Expertise

L’anglais s’impose dans les directions financières

Publié le 18 octobre 2019 à 16h01

Anaïs Trebaul

Dans les grands groupes comme dans les ETI, les membres des directions financières sont de plus en plus amenés à parler anglais, que ce soit en interne ou avec leurs partenaires extérieurs. Afin de s’assurer du niveau de leurs collaborateurs, les entreprises testent dorénavant systématiquement la maîtrise de l’anglais dès l’entretien d’embauche.

«I am a CFO and I speak english» : plus qu’une simple tendance, la maîtrise de l’anglais est désormais devenue la norme pour bon nombre de financiers d’entreprises, et pas uniquement pour ceux qui évoluent dans des grands groupes. «En 2002, le comité financier se tenait uniquement en langue française et les critères de recrutement exigeaient plutôt une très bonne maîtrise de celle-ci, parfois avant le bagage technique ! se remémore Grégory Sanson, directeur général adjoint Finance et Developpement de Bonduelle. Désormais, nos réunions de directeurs financiers se tiennent en anglais et c’est plutôt la maîtrise de l’anglais qui est testée lors du recrutement.»

Il faut dire que l’activité française s’est considérablement internationalisée. Selon les dernières statistiques de l’Insee, les groupes français ont près de 45 200 filiales à l’étranger, les groupes étrangers concentrent 11 % des effectifs salariés français et contrôlent près de 34 000 entreprises en France, les importations et des exportations représentent 31 % du PIB français...

Une pratique quotidienne

Cette ouverture contraint donc un nombre croissant de directions financières à travailler plus fréquemment en anglais. C’est notamment le cas lorsque les financiers sont rattachés à un groupe international ou à une direction qui n’est pas francophone.

«La fréquence d’utilisation de l’anglais dépend de la nationalité du groupe et de celle de ses dirigeants, souligne Alexandra Proniewski, directrice associée chez Upward Finance. Par exemple, si une entreprise est française mais que le patron de la division auquel le financier est rattaché est étranger, alors l’ensemble des communications écrites se fera en anglais.» Une situation qu’illustre par exemple Engie. «L’arrivée de Judith Hartmann en tant que directrice générale adjointe du groupe et directrice financière, avec un parcours très international, a contribué à accélérer le recours à l’anglais, constate Karine Sirmain, directrice trésorerie, risques et assurances chez Engie. Au sein du siège, l’anglais est désormais notre langue de travail : nous le parlons et l’écrivons au quotidien. De plus, nous sommes six au comité de direction de la direction financière, avec quatre nationalités différentes et tout le monde parle un anglais courant. Par ailleurs, au sein de nos business unit, qu’elles soient en France ou à l’étranger, nos financiers parlent au quotidien la langue du pays dans lequel ils sont situés. Mais lorsqu’ils interagissent avec le siège, les échanges se font en anglais.»

Ces exigences s’opèrent également quand le groupe est ouvert sur l’extérieur (filiales ou clients étrangers par exemple). «Notre directeur général étant francophone, nous lui présentons donc les comptes en français, explique Myriam Guillotin, directrice de la consolidation et du contrôle de gestion holdings du groupe Havas. Néanmoins, sur 500 filiales, seulement environ 80 sont situées dans des pays francophones. Nous devons donc régulièrement échanger avec elles en anglais. Généralement, je rédige 80 % de mes mails en anglais et je le parle environ deux fois par semaine. Toutes nos instructions sont rédigées en français et en anglais, et celles de notre maison mère sont exclusivement en anglais.» Une situation partagée par la direction financière de Bonduelle. «Notre développement en Amérique du Nord à travers l’acquisition de Ready Pac Foods a marqué un point d’étape dans notre utilisation de l’anglais, relève Grégory Sanson. En effet, désormais 75 % de notre chiffre d’affaires est réalisé hors de France. De plus, un tiers de notre flottant est détenu par des actionnaires étrangers. De ce fait, j’utilise tous les jours l’anglais, à l’oral, et à l’écrit.»

Un anglais testé en entretien

Ainsi, pour simplifier ces échanges dans la langue de Shakespeare, certaines entreprises incitent leurs collaborateurs à renforcer leur maîtrise de l’anglais. «Nos collaborateurs bénéficient d’un accompagnement personnalisé pour progresser en anglais, avec des formations en présentiel ou par visioconférence», souligne Grégory Sanson. Surtout, de nombreux responsables financiers ont adapté le déroulé des entretiens d’embauche pour s’assurer du profil bilingue des candidats. Désormais, rares sont ainsi les offres d’emploi en finance où l’anglais ne fait pas partie des compétences requises. «90 % des postes pour lesquels nous sommes sollicités par nos clients requièrent de l’anglais, constate Alexandra Proniewski. Et même si l’anglais n’est pas forcément requis pour un poste, il est nécessaire de le maîtriser un minimum pour évoluer ensuite vers d’autres fonctions au sein d’un même groupe.» Certains groupes vérifient uniquement la faculté du candidat à tenir une conversation. «Lors des recrutements en comptabilité et en consolidation, je vérifie systématiquement le niveau d’anglais du candidat, prévient Myriam Guillotin. Pour cela, je les interroge sur leurs intérêts en dehors du travail, leurs vacances… Des choses assez simples pour vérifier leur correcte compréhension de l’anglais. Par ailleurs, je demande un niveau équivalent au minimum à 700/990 au Toeic (examen standardisé d’anglais) pour les consolideurs et à 500/990 pour les comptables et les contrôleurs de gestion.» D’autres vont plus loin en termes d’exigences. «J’évalue en entretien le niveau d’anglais des candidats et leur fluidité sur des aspects techniques, financiers et conversationnels, mais également la manière dont ils peuvent gérer une problématique par exemple ou leur style de management, affirme Alexandra Proniewski. Si le candidat n’a pas un niveau fluide, cela peut être rédhibitoire pour le recrutement de postes à responsabilité en finance. Par ailleurs, le score obtenu au Toeic ne reflète pas toujours le niveau du candidat : certains peuvent avoir plus de 800 et ne pas avoir le niveau requis pour le monde de l’entreprise.»

