Qui faut-il croire : les économistes, les investisseurs ou les entreprises ?

Publié le 21 juin 2019 à 17h30

Patrick Artus

On voit aujourd’hui que les investisseurs pensent que la zone euro va entrer en récession ; les économistes, eux, sont modérément optimistes quant aux perspectives de croissance de la zone euro ; les entreprises de la zone euro, pour leur part, sont optimistes pour l’avenir. Qui a raison ? Nous pensons que la réalité devrait être légèrement meilleure que ce qu’anticipent les économistes.

Intéressons-nous aux perspectives économiques pour la zone euro. Les investisseurs en ont une vision extrêmement négative. Ils achètent aujourd’hui les dettes publiques sans risque de la zone euro (ce qui explique le niveau extrêmement bas des taux d’intérêt à long terme en Allemagne, en France…). Ils sont vendeurs des actions de la zone euro (d’où le niveau bas de la valorisation des actions avec un PER sur les résultats de 2020 à peine supérieur à 13). Ils ont une position courte sur l’euro, d’où la relative faiblesse de l’euro par rapport au dollar. On voit ainsi que les investisseurs anticipent une récession dans la zone euro et se reportent donc des actifs risqués vers les actifs sans risque. Ils craignent sans doute les effets de la guerre commerciale ; le retour d’une crise avec l’Italie ; le Brexit, sans accord ; ils constatent que la zone euro peine à mettre en place des avancées institutionnelles.

Les économistes, eux, ont une vision des perspectives de croissance de la zone euro moins noire que celle des investisseurs. Ils comprennent en général que l’économie de la zone euro bénéficie d’un très fort soutien de la demande, avec la hausse des salaires réels, le recul de l’inflation, la progression rapide de l’emploi, le niveau très élevé de la profitabilité des entreprises qui exclut tout risque de détérioration de leur situation financière et de chute de leur investissement. Les gains de productivité dans la zone euro sont devenus faibles, voire nuls. Cela concerne uniquement le long terme, mais correspond à court terme à de fortes créations d’emplois qui soutiennent la demande. Enfin, la politique budgétaire de la zone euro devient plus expansionniste, particulièrement en France et en Italie. Tout cela devrait permettre de maintenir une croissance honorable dans la zone euro, autour de 1,2 % ou 1,3 % au moins.

Les entreprises, enfin, sont encore plus optimistes que les économistes. L’exemple frappant le plus récent est celui des entreprises françaises. Elles ont créé 93 000 emplois au premier trimestre 2019, soit une hausse de 0,4 % sur le trimestre, alors qu’elles n’avaient créé que 170 000 emplois en 2018. Elles annoncent qu’elles vont augmenter de 11 % leurs investissements en 2019, elles ont accru de 6 % en un an leurs encours de crédit. Cela montre que les entreprises sont optimistes quant aux perspectives de croissance, ne partageant ni le pessimisme des investisseurs ni l’absence d’enthousiasme des économistes.

Comment peut-on avoir autant de scénarios différents, et qui a raison ?

Les investisseurs semblent ne pas vouloir regarder les indicateurs favorables de la zone euro: le PIB a augmenté de 0,4 % au premier trimestre 2019 et la confiance des ménages est forte. Ils anticipent un effondrement du commerce mondial avec le conflit commercial entre les Etats-Unis et la Chine, mais, pour l’instant, celui-ci n’a pas eu lieu et le commerce mondial progresse même de plus de 2 % par an en volume. Il est d’ailleurs difficile de croire que Donald Trump prendra le risque de déprimer l’économie des Etats-Unis alors qu’il entre en campagne pour les élections présidentielles en laissant le conflit commercial dégénérer.

Concluons donc que les investisseurs ont tort d’être si pessimistes. Il n’est pas sûr par ailleurs que les économistes perçoivent clairement l’optimisme des entreprises, et ils sont donc peut-être un peu trop prudents. Un Brexit sans accord serait un problème majeur pour le Royaume-Uni, mais pas pour la zone euro, qui bénéficierait de relocalisations d’emplois depuis le Royaume-Uni ; et la discipline de marché, c’est-à-dire la hausse des taux d’intérêt sur la dette publique dès qu’un déficit public excessif est annoncé, empêchera le gouvernement italien de rentrer dans un conflit grave avec la Commission européenne.

Cela nous pousse à penser que, en réalité, la croissance de la zone euro sera peut-être légèrement supérieure à ce que prévoient les économistes, ce qui contraindra les investisseurs à changer d’opinion et à revenir sur les actifs risqués.

Patrick Artus Chef économiste ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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