Métier

De nouvelles prérogatives pour les trésoriers

Publié le 15 novembre 2019 à 17h34

Anaïs Trebaul

En l’espace de cinq ans à peine, le métier de trésorier a considérablement évolué. Sous l’impulsion des nouveaux outils de trésorerie et de la croissance de la réglementation, la profession se voit dotée de nouvelles prérogatives, sur les sujets informatiques et réglementaires notamment.

Un homme de 46 ans, exerçant dans une entreprise de la région parisienne réalisant plus d’un million d’euros de chiffre d’affaires : voici le portrait type du trésorier en 2019, dressé par l’Association française des trésoriers d’entreprise (AFTE) dans le cadre d’une enquête qu’elle vient de publier. Mais au-delà de ces caractéristiques, il ressort surtout que la manière de travailler des trésoriers s’est fortement transformée ces dernières années.

Des opérations automatisées

Si les missions du trésorier restent les mêmes, leur travail quotidien s’est en effet considérablement digitalisé. «En vingt ans, nous sommes d’abord passés de flux papier à des flux largement dématérialisés, puis nous avons intégré les nouvelles technologies sous la forme des plateformes, des algorithmes et bientôt de la blockchain», remarque Emmanuel Rapin, secrétaire général de l’AFTE. Les banques, sous l’impulsion notamment des fintechs, font il est vrai peu à peu évoluer leurs outils, ce qui simplifie le travail des trésoriers. «Avant, le suivi des frais bancaires était effectué facture par facture ; désormais, les banques commencent à proposer des outils de reporting de ces frais : les CAMT086 par exemple», observe Mickael Djafarpour-Latreille, manager du middle office et du credit management chez Accor.  Et ce n’est pas le seul domaine dans lequel les choses ont évolué. «Il y a encore dix ans, nous recevions les confirmations d’opérations de change ou de placement de trésorerie de la part des banques par fax, rappelle Romy Tognon, responsable de la trésorerie groupe chez Rexel. Désormais, ce processus est automatisé par signature électronique.»

En parallèle, les solutions utilisées par les services trésorerie se sont également sophistiquées, grâce aux nouveaux modules développés ces cinq dernières années dans les outils de gestion de trésorerie, les Treasury management system (TMS). «Ceux-ci sont généralement interconnectés avec, par exemple, les systèmes comptables, mais aussi à des fournisseurs de données, tels que Bloomberg, Reuters etc., explique Mickael Djafarpour-Latreille. Ces outils permettent de simplifier les prévisions de trésorerie, de centraliser les liquidités, de gérer les flux de trésorerie et flux comptables qui sont tous enregistrés quasi automatiquement.»  De quoi générer un gain de temps conséquent pour les trésoriers. «Alors qu’auparavant le processus de réconciliation bancaire (récupération des relevés bancaires, réconciliation avec la trésorerie, calcul de la position de liquidité quotidienne) prenait une journée, il prend désormais seulement 1h avec les TMS actuels», ajoute Romy Tognon.

Des obligations bancaires 

Cette tendance est d’autant mieux accueillie qu’entre-temps, plusieurs évolutions sont venues alourdir la charge de travail de ces professionnels. Depuis 2008, les contraintes réglementaires ont d’abord pris une part croissante de leur agenda. Même si ces nouvelles réglementations créent souvent un pic d’activité temporaire, le temps de leur mise en place, les trésoriers subissent la récurrence de ces obligations. «La lourdeur administrative est pesante», signale Emmanuel Arabian, directeur financement et trésorerie du groupe Seb et co-président du comité de pilotage des journées de l‘AFTE. Le règlement européen sur la transparence des marchés de gré à gré Emir, la directive sur les marchés d’instruments financiers Mifid 2, la directive sur les services de paiement DSP2, la loi Sapin 2 relative à la transparence et à la lutte contre la corruption… toutes impactent les trésoriers. «Les contraintes réglementaires que subissent les banques depuis la crise de 2008 se reportent peu à peu sur notre profession, déplore Emmanuel Rapin. En effet, nous devons par exemple remplir de nombreux documents afin de justifier la bonne conformité des entreprises à ces réglementations.»

Des informations à partager

De plus, auparavant isolée, la profession doit maintenant intervenir auprès d’une multitude d’acteurs. «Nous sommes passés d’un métier très opérationnel, de bureau, à un travail en mode projet», résume Romy Tognon. Les trésoriers sont en effet de plus en plus souvent amenés à être en contact avec des personnes extérieures à leur groupe. «Je suis constamment en veille technologique, réglementaire et financière, commente Romy Tognon. Dans ce contexte, je passe beaucoup de temps à rencontrer les banques, les fintechs, mais aussi avec les trésoriers d’autres entreprises, afin de partager nos bonnes pratiques. Au final, le temps de travail gagné grâce aux outils est plus que compensé par cet impératif.» Les sujets de réflexion sont ainsi très variés : comment la blockchain et l’intelligence artificielle peuvent-elles simplifier la gestion du cash ? Faut-il avoir recours aux cryptomonnaies et au paiement instantané ? Pour les entreprises en BtoC, faut-il ouvrir les modes d’achat à de nouveaux moyens de paiement (QR Code, Unipay) ? etc. Ces questionnements et échanges s’opèrent même en interne. «Nous sommes de plus en plus sollicités au sein de l’entreprise par diverses directions (la direction générale, la direction financière, les ressources humaines, les services commerciaux, etc.), car ils sont tous concernés, in fine, par des flux financiers», met en avant Emmanuel Arabian. 

