Directions financières

Comment éviter les échecs de recrutement

Publié le 21 octobre 2016 à 17h43

Guillaume Clément

Il n’est pas rare que des directeurs financiers quittent une entreprise quelques mois seulement après l’avoir intégrée. Ces départs s’expliquent généralement par un important décalage entre les missions présentées aux candidats lors du recrutement et celles qui leur sont véritablement confiées une fois en poste. Les tensions qui peuvent survenir avec la direction générale ou d’autres collaborateurs représentent aussi un facteur déterminant.

Certains directeurs financiers effectuent la majeure partie de leur carrière au sein d’une seule entreprise. D’autres en revanche n’y font qu’un passage express… Par exemple, SFR a récemment annoncé le départ de Jean Raby, alors qu’il y avait été nommé directeur financier seulement en avril dernier. «Cet ancien banquier d’affaires n’avait pas vocation à rester directeur financier de cette entité à long terme, confie Axel de Schietere, directeur au sein du cabinet de recrutement Heidrick & Struggles. Il avait plutôt été sollicité pour réaliser l’offre publique d’échange (OPE) menée par Altice sur l’opérateur téléphonique, avant de céder sa place à un profil davantage orienté vers le contrôle de gestion, comme en témoigne l’annonce de la nomination de son successeur, François Vauthier, jusqu’alors responsable du contrôle financier d’Altice.»

Si parfois des entreprises, comme SFR, ne recrutent un directeur financier que pour mener à bien une mission pendant quelques mois, dans la plupart des cas elles préfèrent les engager sur le long terme. Pourtant, les exemples de directeurs financiers qui sont aussi récemment partis d’une société peu de temps après l’avoir rejointe ne manquent pas. En février dernier, Guillaume Verspieren a par exemple quitté la start-up Tradelab au bout d’environ six mois, tandis qu’en 2015 Philippe Lebannier et Mathieu Fabre n’ont dirigé la fonction finance de Laurent-Perrier et de la société de prêt-à-porter de luxe Barbara Bui que sept mois et quatre mois respectivement.

«Il n’est en effet pas rare que des entreprises nous contactent pour remplacer en urgence le directeur financier qu’elles avaient embauché quelques mois – voire quelques semaines – auparavant, confie Mikaël Deiller, practice manager en charge de la division finance et comptabilité chez Michael Page. Si le candidat ne se montre parfois pas à la hauteur des tâches qui lui sont confiées, il s’agit le plus souvent de départs volontaires. Ceux-ci résultent d’un important décalage entre les missions et les conditions de travail présentées lors de son recrutement et celles qu’il a réellement expérimentées après son arrivée au sein de la société.»

Des prérogatives trop limitées

Ce décalage peut être dû à différents facteurs. D’abord, une partie des sociétés ont tendance à proposer des postes aux prérogatives étendues… qu’elles ne laissent finalement pas leur nouvelle recrue exercer pleinement. «Certains dirigeants nous ont déjà demandé de recruter des directeurs financiers dans l’optique de leur attribuer un rôle de véritable “business partner”, par exemple en leur permettant de participer activement aux décisions stratégiques (développement, financement, investissement, etc.), pour au final ne leur confier que des tâches limitées à la comptabilité et au reporting», souligne Mikaël Deiller.

Ensuite, certaines entreprises ne donnent pas à leur nouveau directeur financier les moyens d’atteindre leurs objectifs. «Une partie des responsables des finances n’ont par exemple pas pu mener à bien des projets, tels que le déploiement d’un nouveau système d’informations, parce que les dirigeants de la société ne souhaitaient finalement plus investir dans ce domaine», poursuit Mikaël Deiller.

En outre, les directeurs financiers peuvent faire face à une charge de travail largement supérieure à leurs anticipations à cause de restrictions budgétaires qui ont limité leur accès à des ressources humaines. «Plusieurs sociétés n’ont pas pu remplacer des collaborateurs financiers durant plusieurs mois, à la suite par exemple de congés maladie ou maternité, tandis que d’autres ne disposaient pas d’un budget permettant à leur directeur financier de recourir à des conseils financiers et juridiques, y compris dans le cadre d’opérations de croissance externe ou de financement», confie Mikaël Deiller.

