Finance

Le Brexit perturbe le marché du recrutement

Publié le 9 septembre 2016 à 16h11    Mis à jour le 9 septembre 2016 à 17h22

Audrey Spy

Si depuis l’annonce du Brexit, le marché de l’emploi des financiers en Europe n’a pas connu de bouleversements majeurs, des évolutions sont à prévoir. Les banques et les sociétés de gestion réfléchissent à revoir l’implantation de leurs équipes, notamment pour certains métiers.

Le Brexit va-t-il avoir une conséquence sur l’emploi dans la finance en Europe ? Indéniablement, la réponse est oui pour les chasseurs de têtes. Pourtant si certains établissements financiers comme HSBC avaient annoncé, dès le début de l’année, leur intention de rapatrier une partie de leurs équipes basées à Londres en Europe continentale en cas de Brexit, dans les faits il y a eu peu de mouvements ces derniers mois. Il est vrai que depuis l’annonce du résultat du référendum en juin, le gouvernement britannique n’a toujours pas engagé le processus de sortie. Pour autant, le marché de l’emploi à Londres a été le premier affecté par la décision du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne.

Des expatriés inquiets

Selon une étude réalisée par le cabinet de conseil en recrutement Morgan McKinley, les offres d’emplois de financiers à Londres ont chuté de 12 % au mois de juillet. Mais la situation pourrait à l’avenir encore se dégrader.

«Pour l’instant, nous n’avons pas constaté de gel de nos missions de recrutement sur le marché britannique, observe Florence Soulé de Lafont, associé chez Heidrick & Struggle. Néanmoins, le Brexit préoccupe beaucoup nos équipes basées à Londres. Leur activité de chasse va nécessairement en pâtir même s’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur les évolutions de ce marché.»

Les chasseurs de têtes ont néanmoins d’ores et déjà observé une première tendance qui concerne les expatriés à Londres. Même si les négociations portant sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne n’ont pas commencé, ces derniers ne savent pas s’ils pourront continuer à travailler dans ce pays. A l’heure actuelle, ils n’ont en effet pas besoin de visa ou de permis de travail en qualité de citoyens de l’Union européenne pour y exercer, mais à l’avenir la donne pourrait changer. «Les financiers français qui travaillent aujourd’hui à Londres peuvent le faire librement, mais demain ils devront probablement détenir un visa», estime Danielle Nassif, responsable des services financiers du groupe de conseil en recrutement Kienbaum Consultants International.

Certains prennent donc les devants pour se reclasser en France.«Nous avons reçu entre 30 à 40 % de candidatures spontanées supplémentaires depuis le mois de juillet de la part de financiers installés à Londres», précise Romain Boisnard, associé chez Tillerman. Mais les recruteurs reçoivent surtout des candidatures de profils juniors. «Les personnes qui ont moins de dix ans d’expérience sont plus promptes à se repositionner rapidement, indique Florence Soulé de Lafont. Plus sensibles au risque, les professionnels seniors ont tendance à mûrir plus longuement leur décision de changer d’emploi.»

En revanche, les employeurs n’ont quant à eux pas encore modifié leur plan de recrutement. «Nous avons récemment eu le cas d’une société de gestion qui recherchait un gérant qui partagerait son temps de travail entre Londres et Paris, et elle n’a pas changé de stratégie depuis l’annonce du Brexit», relève Romain Boisnard. Mais ce cas de figure pourrait à l’avenir être sérieusement remis en cause. «Les directeurs des ressources humaines ou même les dirigeants d’établissements financiers s’interrogent aujourd’hui sur l’impact du Brexit sur leurs activités et la façon dont ils doivent d’ores et déjà revoir l’implantation de leurs équipes», confie Danielle Nassif. Cette réflexion va nécessairement avoir des répercussions sur leur politique de recrutement dans les mois à venir.

Des changements dans les banques

Le sujet du Brexit ne va néanmoins pas affecter toutes les fonctions financières. Les plus gros changements vont concerner les professionnels des banques. Dans un contexte réglementaire déjà très pénalisant, les établissements bancaires pourraient encore réduire leur masse salariale. «Le marché de l’emploi reste particulièrement difficile dans les banques, reconnaît Florence Soulé de Lafont. Les grands établissements ont encore des équipes surdimensionnées dont il cherche à réduire les effectifs, notamment dans certains métiers de banque de financement et d’investissement, comme dans le coverage ou les financements.» Cette tendance pourrait néanmoins davantage s’accentuer au Royaume-Uni plutôt que dans les autres pays européens, notamment en France.

