Les directions financières dans la crise

Legrand investit pour sa croissance

Publié le 28 mai 2021 à 12h15

Anaïs Trebaul

Spécialisé dans les infrastructures électriques et numériques, Legrand n’a pas été épargné par la crise sanitaire : au premier trimestre 2020, il a perdu 22,8 % de son chiffre d’affaires. Toutefois, après une reprise progressive de son activité au deuxième semestre 2020, le groupe a vu, au premier trimestre dernier, son chiffre d’affaires dépasser ses niveaux de 2019.Pour soutenir sa croissance, il a choisi de se concentrer sur ses segments d’activité les plus porteurs, comme ceux des data centers et des produits connectés. Dans ce cadre, le groupe compte poursuivre ses investissements en R&D et en outils de production, ainsi que ses acquisitions externes.

Comment la crise a-t-elle affecté votre activité jusqu’à présent ?

Franck Lemery, directeur financier du groupe Legrand : Notre activité est dédiée aux offres et solutions numériques et électriques des bâtiments. Elle est destinée aux bâtiments résidentiels (40 % de notre chiffre d’affaires), aux bâtiments non résidentiels (40 %), ainsi qu’aux data centers (10 %) et à l’industrie et aux infrastructures. Au niveau géographique, nous vendons nos produits dans 180 pays. L’’essentiel de notre chiffre d’affaires est réalisé en Europe (39 %) et en Amérique du Nord et centrale (41 %), mais nous sommes également présents en Asie, notamment en Chine et en Inde.

En 2020, notre chiffre d’affaires a enregistré une baisse organique de 8,7 %. La crise sanitaire a d’abord affecté nos revenus chinois, qui ont diminué de l’ordre de 50 % au premier trimestre 2020. Puis l’ensemble des zones où nous sommes présents a été impacté par la crise. Sur le seul mois d’avril 2020, quand de nombreux pays étaient confinés, notre chiffre d’affaires mondial a connu une baisse organique de – 41 %, avec des pays où il n’y a quasiment pas eu de facturation. Durant cette période, nous avons dû arrêter temporairement notre production dans certains pays, où cela était interdit, comme en France, en Inde et localement aux Etats-Unis. A l’inverse, en Italie par exemple, nous n’avons pas eu d’arrêt de production. Ensuite, notre activité est repartie mais elle est restée inférieure à 2019. Au deuxième trimestre 2020, notre chiffre d’affaires était en baisse organique de 22,8 %, puis au deuxième semestre 2020, il était en retrait de 2,5 % par rapport à l’année précédente.

Nos activités sur les bâtiments résidentiels et les data centers ont bien résisté à la crise, portées par le développement des offres pour la maison connectée et l’essor des besoins de digitalisation. En revanche, notre activité sur les bâtiments non résidentiels est celle qui en a le plus souffert.

En parallèle, malgré la baisse de nos revenus, nous avons réussi à limiter l’impact de la crise sur nos autres indicateurs financiers. Notre marge opérationnelle ajustée a ainsi atteint 19,1 % à périmètre constant contre 20 % en 2019. Ce bon niveau est notamment le fruit d’une solide maîtrise des prix de vente et d’achat ainsi que d’un ajustement significatif des frais par rapport à 2019, notamment des frais de communication, de déplacements, de logistique et de personnel. Les investissements d’avenir – comme la R&D et le digital – ont quant à eux été préservés. 

Notre cash-flow libre s’est par ailleurs établi à plus d’un milliard d’euros pour la deuxième année consécutive, représentant 16,9 % du chiffre d’affaires, après 15,8 % en 2019. Enfin, notre bilan est resté solide avec un levier (dette nette/Ebitda) de 1,9 fin 2020 et une trésorerie de 2,8 milliards d’euros contre 1,7 milliard d’euros en 2019.

La fiche d’identité de Legrand

  • Secteur d’activité : Infrastructures électriques et numériques du bâtiment
  • Chiffre d’affaires 2020 : 6,1 Mde
  • Effectifs : 36 700
  • Coté en Bourse, indice CAC 40

Quelles mesures la direction financière a-t-elle mises en place pour faire face à cette situation exceptionnelle ?

Les mesures que nous avons prises sont de deux ordres : des mesures court terme de protection contre les effets de la crise et des mesures structurelles de préparation de l’après-crise.

Etant présents en Chine, nous avons été très réactifs et avons tenu notre première réunion de gestion de crise au niveau groupe dès la fin janvier. Cela nous a permis de rapidement mettre en place les mesures sanitaires les plus strictes pour continuer à opérer et servir nos clients lorsque la crise sanitaire a touché le reste du monde.