Des difficultés d’intégration

Ce sont toutefois les tensions qui émergent entre les équipes et le directeur financier qui contribuent le plus au départ de ce dernier. Dans certains cas, elles surviennent avec des collaborateurs placés sous la supervision du chef des finances.

«Quelques semaines après avoir accédé au poste de directeur administratif et financier d’une PME familiale en 2010, j’ai constaté que la responsable des ressources humaines se tournait directement vers le président fondateur pour faire le point sur l’avancement de ses tâches (gestion de la paye, etc.) et pour valider des décisions, alors que j’étais pourtant son supérieur hiérarchique direct, se souvient Armand Le Petit, désormais fondateur de la société spécialisée dans les services de direction financière à temps partagé, KPI Finance. Non seulement j’étais “court-circuité”, mais je n’ai en outre reçu aucun soutien de la part du président lorsque je lui ai exposé ce problème, ce qui a renforcé ma décision de quitter la société quelques mois plus tard.»

En plus de peser sur le moral des directeurs financiers, ce type de mésentente peut conduire l’entreprise à prendre des décisions qui pèsent sur ses finances. «Quelques semaines après avoir rejoint une PME réalisant environ 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, un directeur financier a par exemple calculé qu’il serait possible de réduire de 40 % les dépenses liées aux achats en changeant de fournisseurs, illustre Hubert Demaison, fondateur et managing partner du cabinet de management de transition Adven Transition. Or la directrice générale adjointe a refusé cette proposition, arguant que l’entreprise faisait appel à ces partenaires commerciaux depuis des années, tout comme ses autres suggestions en matière d’investissement. Elle ne disposait pourtant que de compétences financières limitées mais, en tant que nièce de l’actionnaire principal de la société, elle avait le soutien de ce dernier.»

Des freins au changement

Le plus souvent, les directeurs financiers rencontrent ce type de difficultés parce que le management se montre de manière générale réticent aux changements. Selon les professionnels, ce cas de figure est particulièrement répandu au sein des entreprises familiales ou de sociétés dont le précédent responsable des finances est parti après une très longue période (voir encadré). 

«J’ai eu beau démontrer au président de la PME où je suis resté huit mois qu’il était nécessaire de mettre en place des reportings plus détaillés, standardisés et réguliers, en y intégrant notamment de nouveaux indicateurs de gestion, il ne voulait pas changer les formats auxquels il était habitué», déplore Fabrice de Vienne, directeur financier de transition.

Certains directeurs financiers quittent ainsi une entreprise en raison du manque de confiance de leur hiérarchie, y compris lorsqu’il s’agit de la gestion de tâches purement financières. «Je n’ai pas toujours été autorisé à rencontrer nos banquiers seul, se souvient Fabrice de Vienne. Non seulement le président se chargeait de renégocier nos conditions de financement, mais je ne disposais même pas des autorisations nécessaires pour valider des virements bancaires intragroupes!»

Le contrôle de la direction peut même parfois devenir oppressant. «Régulièrement, d’autres membres du management venaient me demander, de manière informelle, un compte-rendu de mes activités de la journée, poursuit Fabrice de Vienne. Or j’ai compris quelques semaines après mon arrivée qu’ils rapportaient au président le contenu de nos discussions, ce qui m’a donné le sentiment d’être espionné.»

Des problèmes pouvant être anticipés

Pour éviter autant que possible de se retrouver dans de telles situations, les cabinets de recrutement recommandent avant tout aux candidats de bien se renseigner sur leur futur environnement professionnel. «Il est par exemple utile de contacter en amont d’anciens salariés pour se faire une idée de la culture de l’entreprise et des conditions de travail», indique Mikaël Deiller. A ce titre, la fréquence du remplacement des équipes est l’un des indicateurs les plus pertinents. «Je n’aurais probablement pas intégré la société où je suis resté huit mois si j’avais su préalablement que cinq directeurs financiers m’avaient précédé en seulement trois ans ou que le président changeait d’assistant(e) entre six et dix fois par an», reconnaît Fabrice de Vienne.