La recherche de professionnels maîtrisant cette langue peut néanmoins s’avérer parfois ardue. «S’il est assez aisé de trouver un responsable ou un directeur financier avec un niveau d’anglais courant, le recrutement de comptables ou de responsables comptables ayant un niveau d’anglais correct a toujours posé problème, observe Alexandra Proniewski. Ils sont souvent passés par un cursus académique où l’anglais n’était pas toujours dispensé ou très peu.» Le cabinet de recrutement Robert Half a même récemment qualifié le métier de comptable bilingue comme étant actuellement celui le plus recherché en finance d’entreprise.

Une analyse moins précise ?

Certains professionnels constatent que les échanges en anglais empêchent parfois les financiers d’aller plus loin dans leurs questionnements. «Les réunions en anglais durent moins longtemps que celles en français, remarque Grégory Sanson, directeur général adjoint Finance et Developpement de Bonduelle. L’analyse perd parfois en subtilité et précision comparée à une langue maternelle. L’utilisation de la langue anglaise appauvrit parfois les discussions en particulier sur les sujets de “soft skills” comme le management et ou les ressources humaines.» 

Des formations pour progresser

  • Face au besoin croissant des directions financières à maîtriser l’anglais, les spécialistes de la formation ont adapté leurs programmes. «Nous accompagnons surtout les financiers pour les aider à mieux communiquer à l’oral en anglais en situation professionnelle : les conséquences d’une mauvaise communication dans le domaine financier qui requiert rigueur et précision peuvent être graves et notamment conduire à de mauvaises prises de décision, alerte Sana Ronda, présidente de Linguaphone. Souvent, les cadres financiers avec un niveau d’études élevé ont de bons acquis passifs en anglais. S’ils comprennent l’écrit, ils n’osent pas toujours prendre la parole par manque de pratique, de confiance et par peur du jugement des autres. L’écriture est moins un frein car il y a de nombreux outils qui bien utilisés permettent une communication efficace en anglais.» Ainsi, les formations visent essentiellement à mettre en situation les financiers. «Nous accompagnons les financiers à communiquer efficacement en anglais dans leurs différentes situations de travail, gérer une communication téléphonique, participer à une conférence téléphonique, à une réunion ou encore écrire vite et bien un mail précis et concis», détaille Sana Ronda.
  • Des demandes de formations que certains espèrent bien voir progresser. «Avec la réforme de la formation professionnelle, les salariés sont autonomes quant au choix de la formation qu’il souhaite suivre, l’accord de leur employeur n’est plus requis pour que la formation choisie soit financée, remarque Sana Ronda. Nous avons constaté une hausse de la demande de formation de la part des salariés de PME, pour qui le dispositif a été simplifié et l’accès facilité.»    

Des supports de travail en anglais

Certains outils informatiques utilisés par les directions financières nécessitent de maîtriser un minimum de vocabulaire en anglais. «Tous nos logiciels (gestion, comptabilité, consolidation) sont libellés en anglais et en français, note Karine Sirmain, directrice trésorerie, risques et assurances chez Engie. Mais si nos équipes utilisaient la version française il y a une dizaine d’années, ils ont désormais recours d’eux-mêmes à la version anglaise.»

De même, de plus en plus de documents sont rédigés en langue anglaise. «Depuis maintenant dix ans, tous nos reportings financiers et nos présentations internes sont rédigés en anglais», affirme Grégory Sanson, directeur général adjoint Finance et Developpement de Bonduelle.

La maîtrise de l’anglais s’impose pour un nombre croissant de métiers

L’anglais est exigé dans une palette de plus en plus large de métiers financiers. «Auparavant, les financiers qui utilisaient l’anglais étaient surtout ceux qui travaillaient avec des parties prenantes étrangères : le service financement et fusion-acquisition, au contact des banques étrangères, le service consolidation pour travailler sur les normes internationales IFRS et échanger avec les filiales, le contrôle de gestion pour dialoguer avec les opérationnels…, rappelle Karine Sirmain, directrice trésorerie, risques et assurances chez Engie. Dorénavant, la maîtrise de l’anglais s’étend à d’autres fonctions (transactionnelles, comptables) qui jusqu’à présent n’étaient pas forcément amenées à le parler.» Cette évolution s’explique notamment par le changement d’organisation de certaines entreprises. «Au sein du groupe, notre comptabilité est organisée en centres de services partagés (CSP), poursuit Karine Sirmain. De ce fait, nos comptables peuvent être amenés à travailler avec des clients qui ne sont pas forcément implantés là où la transaction est enregistrée.»

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