Le rendement long terme du capital est altéré

Publié le 18 septembre 2015 à 12h18

Sébastien Barbe

C’est la première fois dans l’histoire que les marchés développés sont secoués à ce point alors que, dans l’ensemble, leurs publications économiques sont correctes, voire en amélioration constante. On perçoit tous des causes évidentes, mais il y en a de plus obscures.

Bien sûr, il y a des similitudes avec la situation de 1997-1998, avec des causes similaires (dont la baisse du yen préalable) et des conséquences connues avec, comme vecteur de transmission, le prix du pétrole, les changes et les exportations. Aujourd’hui, les pays émergents sont plus solides qu’à l’époque. Mais, a contrario, ils pèsent bien plus dans l’économie mondiale.

Les taux des Banques Centrales (US, EU, JP, UK) sont tous proches de 0 %. En cas de ralentissement, les marges de manœuvre seraient donc faibles voire éculées. On pourrait craindre qu’une éventuelle nouvelle récession soit plus longue, avec des impacts plus forts sur les EPS des entreprises ou les taux de défaut.

Les taux sont très bas, mais le vent est désormais contraire, les taux courts ne peuvent plus vraiment baisser ; or, la baisse des taux longs a été entretenue par les QE successifs et l’accumulation des réserves de change. S’il reste encore les interventions de la BCE et du Japon, la tendance s’est en revanche durablement inversée pour les réserves de change.

Tous les mécanismes visant à doper la croissance d’un pays ont tôt ou tard leur revers de médaille et finissent par se retourner. On a déjà vécu la limite de la croissance achetée à crédit dans les pays occidentaux (crises 2008 et 2011). On (re)découvre que la stratégie mercantiliste ne marche qu’un temps : avec une devise maintenue faible par accumulation constante de réserves de change, s’enchaînent fortes entrées de capitaux et/ou maintien de taux trop bas trop longtemps et/ou développement trop fort du crédit et apparition de bulles spéculatives (Chine et Asie du Sud-Est). On (re)découvre que la stratégie d’aubaine (souvent liée aux matières premières), qui s’accompagne d’une monnaie qui s’apprécie, d’un boum de la consommation et du niveau de vie, fini par tuer la compétitivité si elle ne s’accompagne pas d’épargne et d’investissements structurels (éducation, infrastructure, etc.). A ce titre, la situation au Brésil est préoccupante. On (re)découvre qu’emprunter en dollar, en euro ou en franc suisse quand les taux sont plus haut chez soi est source de maux quand la crise de change survient.

Qu’attendre des marchés financiers dans ce contexte ?

Dans son excellent livre (qu’il faut lire plutôt que ses critiques), Thomas Piketty démontre que le rendement long terme du capital est, depuis deux cent cinquante ans, compris entre 3,5 % et 5 %. Mais n’a-t-on pas pris un peu d’avance ? Avec les taux d’aujourd’hui, le rendement futur d’une grande partie de l’épargne mondiale sera très faible. Il a déjà été capté via la baisse des taux. Dès lors, pour obtenir un taux moyen à, disons, 4 %, il faut compenser avec bien plus ailleurs, au moment même où les autres actifs sont inflatés par la baisse des taux.

Ce sera donc compliqué. Le rendement long terme, à partir d’aujourd’hui, doit être révisé à la baisse. Au revers de la médaille, quand une zone cherche à capter la croissance du voisin, correspondent les tendances de marché qui se retournent à leur tour, avec quelques mois d’avance.

Gérer aujourd’hui, c’est donc à la fois prendre plus de risque (sinon le rendement est nul), conduire une allocation d’actifs plus flexible mais aussi plus sage, pour sortir assez tôt et afin d’éviter les pièges : le Nasdaq est-il si solide ? Les biotechs délivreront-elles toutes leurs promesses ? Les taux core ne doivent-ils jamais remonter ? Gérer aujourd’hui, c’est travailler tous les jours : arbitrer, profiter des nouvelles émissions, des mouvements erratiques des automates, de l’optionalité de marché, des humeurs de la liquidité. C’est ainsi générer de la surperformance régulière. Gérer aujourd’hui, c’est trouver tôt les thématiques (il y en a toujours), mais se faire à l’idée que, dans un monde au rendement du capital faible, il faut savoir revendre, car, sinon, les marchés vous reprendront tout.

Sébastien Barbe

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