Des équipes stables

Pour répondre à ces attentes, les responsables en trésorerie ne doivent toutefois pas compter sur un renforcement de leur département. «Les trésoriers ne sont pas épargnés par la pression à la baisse sur les coûts que mènent leurs entreprises, remarque Emmanuel Rapin. Ils sont incités à être plus productifs et efficaces en utilisant les meilleures solutions techniques et les nouvelles technologies.» La profession doit en effet composer avec des équipes assez restreintes, dont la taille ne progresse pas. Selon l’étude menée par l’AFTE sur le trésorier d’entreprise en 2019, 54 % des interrogés font partie d’une équipe de 1 à 5 personnes et ils sont seulement 16 %, contre 20 % en 2017, à être plus de 10. 13 % des sondés sont même seuls à travailler sur la trésorerie au sein de groupes, dont la taille démarre généralement aux alentours de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires.

En conséquence, les trésoriers sont constamment amenés à se former. Plus de la moitié des répondants indiquent suivre au moins une formation au cours de l’année. Ceux-ci cherchent en effet à se tenir informés des changements qui affectent leur profession «La réglementation et les technologies évoluant à un rythme très accéléré, nous devons nous tenir régulièrement au courant de ces changements, indique Emmanuel Arabian. Avant, les nouvelles solutions mettaient plusieurs années à se développer. Maintenant, elles changent en quelques mois !» Mais ils cherchent aussi à se doter de nouvelles compétences, qui n’étaient pas abordées auparavant durant leur parcours universitaire. «Nous ne sommes certes pas informaticiens, mais nous sommes très consommateurs de systèmes informatiques, pointe Emmanuel Arabian. Cette situation nécessite que nous maîtrisions leur fonctionnement pour réussir à les intégrer dans nos process et optimiser leur utilisation nous-mêmes ; il en va de même en cas de problème (ce qui peut arriver). En effet, les équipes IT ne sont pas toujours disponibles pour nous assister compte tenu du nombre réduit d’utilisateurs au sein de l’entreprise.»

Autant d’exigences qui ne semblent toutefois pas dissuader les trésoriers à poursuivre dans cette voie. En effet, 60 % des sondés par l’AFTE indiquent vouloir rester trésorier, alors même qu’ils sont 30 % à évoluer dans le même poste depuis plus de dix ans. «C’est un métier où on ne s’ennuie pas, tant les sujets sont variés et en constante évolution !», apprécie Emmanuel Arabian. Les perspectives salariales peuvent aussi justifier cette fidélité. Selon les chiffres de l’AFTE, un tiers des trésoriers interrogés, qui ont pour la majorité un poste de directeur, ont une rémunération fixe supérieure à 100 000 euros par an, un montant en légère hausse. 

Les 3 missions principales du trésorier

Depuis plus d’une vingtaine d’années, le métier de trésorier couvre trois zones de responsabilité. «La base du métier du trésorier est la gestion des flux, l’encaissement et le décaissement des fonds, rappelle Emmanuel Rapin, secrétaire général de l’AFTE. A cette fonction, s’est ensuite ajoutée celle du financement et des placements. Enfin, avec la croissance des marchés financiers, les trésoriers ont été amenés à gérer les risques financiers de l’entreprise (risque de change, risque de taux d’intérêt, risque lié au prix des matières premières), notamment grâce aux produits dérivés.»

Un manque de candidats idoines

l Même si les équipes dédiées à la trésorerie restent globalement stables, cette situation n’empêche pas les entreprises de recruter, pour compenser certains départs. Toutefois, trouver le candidat idoine s’avère souvent difficile. «Par exemple, nous avons récemment recruté un trésorier junior pour notre équipe, indique Emmanuel Arabian, directeur financement et trésorerie du groupe Seb. Nous avons certes reçu une trentaine de candidatures, en interne et en externe. Néanmoins, la plupart des candidats ne correspondaient pas au poste car ils étaient issus d’un parcours plus comptable. Au final, seules deux ou trois étaient satisfaisantes. Or, malgré la perception qu’ont beaucoup de personnes, la comptabilité et la trésorerie sont deux métiers très différents.»

l Même les collaborateurs ayant suivi une formation en trésorerie ou ayant une expérience dans la profession n’ont pas toujours toutes les compétences recherchées, certaines d’entre elles étant passées au cours des dernières années d’annexes à  primordiales. «Beaucoup de candidats ont un niveau d’anglais trop faible, illustre Emmanuel Arabian. Or 80 % de nos échanges se font en anglais.» Il en est de même pour les compétences digitales. «Il est très difficile de trouver des candidats qui ont à la fois une expérience en trésorerie et une bonne maîtrise des outils informatiques», souligne Romy Tognon, responsable de la trésorerie groupe chez Rexel.

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