L'analyse de Patrick Artus

Des pistes pour rassurer les investisseurs sur la zone euro

Publié le 30 avril 2020 à 18h26

Patrick Artus

Une des possibilités serait d’obtenir de la Banque centrale un engagement irréversible à maintenir la solvabilité des Etats de la zone euro.

La crise du coronavirus et l’effondrement induit de l’activité dans les pays de la zone euro vont conduire à une très forte hausse des déficits publics et des dettes publiques (le déficit public de la zone euro en 2020 pourrait atteindre 9 % à 10 % du PIB). Il faut absolument éviter que cette hausse des déficits publics et dettes publiques conduise, comme cela a été le cas de 2010 à 2014 après la crise des subprimes, à une crise des dettes publiques, avec hausse forte des taux d’intérêt à long terme, recul à nouveau de l’activité, anticipation d’explosion de l’euro.

Pour cela, il faut que les investisseurs soient certains que les Etats de la zone euro ne vont pas faire faillite, vont rester solvables et ne devront pas restructurer leurs dettes. Comment les en convaincre ? Nous explorons trois pistes : le retour rapide à une politique budgétaire restrictive après la crise ; l’annulation explicite des dettes publiques détenues par la BCE ; un engagement irréversible de la BCE à maintenir la solvabilité des Etats et à éviter une crise.

Le passage rapide à une politique budgétaire restrictive après la crise (ce qui a été fait dans la zone euro dès 2011 après la crise des subprimes) permet de réduire rapidement le taux d’endettement public, et de plus de respecter les règles budgétaires européennes (déficit public total inférieur à 3 % du PIB, taux d’endettement revenant vers 60 % du PIB, déficit public structurel inférieur à 0,5 % du PIB). Mais cette solution n’est pas du tout recommandable. La réduction rapide du déficit public après la crise freine la demande (il a contribué dans la zone euro au retour à une croissance négative de 2011 à 2013) et, après la crise du coronavirus, empêcherait de mener les politiques économiques nécessaires : hausse des politiques publiques de santé, soutien aux relocalisations d’industries stratégiques, soutien de l’investissement des entreprises...

La deuxième politique possible est une annulation explicite de la dette publique détenue par la BCE. On sait que si la Banque centrale achète de la dette publique, et la conserve puis la renouvelle à l’échéance (elle ne réduit pas la taille de son bilan après l’avoir augmenté), cette dette publique est de facto annulée. En effet, elle est gratuite puisque les Banques centrales réservent leurs profits aux Etats, donc reversent leurs profits aux Etats, donc reversent les intérêts reçus sur les dettes publiques détenues, et elle n’a pas à être remboursée. Est-il alors utile d’annuler explicitement la dette publique détenue par la Banque centrale ? Ce n’est pas clair, même si les investisseurs observent alors un taux d’endettement public plus bas. En effet, d’une part sur le fond c’est inutile, on vient de le voir ; d’autre part, les investisseurs peuvent craindre que dans le futur, l’annulation de la dette publique touche aussi celle détenue par le secteur privé.

La dernière possibilité est d’obtenir de la Banque centrale un engagement irréversible à maintenir la solvabilité des Etats de la zone euro. Ceci passe par le maintien de taux d’intérêt à court terme bas, et chaque fois que c’est nécessaire, par des achats de dette publique par la Banque centrale pour empêcher la hausse des taux d’intérêt à long terme et éviter que les Etats aient des difficultés de financement.

De fait, depuis 2015, chaque fois qu’il y a eu tension sur les marchés des dettes souveraines de la zone euro, la BCE est intervenue, le dernier épisode étant celui de mars 2020. Mais il faudrait plus qu’une intervention chaque fois que c’est nécessaire, il faudrait un engagement explicite et durable à réaliser cette intervention afin de rassurer les investisseurs.

Pour éviter que la hausse des taux d’endettement publics dans la zone euro due à la crise du coronavirus contribue, après la crise, à une crise des dettes publiques, comme cela a été le cas de 2010 à 2013 après la crise des subprimes, ce qui précède montre que le mieux est sans doute d’éviter le passage rapide à une politique budgétaire restrictive, qui ferait rechuter l’économie ; d’éviter l’annulation explicite de la dette publique détenue par la BCE, qui est inutile (cette dette étant déjà de facto annulée) et qui pourrait inquiéter les investisseurs ; d’obtenir de la Banque centrale un engagement explicite à éviter durablement une crise des dettes publiques.

Cet engagement doit nécessairement être associé à un engagement des gouvernements à réduire à terme (pas immédiatement) leurs déficits publics et à stabiliser leur taux d’endettement public, sinon il y aurait un aléa de moralité évident conduisant à une hausse perpétuelle de l’endettement public. 

Patrick Artus Chef économiste ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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