Les directions financières dans la crise

Entre deux confinements, Mersen s’adapte

Publié le 13 novembre 2020 à 15h18

Propos recueillis par Anaïs Trebaul

Alors qu’elles commençaient, en septembre dernier, à entrevoir des perspectives de relance, les entreprises sont confrontées, avec le second reconfinement, à de nouvelles incertitudes. Les efforts entamés depuis mars dernier, qui avaient été poursuivis à la rentrée, vont devoir être encore renforcés pour leur donner les moyens de tenir dans un environnement particulièrement complexe et mouvant. Chaque semaine, Option Finance donne la parole à leurs directions financières pour qu’elles témoignent des difficultés qu’elles rencontrent, mais aussi et surtout pour qu’elles partagent avec leurs pairs les solutions qu’elles ont mises en place.

Le spécialiste des solutions électriques et des matériaux avancés, Mersen, a vu son chiffre d’affaires baisser de 12% sur les neufs premiers mois de l’année. Son ouverture à l’international ainsi que sa présence sur le marché du développement durable permettent toutefois au groupe de limiter l’effet de la crise sur son chiffre d’affaires, et d’affronter  plus sereinement le second confinement. La direction financière reste néanmoins vigilante, en maintenant  notamment un suivi plus fréquent de son activité et de ses liquidités. 

La fiche d'identité de Mersen

Chiffre d’affaires 2019 : 950 millions d’euros

Effectifs : 6 500 personnes

Comment la crise sanitaire actuelle affecte-t-elle votre activité ?

Thomas Baumgartner, directeur financier, Mersen : Mersen est spécialisé dans la conception et la production de solutions électriques et de matériaux avancés, à destination de différents marchés (aéronautique, développement durable, et chimie). Notre activité est très internationale : nous sommes présents dans 35 pays, et 91 % de notre chiffre d’affaires est réalisé à l’étranger (essentiellement aux Etats-Unis, en Chine, et en Allemagne).Cette forte internationalisation nous a permis de toujours conserver au moins 85 % de nos sites ouverts depuis le mois de janvier, l’Asie, l’Europe et l’Amérique du Nord ayant chacune été touchées par la Covid-19 à des périodes différentes. Notre activité n’en a pas moins été impactée par la crise sanitaire.

Au second trimestre, elle a baissé de 18 % par rapport à 2019, et au troisième trimestre, elle a diminué de 10 %. Sur les neuf premiers mois de l’année, notre chiffre d’affaires a reculé de 12 %. Notre activité sur les marchés de «développement durable» (composants électroniques et matériaux pour les éoliennes, les panneaux solaires ou encore les véhicules électriques), qui représente plus de 50 % de nos ventes, n’a subi qu’un léger fléchissement de -2 % sur les neuf premiers mois de l’année.En revanche, le marché de la chimie (10 % de nos ventes) a diminué de plus de 15 % sur la même période. Ce dernier dépend en effet d’industries connexes, comme l’automobile, qui ont gelé leurs nouveaux investissements en raison du manque de visibilité sur l’évolution de l’activité. Sans surprise, le marché de l’aéronautique, qui représente 5 % de nos ventes, a été divisé de moitié. Géographiquement, l’Europe, qui représente 34 % de nos ventes, a été le continent le plus affecté par la crise sanitaire avec une baisse du chiffre d’affaires de 17 %. En Amérique du Nord (34 % de nos ventes) notre activité a diminué de 14 %. A l’inverse, en Chine, l’activité est très vite repartie et nous observons désormais une croissance à quasiment deux chiffres sur les neufs premiers mois de l’année. Compte tenu de la situation économique actuelle, nous prévoyons un recul organique du chiffre d’affaires compris entre -12 % et -14 % sur l’année 2020. 

Quelles mesures la direction financière a-t-elle pris dans ce contexte exceptionnel ?

Les principales problématiques que nous avons rencontrées ont été liées à la grande diversité de situation à gérer : la fermeture d’une partie de nos sites de production lors du premier confinement, la baisse de notre production, les problèmes de supply-chain... Au printemps, la direction financière a été particulièrement mobilisée auprès des autres directions, pour les aider à adapter les coûts, en particulier grâce aux mécanismes de chômage partiel. Nous sommes également intervenus auprès de la supply-chain, pour définir le bon niveau de stock, de sorte qu’il ne pèse pas trop sur notre trésorerie, mais que nous puissions réagir en cas de relance. Par ailleurs, nous avons procédé à des suivis plus réguliers et plus précis de notre activité et de nos liquidités.

Si auparavant nous réalisions des prévisions d’activité mensuellement, au plus fort de la crise au printemps nous avons décidé de revoir ces informations chaque semaine (niveau des commandes, niveau des stocks, etc.). Depuis, nous procédons à des prévisions d’activité tous les 15 jours. Nous avons également renforcé le suivi des retards de paiement de nos clients, qui étaient jusqu’à présent analysés de façon mensuelle, en centralisant chaque semaine leur étude au niveau du siège. Là aussi, nous avons conservé ce mode de fonctionnement depuis, en contrôlant ces retards tous les 15 jours.

Nous avons également procédé à un suivi de liquidité plus précis dans les pays où nous ne disposons pas de cash pooling. A l’inverse, nous avons abandonné d’autres reportings que nous jugions moins pertinents vu le contexte, comme le suivi des délais de livraisons clients. Nous les avons repris depuis.En outre, nous avons réduit nos investissements de 20 % par rapport à ce qui avait été budgété pour 2020, en choisissant de nous concentrer davantage sur les investissements en lien avec nos principaux marchés, liés au développement durable. Nous avions également décidé, début avril, de ne pas verser de dividendes cette année. 