Les places financières de ces pays pourraient au contraire profiter de l’installation de nouveaux acteurs sur leur sol.«Les établissements étrangers, notamment américains ou asiatiques, qui officiaient depuis Londres pour couvrir l’Europe vont certainement réduire leurs équipes à Londres et s’installer directement en Europe continentale, notamment à Paris ou Francfort», espère Florence Soulé de Lafont. Ce cas de figure ne s’applique pas aux plus grandes banques étrangères qui ont déjà au moins un bureau de représentation commerciale en France. Mais il est valable pour des établissements de taille plus modeste, et même pour des sociétés de gestion. « Les acteurs britanniques dans la gestion alternative, notamment dans le private equity, qui ne disposaient pas d’implantations en dehors du Royaume-Uni, vont certainement être intéressés à recruter des équipes en Europe continentale s’ils ne peuvent plus aussi facilement couvrir cette zone depuis le Royaume-Uni», illustre Florence Soulé de Lafont.

En dehors des fonctions commerciales ou de gestion, d’autres métiers pourraient également être affectés. Ces dernières années de nombreux établissements financiers ont en effet décidé de déplacer à Londres leurs équipes de recherche, ou de back et middle office… Elles devraient très clairement revoir cette organisation dans le cadre du Brexit. «Les banques pourraient par exemple décider de redéployer une partie de leurs métiers support, notamment dans le cadre de leurs activités de trading en Europe continentale», commente Romain Boisnard. Pour le moment, les modalités de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne restent tellement floues que la situation ne devrait pas évoluer avant plusieurs mois. «Il faudra au moins deux à trois ans avant de véritablement voir quelles stratégies les établissements financiers auront choisi pour faire évoluer leurs ressources humaines dans le cadre du Brexit», conclut Romain Boisnard. D’ici là, les financiers ont tout intérêt à bien réfléchir à leur carrière pour être prêt à rebondir en cas de besoin.

La France veut attirer les talents

De l’avis de tous les professionnels, la place de Paris pourrait avoir une carte à jouer pour renforcer son pouvoir d’attraction des financiers en Europe dans le cadre du Brexit.

. Jusqu’à présent l’Hexagone attirait peu les talents internationaux pour plusieurs raisons. «Dans le cadre des missions de conseil en recrutement que je conduis depuis plus de vingt ans, j’ai été régulièrement mandatée pour attirer des profils internationaux à Paris, ce qui a souvent été relativement difficile : malgré le cadre de vie, les rémunérations et surtout la fiscalité y étaient souvent moins attractives, rappelle Danielle Nassif, responsable des services financiers du groupe de conseil en recrutement Kienbaum Consultants International. Cela pourra désormais être plus aisé si la place de Londres devient moins compétitive à cet égard.»

. Pour cela, la France doit néanmoins renforcer son attractivité même si le gouvernement a d’ores et déjà annoncé des mesures fiscales incitatives. En juillet dernier, le Premier ministre Manuel Valls a proposé des aménagements au régime des impatriés en France. Ce régime permet de soustraire à l’impôt la prime d’impatriation, c’est-à-dire le surplus de rémunération qui est perçu par un professionnel étranger s’installant en France. Un impatrié peut actuellement bénéficier de ce dispositif, qui exonère d’impôt de 15 à 50 % de son revenu, pendant une durée de cinq ans, mais à l’avenir cette dernière pourrait être étendue à huit ans. De même, la prime d’impatriation pourrait être exonérée de taxe sur les salaires.

. Si les modalités de ces deux mesures doivent encore être précisées, d’autres aspects peuvent entrer en ligne de compte. «Alors que le Royaume-Uni doit respecter la même réglementation en ce qui concerne l’encadrement des rémunérations variables dans l’industrie financière, le niveau des bonus y est déjà nettement plus élevé qu’en France, nuance Florence Soulé de Lafont. Il ne faudrait pas que le Royaume-Uni puisse à l’avenir encore augmenter l’écart de rémunération en n’ayant plus à respecter les règles européennes en vigueur.»

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