L’organisation de la finance pèse sur les mouvements de marchés

Publié le 15 mars 2019 à 15h32    Mis à jour le 15 mars 2019 à 17h22

Patrick Artus

De manière chronique, les prix des actifs financiers sont alternativement anormalement élevés ou anormalement faibles. On a ainsi vu dans la période récente les marchés d’actions battre tous les records historiques de l’automne 2017 au printemps 2018, avant de s’écrouler (20 % de baisse en moyenne entre le printemps 2018 et la fin de l’année) ; on a vu les primes de risque payées par les entreprises quand elles émettent des obligations à un niveau anormalement bas au printemps 2018 (3 % pour les entreprises high yield risquées aux Etats-Unis, ce qui ne compense pas le risque de faillite moyen de ces entreprises) et à un niveau très élevé (plus de 5 %) à la fin de l’année 2018.

Ce comportement est habituel : les marchés financiers passent de phases d’euphorie (1998-2000, 2003-2007, 2014-2017) à des phases de dépression (2001-2002, 2008-2009, 2018).

Cette oscillation de l’attitude des investisseurs est grave. Elle déstabilise les économies : quand les cours boursiers reculent anormalement et que les primes de risque sur les obligations émises par les entreprises augmentent fortement, le coût du financement des entreprises est accru et l’investissement diminue ; surtout aux Etats-Unis, la chute du marché des actions crée un effet négatif de richesse qui déprime la consommation.

La variabilité excessive des prix des actifs financiers décourage leur détention, et peut conduire à la contraction des marchés financiers et au retour de l’épargne vers les seuls actifs sans risque (monnaie, obligations des Etats). Enfin, il ne faut pas oublier qu’un des rôles des marchés financiers est de fournir une mesure de la valeur des entreprises, ce qui n’est certainement pas le cas si les prix des actifs financiers oscillent de manière extravagante.

Il faut donc essayer de comprendre les causes de cette alternance de périodes d’optimisme excessif sur les marchés financiers afin de réfléchir aux moyens de corriger ce comportement. La première explication possible est l’incompétence des investisseurs, qui ne seraient pas capables d’évaluer correctement la situation de l’économie et passeraient brutalement d’une vision très rose (la croissance forte va continuer pour une large période de temps, comme on l’entendait en 2017) à une vision très noire (récession mondiale, déclenchée par le protectionnisme, comme on l’entendait en 2018). Il est vrai que certains éléments sont troublants. On voit aussi aujourd’hui la forte dégradation des marchés d’actions ou d’obligations d’entreprises depuis la fin de l’été 2018, alors que la situation des entreprises est bonne (profitabilité au plus haut historique, taux de défaut très bas, amélioration forte de la notation des agences) ; on voit aussi une surestimation manifeste des effets négatifs de certaines évolutions (droits de douane aux Etats-Unis, Brexit, crise italienne…).

Pourtant, les grands investisseurs disposent de services de recherche très sophistiqués, ils sont en contact avec les institutions internationales, les économistes des banques. Le problème n’est peut-être pas alors la compréhension de la situation économique et financière, mais l’organisation de la finance, et, en particulier, le fait que l’organisation de la finance conduit au mimétisme.

Les gérants d’actifs financiers sont en concurrence entre eux pour les parts de marchés ; leurs choix d’investissement ne dépendent pas alors de leur anticipation des fondamentaux (situation économique, situation des entreprises), mais des choix des autres gérants. Avoir un comportement différent de celui des autres gérants est dangereux car, en cas d’erreur, la perte de part de marché serait grave.

Le développement de la gestion passive, qui cherche à reproduire les indices et non à obtenir une performance absolue forte (ce qui est l’objectif de la gestion active) aboutit aussi au mimétisme. Si les fonds d’investissement cherchent seulement à dupliquer les indices, ils se comportent bien sûr de manière mimétique.

Le mimétisme conduit à ce que, si les prix des actifs financiers baissent parce que certains investisseurs sont vendeurs, alors de nombreux investisseurs deviennent vendeurs et les prix des actifs financiers s’effondrent (la situation est symétrique si les prix des actifs commencent à monter).

Pour sortir de cette situation où alternent des périodes d’euphorie et de déprime sur les marchés financiers, qui peuvent se communiquer aux économies, il faudrait qu’apparaissent de nombreux investisseurs et gérants de portefeuille actifs (réfléchissant aux fondamentaux) et qui seraient jugés sur leur performance à moyen terme et non sur leur performance instantanée.

Ce n’est pas l’évolution présente de la finance.

Patrick Artus Chef économiste ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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