le réglage conjoncturel n’est pas la justification de l’assouplissement budgétaire, mais celui-ci va intervenir au bon moment.

Il ne faut toutefois pas surestimer l’effet de ces politiques de relance. La totalité de ces injections ne sera pas dépensée. En Allemagne, l’impact de l’assouplissement du «fiscal stance» pourrait soutenir la croissance à hauteur de 0,5 à 0,7 %. Cela compenserait l’effet direct du ralentissement de la demande chinoise observé jusqu’à présent – la contribution des exportations vers la Chine à la croissance du PIB allemand est passée de 0,6 % au pic de 2017 à zéro – mais serait insuffisant si d’autres risques se matérialisent (par exemple si des droits de douane étaient levés sur les importations d’automobiles allemandes par les Etats-Unis).

D’autres pays font face à des difficultés politiques à mettre en place des mesures de relance : en Espagne, le gouvernement est minoritaire au Parlement, en Belgique il est en «affaires courantes» jusqu’aux élections de mai. Enfin, le cas de l’Italie met en évidence les limites financières et institutionnelles de ces politiques de relance : sous pression de la Commission européenne et des marchés, Rome a renoncé à un stimulus de 1 % du PIB (nous l’estimons pour 2019 a environ 0,2 %).

Il est sans doute impossible, dans l’urgence, de mettre en place les instruments mutualisés qui s’imposeraient – et que la France a proposés l’année dernière. Une relance non coordonnée est sans doute inévitable, avec les risques qu’elle comprend : la pression de l’opinion publique pour davantage de soutien budgétaire va s’ajouter aux tensions politiques déjà fortes à l’intérieur des Etats membres et entre eux (l’Allemagne sera sûrement appelée à faire plus). Ces tensions, dans le contexte d’arrêt du QE, pourraient conduire à un écartement des spreads.

Il reste sans doute à réfléchir à une politique du «moindre mal». Selon nous elle consisterait à se focaliser sur la qualité des mesures de relance, en s’assurant qu’au moins elles n’entrent pas en contradiction avec le soutien à la croissance potentielle. L’exemple français est positif de ce point de vue : la grande majorité du paquet annoncé en décembre constitue des incitations au travail. Il ne s’agit pas de hausses de transferts sociaux sans contrepartie. C’est sur ces points, plus que dans une résistance à la relance elle-même qui nous semble futile, que les institutions européennes devraient insister.

Gilles Moëc Chef économiste ,  AXA

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