L'analyse de Jean-François Boulier

Réforme des retraites : le rôle central de l’éducation financière

Publié le 29 mai 2020 à 10h30

Jean-François Boulier

Alors que l’exécutif français a annoncé au début de la crise du Covid-19 la suspension de sa réforme des retraites, un tel projet reste d’actualité dans d’autres pays. Dans une récente étude, une ancienne ministre italienne des Affaires sociales tente d’identifier les facteurs de nature à favoriser la réélection des dirigeants politiques ayant mis en place de telles réformes structurelles.

Les réformes des régimes de retraite sont particulièrement délicates dans tous les régimes démocratiques, comme ont pu le rappeler notamment les grèves de fin 2019-début 2020 en France. Un rapide coup d’œil montre pourtant que de telles réformes sont pratiquement partout à l’ordre du jour. De quoi laisser présager de lourdes défaites électorales pour les dirigeants ayant adopté de telles mesures, nécessaires mais souvent impopulaires ?

Dans un article intitulé «Voting in the aftermath of a pension reform : the role of financial literacy», Elsa Fornero et Anna Lo Prete, une de ses collègues de l’université de Turin, analysent les résultats électoraux suivant l’adoption de réformes importantes sur le régime national des retraites. Elsa Fornero est une ancienne ministre des Affaires sociales du gouvernement «technique» de Mario Monti, qui prit entre 2011 et 2013 des mesures radicales de rééquilibrage des régimes de retraite en Italie, encore fort contestées par certains partis politiques italiens aujourd’hui.

Peu de cas de réélection

Leur étude compare les résultats de 118 élections générales dans 21 pays, dont la France, l’Allemagne et l’Italie, de 1990 à 2010. Les situations de réélections ont été analysées en fonction de plusieurs variables, dont l’adoption de réformes de retraite majeures (dans 28 cas), l’évolution de la situation économique (croissance, inflation...) et le niveau d’éducation financière (mesure de l’International Institute for Management Development (IMD), de l’OCDE et tests de mathématiques). La part minoritaire de réélections recensées sur cet échantillon, 49 sur 118 votes, montre l’ampleur des changements politiques, fréquents sur la période considérée en France et en Italie notamment.

Comme on pouvait s’y attendre, les réélections se font plus rares si des réformes ont été adoptées, à l’exception de quelques pays comme l’Allemagne. Toutefois, le phénomène ne s’amplifie pas beaucoup avec l’accumulation de réformes : autrement dit, la fréquence de défaites électorales dans un pays donné augmente peu avec le nombre de réformes qui y ont été menées. Certains facteurs explicatifs étudiés ne se révèlent pas très probants. Par exemple, à l’exception de l’inflation qui a une influence négative, les effets économiques ne sont pratiquement pas visibles sur les réélections. En revanche, deux variables se révèlent avoir une influence significative : la marge avec laquelle les élections précédentes ont été gagnées et le niveau d’éducation financière (mesuré par l’IMD) quand des réformes ont lieu.

L’importance de la pédagogie

On l’aura compris, cette étude ne cherche pas à prédire les résultats électoraux. Plus modestement, elle entend analyser les correspondances entre plusieurs variables liées aux conditions des votes et leurs résultats. Si l’on admet que le processus est à peu près le même dans tous les pays démocratiques considérés et que l’attitude des électeurs n’a pas changé en vingt ans, les enseignements de l’étude indiquent que l’éducation financière joue un rôle clé pour atténuer la perception souvent négative des réformes des retraites. Ce qui peut s’interpréter par le fait qu’une meilleure compréhension des enjeux économiques d’une réforme en augmente l’acceptabilité.

Ceci renforce l’importance des efforts pédagogiques en cette matière, même s’ils ne sont payants qu’à long terme.

Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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