L'analyse de Jean-François Boulier

Quelles ont été les conditions politiques du développement économique des pays africains ?

Publié le 10 juillet 2020 à 10h38

Jean-François Boulier

L’essor économique d’un pays ou d’un continent implique l’établissement de conditions politiques et financières favorables. Alors que les pays émergents ont connu des trajectoires diverses en la matière, un groupe de chercheurs vient d’analyser les facteurs ayant soit favorisé, soit pénalisé le développement de 25 Etats africains sur une période de plus de 20 ans.

Dans un article intitulé «How Do Institutional Framework Shape Financial Development in Developing Countries ?», un groupe de chercheurs franco-africains (Mohamed Sahbi Nakhli, Brahim Gaies, Khaled Guesmi et Jean-Yves Moisseron) tente d’élucider les facteurs favorisant le développement économique dans les pays du continent africain. Leur analyse porte sur la période de 1984 à 2017. Vingt-cinq pays sont étudiés, parmi lesquels l’Algérie, le Zimbabwe, l’Egypte ou encore le Burkina Faso.

Des modèles économétriques sophistiqués

Pour apprécier l’essor économique de ces Etats, les auteurs ont choisi d’étudier la croissance du crédit aux acteurs privés, particuliers et entreprises. Ces données sont issues des statistiques publiées par la Banque mondiale. Les chercheurs ont également retenu dans leur grille d’analyse des indicateurs comme la croissance et l’ouverture commerciale. Afin de qualifier la qualité du cadre institutionnel, ils utilisent les indicateurs de «Political Risk Services» établis par PRS Group, qui évaluent notamment le degré de contrôle de la corruption, la responsabilité des gouvernants, leur stabilité, la sécurité légale des investissements ainsi qu’une mesure du climat social. Techniquement, leur méthode s’appuie sur des modèles économétriques sophistiqués, notamment ceux de «co-intégration à correction d’erreur». Sur la base de données trimestrielles, ces modèles estiment les tendances communes de long terme, puis la variation correctrice de court terme pendant quatre trimestres. L’originalité de cette analyse réside dans le fait qu’elle porte sur l’ensemble des pays simultanément, ce qui atténue les facteurs spécifiques de tel ou tel pays.

La bonne gouvernance, thème consensuel parmi les investisseurs

Leurs résultats confirment des intuitions courantes, mais contredisent certaines idées reçues. Sans surprise, un meilleur contrôle de la corruption constitue un facteur positif, tout comme la stabilité politique. Mais le facteur ayant le plus d’impact positif concerne la responsabilité politique des gouvernants. Il vise à mesurer leur implication et leur aptitude à traiter les problèmes des populations. De façon plus surprenante, l’influence de l’indicateur social est négative, ce qui tend à montrer que lorsque la paix sociale est «achetée», son coût se traduit par un moindre développement. Cet ensemble de résultats spécifiques à une période et à un continent tend à confirmer les dangers liés aux dérives du clientélisme et de la corruption.

Les sujets de gouvernance font partie des thèmes extra-financiers parmi les plus consensuels entre les investisseurs américains et européens et font l’objet de nombreuses études. Or la plupart de celles-ci mériteraient d’être davantage développées avec l’utilisation d’indicateurs plus variés. C’est justement ce que sont parvenus à faire Mohamed Sahbi Nakhli, Brahim Gaies, Khaled Guesmi et Jean-Yves Moisseron. Autre aspect intéressant de leur travail de recherche, les influences de court terme, ici trimestrielles, sont assez peu représentatives des tendances longues et obscurcissent l’analyse. Il faut en effet du temps pour que s’installe la confiance, que se développe l’investissement et que se diffusent les bonnes pratiques. Face à ce constat, les méthodes statistiques doivent donc être en mesure de discerner les différences temporelles. 

Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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