Quels effets attendre d’une politique d’engagement en matière d’ESG ?

Publié le 12 octobre 2018 à 17h42

Jean-François Boulier

L’engagement ESG des actionnaires institutionnels progresse régulièrement grâce à une prise de conscience de la part des investisseurs et à la diffusion de codes de bonnes pratiques. Par ailleurs, quelques activistes défraient régulièrement la chronique en s’attaquant à des entreprises, parfois très grandes ou ayant des marques très connues, et donnent ainsi une grande visibilité médiatique à leurs requêtes. Mais de telles actions débouchent-elles sur des effets concrets ? Un article récemment publié par un groupe de chercheurs offre des éléments de réponse.

Les actions ESG (environmental, social and governance) deviennent partie intégrante de l’approche d’un nombre croissant d’investisseurs. Mais sont-elles véritablement suivies d’effet ? Ont-elles, par exemple, une incidence sur les performances boursières des titres concernés ? La perception des entreprises ciblées par le marché s’en trouve-t-elle modifiée ? Dans leur article «Shareholder engagement on environmental, social, and governance performance» (octobre 2018), un groupe de chercheurs, Tamas Barko, Martijn Cremers et Luc Renneboog, analyse la politique d’engagement d’un asset manager européen de taille moyenne (380 milliards d’euros d’actifs sous gestion), sur une période de plus de 13 ans. L’activisme actionnarial a porté pendant cette période sur plus de 600 entreprises de 50 pays, au travers de 847 dossiers finalisés en moyenne pendant 530 jours.

Tous les dossiers n’aboutissent pas au résultat visé par l’activiste, car 40 % ne sont pas couronnés de succès. Mais les requêtes de gouvernance ont le plus fort taux de réussite. L’étude détaillée des dossiers montre que cet activiste tend à privilégier des entreprises de grande taille, dont les titres sont plus liquides, ayant une large part de marché et suivies par de nombreux analystes financiers. Ce sont donc plutôt des entreprises très visibles. Le succès des dossiers est d’autant plus élevé que les demandes faites par l’activiste restent modérées et que l’entreprise a une relation suivie avec lui.

Dans ce cas particulier, il apparaît que les dossiers couronnés de succès sont aussi plus performants sur le plan boursier, de l’ordre de 2 % par an par rapport à l’univers des titres correspondants, et de l’ordre de 4 % quand leur rating ESG se situe dans le quart le moins bon. Les entreprises dont les dossiers se sont soldés positivement ont aussi une plus forte croissance de leurs ventes mais ne voient pas leurs profits augmenter plus que celui des autres entreprises. De plus, les notations ESG des entreprises cibles ont tendance à être réajustées après les actions engagées, surtout les meilleures et les moins bonnes.

Une hirondelle ne fait pas le printemps, dit le proverbe. Mais cet exemple montre combien une politique régulière et assez intense peut produire des effets tout à fait substantiels. On ne peut certes écarter des coïncidences de toutes sortes mais, sur la base d’une période aussi longue et sur un nombre aussi important de cas, la preuve de l’efficacité est bien là, sans actions, par ailleurs, particulièrement fracassantes comme celles auxquelles recourent certains hedge funds.

En effet, et on peut le regretter, ce sont les requêtes les plus modérées qui ont le plus de chance d’aboutir. Il y a donc semble-t-il des effets de perception, à la fois sur le profil ESG de l’entreprise et la valorisation de son titre. Mais indubitablement, dans ce cas, l’investissement dans une équipe spécialisée en engagement d’actionnariat a été payant pour les porteurs et également les entreprises.

Ces études sont rendues possibles parce que les données de l’activité de cet asset manager ont pu être communiquées et analysées par des chercheurs indépendants. Il y a peut-être un biais ici, car si le taux de succès avait été plus faible, ces données n’auraient peut-être pas été communiquées. Il faut également saluer cet effort européen sur un terrain très porteur. L’analyse des comportements des acteurs financiers reste incontournable pour éviter les fausses bonnes idées ou les illusions trop naïves. Saluons les efforts qui payent !

Mots clés Etude
Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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