De même, certains professionnels regrettent de ne pas avoir posé davantage de questions à leur futur employeur durant la phase de recrutement, notamment sur l’organisation et les procédures internes. «Ayant exercé plus d’une quinzaine d’années au sein de groupes très structurés, j’ai été déstabilisé par l’absence de processus communs, notamment pour les reportings, au sein d’une PME que j’ai brièvement intégrée, confie un directeur financier. Ces éléments sont pourtant fondamentaux pour ce type de poste, mais nous ne les avions malheureusement pas abordés en détail au cours de nos entretiens.»

Des départs raisonnés

Une fois en fonction, les directeurs financiers peuvent encore entamer des discussions avec le management afin de souligner les problèmes qu’ils rencontrent et d’essayer d’y trouver des solutions (obtenir davantage d’autonomie, redéfinir les tâches prioritaires, etc.). Mais lorsque ces échanges ne se révèlent pas concluants, les directeurs financiers se résolvent souvent à préparer leur départ. Peu d’entre eux s’en vont toutefois avec fracas. «Nous avons convenu, avec mon ancien président, que nous avions des visions différentes sur la manière d’exercer les fonctions qui m’avaient été confiées, indique Armand Le Petit. Nous avons donc tous les deux préféré mettre fin à notre collaboration. Nous sommes restés respectueux et courtois l’un envers l’autre et il m’a même félicité pour avoir réussi à développer un nouveau modèle du contrôle de gestion, qu’il a continué à utiliser par la suite.»

Une attitude raisonnée qui s’est révélée particulièrement judicieuse puisque le directeur financier compte aujourd’hui cette entreprise… parmi les clients de son cabinet de management à temps partagé ! Comme quoi, une expérience infructueuse n’empêche pas les directeurs financiers de rebondir vers d’autres opportunités.

Des entreprises plus compliquées à intégrer que d’autres

Les directeurs financiers peuvent rencontrer des difficultés à s’adapter au sein de tous types d’entreprises. Mais leur intégration peut se révéler plus difficile dans certaines structures.

  • Le premier cas concerne les PME familiales.«Les dirigeants de sociétés familiales ont tendance à se méfier des nouvelles recrues, en particulier lorsqu’elles occupent un poste stratégique comme la direction financière, et leur laissent peu d’autonomie en matière de prise de décision, explique Hubert Demaison, managing partner d’Adven Transition. Ils peuvent être particulièrement réticents à mettre en place des processus budgétaires ou des reportings structurés car ils les considèrent souvent comme des contraintes apportant peu de valeur ajoutée.»
  • Les entreprises dont le précédent directeur financier est resté en poste durant une longue période facilitent peu l’arrivée du successeur. «Mon prédécesseur avait occupé cette fonction pendant plus de 17 ans, indique Armand Le Petit, président de KPI Finance. Il m’a donc été très difficile de mettre en place de nouveaux processus et de développer un nouveau modèle de comptabilité, compte tenu des habitudes bien ancrées de certains collaborateurs.»
  • Les sociétés au sein desquelles le management et/ou les actionnaires sont en conflit constituent le troisième cas d’intégration complexe.«Les directeurs financiers sont parfois nommés contre l’avis de la direction générale par les actionnaires de l’entreprise, notamment par des fonds de private equity ou de LBO, ce qui crée des tensions autour du nouvel arrivant, détaille Mikaël Deiller, practice manager en charge de la division finance et comptabilité chez Michael Page. Le directeur financier groupe et le directeur général d’une filiale ont également parfois des attentes différentes concernant le directeur financier recherché pour cette dernière (profil, cahier des charges, etc.), ce qui expose souvent le candidat retenu à des demandes contradictoires de leur part, par exemple en termes de priorités.»

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