Le cycle du pétrole de schiste aux Etats-Unis et la croissance de la zone euro

Publié le 11 janvier 2019 à 15h35

Patrick Artus

Les économistes et les prévisionnistes ne tiennent pas suffisamment compte, semble-t-il, de l’effet très important du cycle du pétrole de schiste aux Etats-Unis (le cycle de sa production et du prix global du pétrole) sur la croissance de la zone euro.

Le cycle du pétrole conventionnel est très long : les investissements génèrent de la production au bout de quatre ans en moyenne ; cette production supplémentaire fait reculer le prix du pétrole et cela conduit à une correction à la baisse de l’investissement en exploration-production de pétrole conventionnel. On obtient donc une succession de périodes de l’ordre de quatre ans, les unes avec des prix élevés du pétrole et un investissement élevé des sociétés pétrolières (2010-2014, par exemple), les autres avec des prix bas du pétrole et un investissement faible des sociétés pétrolières (2014-2017, par exemple).

Le cycle du pétrole de schiste américain, lui, est beaucoup plus court et plus violent : quand le prix est élevé, les sociétés qui exploitent le pétrole de schiste investissent davantage et très vite (après trois trimestres), ce qui conduit à un supplément important de production. Ce supplément de production fait chuter le prix mondial du pétrole, et cette chute des prix fait reculer les investissements en production de pétrole de schiste, et finalement la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis, d’où un redressement du prix mondial du pétrole.

Le recul des investissements est accentué par les difficultés financières des sociétés pétrolières : lorsque les prix baissent, leurs profits reculent, elles n’arrivent plus à emprunter et doivent couper leurs investissements.

La période récente illustre clairement ce cycle court de pétrole de schiste américain. La remontée du prix du pétrole (pour le WTI, de 43 dollars le baril en mai 2017 à 76 dollars le baril en août 2018) a provoqué une poussée d’investissement et de production du pétrole de schiste, au point que la production a augmenté de 2 millions de barils par jour pendant l’année 2018. Le supplément considérable de production de pétrole aux Etats-Unis fait apparaître un excès mondial d’offre de pétrole, et la rechute violente du prix du pétrole (42 à 45 dollars le baril pour le WTI en décembre 2018).

Cette rechute du prix du pétrole le fait passer en dessous du niveau qui rend rentable la majorité des sociétés de pétrole de schiste aux Etats-Unis, et on sait déjà que la production de pétrole de schiste va faiblir aux Etats-Unis en 2019.

Ce cycle court (trois à quatre trimestres) de la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis et, en conséquence, du prix mondial du pétrole a des conséquences considérables sur la croissance de la zone euro. En effet, l’indexation des salaires nominaux aux prix y est devenue faible : une hausse de 1 point de l’inflation ne conduit qu’à une hausse de 0,2 point de la croissance du salaire nominal par tête. L’inflation sous-jacente (hors effet du prix du pétrole) de la zone euro est très stable depuis des années, juste au-dessus de 1 % par an : la variabilité de l’inflation ne vient que de celle du prix du pétrole.

L’inflation de la zone euro était nulle en 2015 et au début de 2016, avec la chute du prix du pétrole. Elle est montée jusqu’à 2 % au début de 2017, retombée à 1,3 % au début de 2018, et reste voisine de 2 % depuis le printemps 2018.

La hausse du prix du pétrole du printemps 2017 au printemps 2018 a conduit à un affaiblissement important de la croissance de la zone euro puisqu’elle a fait disparaître toute progression du pouvoir d’achat des salariés, alors que la demande des ménages et la croissance avaient été fortement soutenues par l’inflation faible due au recul du prix du pétrole de 2015 au début de 2018.

Qu’attendre maintenant ? Le cycle du pétrole de schiste aux Etats-Unis, on l’a vu, va maintenant conduire à un affaiblissement de la production, avec la baisse du prix du pétrole due à la forte poussée de la production en 2018. Cet affaiblissement de la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis en 2019 redressera progressivement le prix du pétrole, mais tant que celui-ci est faible (depuis l’automne 2018 et probablement jusqu’à l’été 2019) l’inflation de la zone euro va reculer, passer en dessous de l’inflation sous-jacente, et le revenu réel et la demande des ménages vont être fortement soutenus au premier semestre 2019. On voit donc apparaître un cycle court (sur un an) de la croissance de la zone euro (croissance soutenue en 2017, affaiblie en 2018, soutenue en 2019) lié au cycle court de la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis.

Patrick Artus Chef économiste ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

Du même auteur

Voir plus

Chargement en cours...