Avez-vous eu recours à des dispositifs publics ?

Nous avons eu recours au chômage partiel, en France, où sont situés environ 20 % de l’effectif total du Groupe, mais aussi dans d’autres pays avec des modalités différentes. Nous avons par exemple eu recours à l’activité partielle aux Etats-Unis (environ 20 % de l’effectif mondial également), en utilisant deux systèmes différents en fonction des situations : le furlough (qui s’applique individuellement) ou le workshare (qui s’applique collectivement).

Nous avons également bénéficié de ce dispositif au Canada où il existe un système de subventions salariales versées aux entreprises pour maintenir l’emploi. Au plus fort de la crise, 10 % de nos effectifs mondiaux étaient en chômage partiel. Désormais, ils sont moins de 3 %. En revanche, nous n’avons pas eu besoin de solliciter d’autres dispositifs publics mis en place en France, comme le PGE, ou des reports de charges. En effet, nous bénéficions d’un bilan solide avec des liquidités importantes : 140 millions d’euros de lignes de crédit non utilisées et une trésorerie disponible de plus de 90 millions d’euros à fin septembre 2020. De plus, le Groupe n’a aucune échéance de dette avant novembre 2021. 

Comment votre direction financière s’est-elle organisée ces derniers mois et comment travaille-t-elle aujourd’hui ?

La direction financière de Mersen est composée de 200 personnes, réparties dans les différents pays dans lesquels nous sommes situés. Avant le mois de mars, nous avions déjà recours au télétravail, mais seulement de façon ponctuelle. En France, à l’annonce du confinement, nous avons tous été opérationnels pour travailler à distance du jour au lendemain. Nous avions en effet bénéficié de l’expérience de la Chine, qui a été confinée dès le mois de janvier. Nous étions déjà équipés d’ordinateurs portables, avec accès à nos solutions informatiques de travail. Ainsi, les trésoriers ont pu travailler à distance de façon sécurisée, tout comme le service consolidation ou la comptabilité.Dès le mois de mai, nous sommes retournés au bureau pour recréer le lien entre les collaborateurs, au rythme de trois jours par semaine.

Ce rythme a évolué en fonction de l’évolution de l’épidémie jusqu’à ce second confinement. Aujourd’hui, les équipes financières en France sont de nouveau à 100 % en télétravail, à l’exception des équipes présentes sur les sites industriels qui sont partiellement en télétravail. Etant donné l’incertitude du contexte actuel, nous n’avons pas finalisé les modalités des futures règles de télétravail, mais ce mode de fonctionnement a prouvé qu’il fonctionnait bien et est amené à se développer.

Quels sont vos principaux chantiers désormais ?Ce second confinement freine-t-il vos projets ?

Ce second confinement est différent : d’une part, nous en avons l’expérience et, d’autre part, nos sites sont tous opérationnels même si l’activité est ralentie sur certains marchés.Nous continuons donc de mener nos projets tels qu’ils étaient prévus avant ce reconfinement. En juillet, nous avons finalisé l’acquisition d’une société américaine spécialisée dans les isolants en fibre carbone Americarb (5 millions d’euros de chiffre d’affaires), opération que nous avions lancée avant la crise sanitaire. Nous travaillons actuellement à son intégration. Cette acquisition va nous permettre de nous renforcer sur le marché américain, et de poursuivre notre stratégie consistant à produire là où nous vendons. Nous allons également poursuivre nos projets de R&D et nos investissements dans les véhicules électriques. Actuellement, ce marché représente une faible part de notre activité (15 M€), mais il devrait croître dans les prochaines années, avec l’essor de la demande de véhicules électriques de forte puissance.En revanche, le Groupe s’attend à une activité en forte baisse sur les marchés de l’aéronautique et de la chimie sur l’ensemble de l’année 2020, sans perspective d’amélioration significative avant plusieurs années.

Dans ce contexte, la direction financière continue de travailler avec la direction des ressources humaines pour analyser quelles sont les meilleures alternatives. Nous allons continuer d’utiliser au maximum le chômage partiel là où l’activité est en baisse conjoncturellement. Mais pour les activités les plus affectées structurellement, nous sommes en discussion pour procéder à des réductions d’effectifs au niveau mondial (300 postes pourraient être supprimés sur un grand nombre de sites). En France, à ce stade, 50 personnes sont concernées. Par ailleurs, la direction financière mène actuellement différents projets. D’abord, nous allons poursuivre les formations en finance, organisées par des membres de la direction financière, à destination des opérationnels, que nous avions lancées avant le confinement. Nous sommes notamment en train de travailler pour basculer ces formations sous un format 100 % digital. Ensuite, nous allons accélérer notre transformation digitale. Nous allons mettre en place une plateforme collaborative pour que les financiers du groupe puissent échanger entre eux. Nous allons également déployer un nouveau système digital de gestion des notes de frais plus performant sur les interfaces comptables. Nous allons en outre ouvrir des chantiers de robotisation et automatisation des process (RPA), pour permettre aux financiers de se concentrer davantage sur l’analyse des données.

Enfin, nous sommes actuellement en train de travailler sur la préparation du budget 2021, qui est plus complexe compte tenu du peu de visibilité que nous avons sur l’évolution de l’activité. Nous réfléchissons à fixer des objectifs internes avec un horizon plus court, les objectifs annuels ayant moins de sens actuellement. 

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