Zone euro : retour au labyrinthe

Publié le 8 juin 2018 à 10h08    Mis à jour le 8 juin 2018 à 17h23

Gilles Moëc

Même si les données sont en général décevantes depuis quelques mois, la croissance dans la zone euro continue d’excéder le potentiel et rien ne laisse présager la fin du cycle de reprise engagé en 2014. Pour autant, tout sentiment de confort serait malvenu. En effet, à la différence des Etats-Unis, la zone euro ne dispose d’aucun mécanisme de réglage conjoncturel en cas d’accident. L’Union monétaire était une construction intrinsèquement fragile avant les interventions décisives de Mario Draghi. Elle l’est toujours, alors même que la capacité d’intervention de la Banque centrale est maintenant proche de zéro.

La puissance du programme de quantitative easing (QE) mis en place par la BCE depuis 2015 réside en grande partie dans son caractère «ouvert» : l’institution monétaire a toujours maintenu que cet instrument resterait utilisé tant que l’inflation ne montrerait pas de signe décisif de convergence vers la stabilité des prix. Cette assurance est pourtant mise en question. L’inflation reste très loin de l’objectif (proche de 2 %) si l’on élimine les effets transitoires liés aux cours du pétrole, alors que le programme d’achat se heurte à une contrainte d’offre. Il n’y a plus assez de titres à acheter si la Banque centrale veut respecter les limites qu’elle s’est elle-même données (ne pas acheter plus de 33 % de la dette d’un émetteur, respecter la «clé de capital» dans la répartition des achats par pays). Repousser ces limites est bien sûr possible, mais elles sont d’une nature plus politique que technique, et les dernières nouvelles en provenance d’Italie rendent une telle décision virtuellement impossible, selon nous.

En effet, l’action de la BCE s’inscrit dans un contrat implicite avec les Etats membres. En échange du soutien monétaire, les gouvernements mènent des politiques budgétaires prudentes et lancent des réformes structurelles. C’est précisément contre ce «consensus de Bruxelles» que le nouveau gouvernement italien se construit. Continuer à acheter des titres d’Etat au-delà de la fin de cette année serait sans doute considéré par les «pays du cœur», l’Allemagne en particulier, comme une incitation pour l’Italie à se comporter en «passager clandestin».

L’espoir de la BCE, au début du QE, était que la fin du programme coïnciderait avec une croissance nominale suffisante des pays fragiles pour que les questions de soutenabilité de la dette ne se posent pas. La croissance du PIB en volume est effectivement au rendez-vous, mais l’inflation reste en deçà des espérances et, surtout, le maintien d’excédents primaires substantiels en Italie est maintenant en suspens.

Progresser vers une union monétaire plus complète, avec l’Union bancaire et les premières étapes d’une intégration budgétaire, était un autre versant du contrat implicite avec la BCE. La garantie européenne des dépôts continue à achopper sur le préalable posé par l’Allemagne d’un nettoyage des bilans bancaires dans la périphérie. Or le nouveau gouvernement italien va probablement résister. Sur l’intégration budgétaire, un autre préalable est posé outre-Rhin : qu’un système de restructuration des dettes souveraines soit mis en place. Remettre la question d’un défaut, même hypothétique, d’un Etat membre sur le tapis, au moment même où le filet de sécurité du QE disparaît et où un gouvernement populiste accède au pouvoir à Rome est pour le moins «peu opportun».

Il n’existe donc aujourd’hui aucun mécanisme de solidarité «préventif» à disposition de la zone euro, au moment où l’arsenal de la BCE est vide. Ce qui reste, la solidarité «corrective» de l’OMT (programme d'achat de dettes souveraines d’un pays en faisant la demande) ne peut être déclenchée sans coût politique majeur pour le pays qui la demande. Les dégâts en termes de prix d’actifs et de croissance seraient sans doute substantiels avant qu’un Etat membre se résolve à y avoir recours.

Il reste une solution «en creux» : repousser le plus possible la hausse des taux directeurs, mais l’Europe est dépourvue de moyens d’action directs sur sa conjoncture, alors qu’elle est dépendante du reste du monde pour la poursuite de son expansion. La rançon d’un excédent courant structurel, c’est une forte sensibilité à la demande mondiale et aux tentations protectionnistes apparues aux Etats-Unis. Il y a six mois, la zone euro voguait sur des eaux calmes et pouvait se permettre de ne pas penser aux chocs futurs. Aujourd’hui, des risques sont apparus, mais la configuration politique rend la réponse à la matérialisation de ces risques malaisée. L’Europe a besoin de chance. Elle commence à en manquer.

Gilles Moëc Chef économiste ,  AXA

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