Risque client : quel impact sur le choix entre lignes de crédit et détention de cash ?

Publié le 2 juin 2017 à 17h25

Thomas David

Très régulièrement, la presse financière revient sur les niveaux inégalés de trésorerie détenue par certaines grandes entreprises. On peut notamment citer le cas très médiatique d’Apple qui disposait, début 2017, d’une réserve de liquidités de près de 250 milliards de dollars. Les explications de ces montants élevés de trésorerie sont multiples. Les entreprises américaines par exemple ont quelques réticences à rapatrier leurs fonds. De même, de nombreuses firmes souhaitent disposer d’une capacité à saisir rapidement des opportunités d’investissement.

Au-delà des fonds détenus directement par les entreprises, les firmes ont également des réserves de liquidité sous la forme d’un droit de tirage sur lignes de crédit accordées par les établissements bancaires. Ces deux formes de liquidités, immédiates ou potentielles, sont-elles équivalentes ? Lorsque tout va bien, c’est le souvent le cas. Néanmoins, lorsque la situation se dégrade, l’accès aux lignes de crédit peut se tarir.

La performance opérationnelle des entreprises et leur exposition au risque systématique apparaissent dans de nombreuses études comme les deux principaux facteurs motivant la décision des firmes entre l’une et l’autre de ces deux solutions1. Quel est alors l’impact du risque des clients sur l’intérêt d’une entreprise de détenir du cash ou de disposer d’un accès à des lignes de crédit ? Pour illustrer l’importance de cette question, nous pouvons constater que pendant la crise financière, les banques ont réduit drastiquement les lignes de crédit accordées aux sous-traitants automobiles des grands constructeurs en difficulté, comme GM, Ford ou Chrysler.

Dans une étude récente2 portant sur un échantillon de plus de 3 500 entreprises américaines possédant au moins un client important clairement identifiable (c’est-à-dire ceux qui représentent au moins 10 % de leur chiffre d’affaires annuel), sur la période 1987-2013, nous montrons dans quelles mesures le risque de défaut d’un ou plusieurs de ces clients (ou «risque client») affecte le choix des entreprises entre cash et lignes de crédit.

Les entreprises qui font face aux clients les plus à risque détiennent, en moyenne, une part de leurs réserves de liquidités sous forme de cash supérieure de 6 %. Le choix entre cash et lignes de crédit apparaît en l’espèce comme subordonné à l’anticipation de l’ensemble des risques et coûts associés à l’une et l’autre de ces réserves de liquidités. En particulier, la décision d’une entreprise d’ouvrir une ligne de crédit auprès d’un établissement financier repose sur sa capacité a priori à honorer ses engagements, mais surtout sur sa faculté à respecter l’ensemble des clauses incluses dans son contrat de ligne de crédit. Dès lors, l’augmentation du risque de défaut d’un ou plusieurs clients majeurs semble pousser les entreprises à minimiser leur recours aux lignes de crédit. Ce faisant, elles réduisent ainsi le risque et les conséquences d’un non-respect d’une ou plusieurs clauses restrictives.

Par ailleurs, la dégradation de l’environnement opérationnel des entreprises semble également impacter leurs conditions d’accès aux lignes de crédit.

En particulier, notre étude met en lumière des taux d’intérêt plus élevés de près de 40 points de base supportés par les entreprises présentant un risque client plus fort. Ces mêmes entreprises se voient également imposer un nombre plus important de clauses restrictives par les établissements bancaires (de l’ordre de 30 %). Notons ici que cette augmentation concerne avant tout les clauses encadrant l’utilisation des flux non opérationnels (restriction des dividendes, cash-flow sweep, par exemple) générés par les firmes.

Ainsi, notre étude montre que le choix entre cash et accès à des lignes de crédit semble avant tout répondre à un besoin de précaution et d’anticipation dans la gestion de la trésorerie des entreprises. Cette flexibilité traduit la capacité des firmes à s’adapter aux transformations de leur cadre d’activité. Une telle démarche nécessite notamment de prévoir au mieux l’évolution des relations entre une entreprise et ses clients, notamment afin de négocier en amont des conditions favorables d’accès à la liquidité bancaire.

1. Sufi (2009), Lins et al. (2010), Campello et al. (2011 et 2012), Acharya et al. (2013).

2. Thomas David, 2016, «Customer risk and the choice between cash and bank credit lines», document de travail disponible auprès de l’auteur.

Thomas David

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