Stratégie fiscale américaine : l'Europe doit être vigilante

Publié le 8 décembre 2017 à 10h57    Mis à jour le 5 janvier 2018 à 12h38

Michala Marcussen

Le texte de la réforme fiscale américaine adopté par le Sénat dans la nuit du 1er décembre doit maintenant être harmonisé avec la version adoptée par la Chambre des représentants le 16 novembre, avant d’être de nouveau soumis au vote des deux chambres avant signature finale à la Maison-Blanche. Les Républicains espèrent conclure ce processus avant Noël, permettant ainsi un premier succès législatif, très attendu à l’approche des élections de mi-mandat du 6 novembre 2018.

La réforme fiscale constitue une des mesures phares présentée par Donald Trump lors de sa campagne électorale et a pour but de rendre les entreprises américaines plus compétitives, avec une baisse de l’impôt sur les bénéfices des sociétés de 35 % à 20 %, accompagnée de plusieurs autres mesures qui visent à booster à la fois l’investissement, les exportations et la création d’emplois. Côté ménages, des allégements fiscaux sont également prévus, bien que ces mesures soient seulement temporaires, pour respecter les règles budgétaires et rassurer certains Républicains fiscalement plus conservateurs.

Le succès de la réforme fiscale en matière de croissance repose sur l’hypothèse que les allégements fiscaux des entreprises américaines vont dynamiser l’investissement et, ainsi, la création d’emplois : d’abord par un effet de substitution en rendant les investissements aux États-Unis plus attractifs qu’à l’étranger, ensuite par l’incitation fiscale à l’investissement. Cette deuxième voie de transmission repose sur l’hypothèse implicite que l’investissement aux Etats-Unis est aujourd’hui freiné par les coûts et non par la perspective de la demande future. Or la plupart des études montrent que les anticipations de la demande future sont la première motivation de l’investissement. L’assouplissement monétaire suite à la crise financière de 2008 n’était par ailleurs pas une condition suffisante à elle seule pour relancer l’investissement.

Bien entendu, la réforme prévoit également un allégement fiscal pour les ménages, mais, en favorisant les plus aisés, l’impact en termes de demande risque d’être modeste. Comme on l’a observé à travers la politique de QE, les effets de richesse n’ont qu’un impact modeste sur la demande.

Il y a ainsi un véritable risque que la réforme fiscale ne livre pas tous les résultats attendus en termes de croissance économique, ce qui entraînerait une dégradation des finances publiques américaines, tellement redoutée par plusieurs Républicains. En effet, le marché des taux obligataires, à la fois par le niveau faible de taux longs et par l’aplatissement de la courbe, suggère que les investisseurs n’ont pas beaucoup confiance dans les mesures prévues.

Hors des Etats-Unis, et notamment en Europe et en Chine, la réforme fiscale américaine est suivie avec une grande vigilance dans le souci qu’elle respecte les règles fiscales internationales. La double taxation des entreprises américaines avec des sociétés filles implantées à l’étranger est aujourd’hui la principale inquiétude. Dans l’hypothèse où les autres pays réagissent avec des «contre-mesures» aux mesures américaines, jugées potentiellement déloyales, le commerce mondial risque d’en souffrir.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que le président Trump envisage également un assouplissement de la réglementation financière. Cela a aussi été promis par Randal Quarles, le nouveau gouverneur de la Réserve fédérale en charge de la régulation bancaire, et semble également, dans une mesure néanmoins modérée en termes d’allégement réglementaire, soutenu à la fois par Janet Yellen et par son successeur à la tête de la Réserve fédérale, Jay Powell.

Pour les banques américaines qui sont d’ores et déjà en train de gagner des parts de marché en Europe, la réduction de l’incertitude réglementaire ainsi que des mesures d’assouplissement pourraient donner un nouvel élan à leur avantage compétitif. Le gouverneur de la Banque centrale britannique semble également ouvrir la porte à un assouplissement réglementaire pour assurer la compétitivité de Londres comme place financière suite au Brexit. De nouveau, une vigilance européenne s’impose, notamment au moment où les banques chinoises font des percées sur les marchés asiatiques.

La fiscalité des entreprises et la réglementation bancaire sont deux sujets clés pour la croissance économique, non seulement aux Etats-Unis mais aussi au niveau mondial. Et bien que certains aspects des réformes prévues pourraient être considérés comme des infractions aux règles internationales, ce n’est pas le cas pour leur totalité. En effet, les réformes prévues aux Etats-Unis et la perspective de Brexit sont deux motivations supplémentaires pour l’Europe de poursuivre urgemment des réformes structurelles pour améliorer sa compétitivité et assurer une source de financement de l’économie indépendante afin de protéger la croissance et l’emploi.

Michala Marcussen

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