Banques centrales 

Comment le parcours des gouverneurs influence la régulation financière

Publié le 17 mai 2019 à 15h12    Mis à jour le 17 mai 2019 à 17h27

Valérie Nau

Les décisions prises par les banques centrales en matière de régulation financière ne dépendent pas seulement du contexte économique. Une vaste étude montre qu’elles peuvent aussi être liées… aux caractéristiques personnelles de leurs gouverneurs.

Les caractéristiques personnelles des banquiers centraux ont-elles une influence sur la régulation financière ? Telle est la question – plutôt iconoclaste – que pose une étude internationale réalisée par Prachi Mishra et Ariell Reshef, chercheurs respectivement au FMI et au CNRS, et dont s’est fait l’écho PSE-Ecole d’économie de Paris fin mars*. Si le rôle des gouverneurs de banque centrale vis-à-vis de l’inflation a déjà fait l’objet de travaux académiques, il n’en va pas de même de leur influence sur la régulation financière, moins connue et néanmoins bien réelle. Ce sujet les concerne en effet au premier chef : en 2012, deux tiers des banques centrales de 145 pays avaient la charge de réguler leur système bancaire. Leur influence sur l’environnement réglementaire et juridique est donc indéniable. Une influence qui ne relève pas seulement de compétences techniques. «Nous avons trouvé que, quelle que soit l’orientation politique du gouvernement, le background professionnel des gouverneurs est un facteur d’explication important pour les changements dans la régulation financière», expliquent les deux auteurs de l’étude.

Pour évaluer cette influence, ces derniers ont construit une base de données concernant 658 banquiers centraux sur une période allant de 1970 à 2011. Leurs parcours ont été analysés à partir d’informations personnelles (âge, études, expérience professionnelle avant et après leur mandat…), associées à des variables concernant les résultats des politiques menées. L’étude porte sur un vaste ensemble de pays, à différents stades de développement et sur une très longue période, de manière à mieux appréhender l’évolution du rôle de gouverneur et les différentes approches en la matière.

L’importance du parcours professionnel

Premier constat : l’éducation des banquiers centraux n’a pas d’influence significative sur leurs réformes financières. Pourtant, leurs études les prédisposent a priori à s’y intéresser. 73 % affichent des diplômes en économie et 7 % en finance et banque. Une tendance qui s’est accentuée ces dernières années : en 1985, 60 % étaient diplômés en économie. Les diplômes d’écoles de commerce ont également augmenté (16 %), contrairement aux formations juridiques, qui ont fortement chuté, passant à moins de 10 %. En parallèle, le niveau des diplômes s’est élevé : 45 % des banquiers centraux ont un doctorat, contre un tiers environ au milieu des années 1970.

Malgré tout, c’est moins la formation universitaire que l’expérience professionnelle qui tend à influencer les décisions des banquiers centraux. Ceux-ci affichent des parcours professionnels assez diversifiés et souvent pluriels, allant de l’université (30 %) aux organisations internationales (30 %) en passant, pour une nette majorité d’entre eux, par un poste au sein du gouvernement (56,2 %). Très logiquement, 47 % ont travaillé dans une banque centrale. En revanche, les CV faisant état d’une expérience dans l’univers de la finance à proprement parler restent minoritaires : 30 % des banquiers centraux ont travaillé dans le public, au ministère des Finances, et seulement 20 % dans le privé.

Cette dernière expérience se révèle néanmoins déterminante en matière de régulation financière ou, plus exactement, de dérégulation.«Le principal enseignement de l’étude, c’est que les banquiers centraux qui ont une expérience passée dans le secteur financier privé sont associés à de plus grandes réformes de dérégulation dans les pays où ils exercent en tant que gouverneurs que leurs confrères», affirment ainsi Prachi Mishra et Ariell Reshef. L’analyse des données montre ainsi que ce type de profil prend, durant son mandat à la banque centrale, trois fois plus de mesures de dérégulation qu’un gouverneur sans expérience dans ce domaine. L’impact de cette expérience semble être encore plus fort dans les pays où le secteur financier est très régulé, car la marge d’assouplissement est plus grande. Une corrélation similaire peut être établie pour les gouverneurs ayant travaillé dans une organisation internationale, surtout s’il s’agit du FMI, dont les anciens ont tendance à favoriser la dérégulation. A l’inverse, ceux des Nations unies ou de la Banque des règlements internationaux (BRI) cherchent davantage à encadrer la finance…

Un impact plus net sur les réformes bancaires

Les banquiers centraux ne peuvent cependant pas être accusés de mener des réformes dans le but de rebondir ultérieurement dans le secteur financier privé, même si c’est le cas pour 25 % d’entre eux après la fin de leur mandat. Les passerelles qui existent entre la banque centrale et la finance sont souvent soupçonnées d’entraîner des conflits d’intérêt, mais les statistiques ne montrent pas de corrélation entre une politique de dérégulation et l’analyse de la carrière des gouverneurs post-banque centrale.

En outre, l’impact d’une expérience dans le secteur financier varie selon que la réforme menée concerne le secteur de la banque ou les marchés. L’analyse des données montre ainsi que cette expérience a une influence significative sur les réformes dans le secteur bancaire, mais pas sur celles concernant les marchés.«L’explication réside dans le fait que, pour beaucoup de banquiers centraux, l’expérience du secteur financier a été acquise dans l’intermédiation du crédit et la banque, pas dans le trading et les marchés», souligne l’étude. Comme ces réformes bancaires peuvent se traduire par une concurrence accrue entre les acteurs, et un moindre contrôle du crédit et des taux, elles ont tendance à favoriser le secteur financier. «L’analyse des données tend à montrer que les réformes bénéficiant au secteur financier sont liées aux gouverneurs avec une expérience dans la finance. De quoi donner du crédit aux inquiétudes des populistes, qui estiment que les banquiers centraux avantagent le secteur financier», préviennent Prachi Mishra et Ariell Reshef.

La nomination d’un professionnel ayant une expérience dans le secteur financier n’est en tout cas pas neutre pour un gouvernement, car elle peut illustrer sa volonté de mettre en place une politique de dérégulation.«En revanche, si l’expérience passée du gouverneur n’a pas été prise en compte lors du choix des candidats, il peut résulter de sa nomination une dérégulation financière qui n’aura pas été désirée», avertissent les chercheurs. Alors que les crises financières ont renforcé, ces dix dernières années, la nécessité de mieux réguler la finance, les pouvoirs publics auront donc, à l’avenir, tout intérêt à s’intéresser de près au passé des candidats au poste de gouverneur de banque centrale.

*«How Do Central Bank Governors Matter ? Regulation and the Financial Sector», Journal of Money, Credit and Banking (mars-avril 2019).

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