D’un point de vue financier, nous avons tout d’abord refait un exercice budgétaire complet avec, dès avril, une révision complète de notre activité pays par pays, afin de piloter la performance du groupe avec un bon référentiel. Puis, nous nous sommes concentrés sur notre gestion du cash afin de sécuriser les liquidités éventuellement nécessaires pour faire face à la crise. Fin mars, nous avons tiré un tiers de notre crédit syndiqué indexé à des critères RSE – le premier réalisé au sein du CAC 40 en 2019 –, soit 300 millions d’euros. Quelques jours plus tard, juste avant la quasi-fermeture du marché des NEU CP courant avril 2020, nous avons porté notre programme de billets de trésorerie à 1,2 milliard d’euros. Enfin, en mai, par précaution et car son coût était attractif (coupon de 0,75 %), nous avons décidé d’émettre un emprunt obligataire de 600 millions d’euros, sur 10 ans, qui a été sursouscrit trois fois. Dans un contexte d’amélioration graduelle de l’activité et de très bonne tenue de notre génération de cash, nous avons remboursé notre crédit syndiqué en septembre dernier.

Notons par ailleurs que nous avons choisi, par approche citoyenne et parce que notre situation de trésorerie le permettait, de ne pas faire appel à des aides publiques en France, qu’il s’agisse du PGE, des reports d’échéances fiscales, ou du chômage partiel. Dans certains pays où les aides étaient automatiques, nous en avons bénéficié, comme par exemple en Chine, où nous avons été automatiquement exemptés de certaines charges sociales.

En parallèle et pour préparer l’après-crise, nous avons préservé nos leviers de croissance. Nous avons réalisé quatre acquisitions en 2020, une avant la pandémie et trois en fin d’année, soit un rythme en ligne avec nos habitudes. Nous avons également choisi de continuer à investir pour poursuivre notre développement, nous avons ainsi dédié 2,5 % de notre chiffre d’affaires aux investissements en 2020 – contre entre 3 % et 3,5 % habituellement – et 5,1 % de notre chiffre d’affaires à la R&D – un niveau légèrement supérieur à un rythme standard. Les lancements de nouveaux produits se sont poursuivis.

Comment la direction financière travaille-t-elle depuis un an ?

La crise a deux conséquences principales sur nos façons de travailler : plus de travail à distance et plus de digitalisation.

La direction financière du groupe est composée d’environ 70 personnes basées à Limoges et à Paris, mais également à l’étranger. Avant la crise sanitaire, le télétravail existait en France à travers un accord spécifique, mais il était rare. Actuellement, nos équipes financières reviennent environ une journée par semaine au bureau. Nous allons progressivement revenir à un rythme plus normal, néanmoins le télétravail va être amené à perdurer.

Nos auditeurs internes, qui réalisent une trentaine d’audits par an, notamment à l’étranger, ont dû s’adapter. Depuis un an, environ la moitié des audits ont été réalisés à distance, avec parfois des contraintes de décalage horaire. La relation avec nos actionnaires, activité primordiale pour une société du CAC 40 avec un flottant supérieur à 95 %, s’est entretenue exclusivement à distance mais s’est également intensifiée avec un nombre de contacts avec les investisseurs quasiment doublé.

Pour pouvoir travailler à distance, nous avons renforcé la digitalisation de nos process comme par exemple nos flux de validation, mais également notre relation bancaire par exemple via la signature électronique de toutes nos opérations de couverture. Enfin, nous avons porté un effort significatif sur les formations en e-learning pour nos salariés, notamment la cybersécurité ou l’éthique des affaires.

« Pour pouvoir travailler à distance, nous avons renforcé la digitalisation de nos process comme par exemple nos flux de validation, mais également notre relation bancaire, par exemple via la signature électronique de toutes nos opérations de couverture. »

Quels sont désormais les principaux chantiers de la direction financière pour accompagner votre relance ?

Le début de l’année est bon avec un chiffre d’affaires en croissance organique au premier trimestre de + 13 % par rapport à l’année dernière et même + 5 % par rapport à 2019 et une marge opérationnelle ajustée de + 3 points au-dessus de 2020. Nos objectifs sont donc orientés vers la croissance des ventes et le retour de la marge et de la génération de cash aux bons niveaux auxquels Legrand est habitué : en termes d’activité, nous visons pour 2021 une croissance organique comprise entre + 4 % et + 7 %, complétée par au moins + 3 % d’effet des acquisitions. A moyen terme, en prenant en compte nos acquisitions, notre chiffre d’affaires devrait progresser de + 5 % à + 10 % par an hors change. Notre marge opérationnelle ajustée devrait, elle, atteindre 20 % en moyenne, et notre cash-flow libre s’établir entre 13 %-15 %.

Le premier chantier de la direction financière est de contribuer à ce modèle moyen terme par le pilotage de la performance mais également par l’allocation pertinente de nos investissements : au cours des cinq dernières années, Legrand a consacré en moyenne 1 milliard d’euros aux investissements d’avenir (R&D, investissements industriels et acquisitions). Il faudra les diriger vers les bons segments de croissance (offre de produits connectés, data centers, solutions participant aux économies d’énergie et à la baisse de CO2) et vers l’acquisition de sociétés à fort leadership. Nous réalisons un chiffre d’affaires de 6,1 milliards d’euros, sur un marché de 100 milliards ; les opportunités de consolidation restent donc nombreuses. En septembre prochain, nous allons organiser un « investor day », afin de détailler l’adéquation de notre modèle moyen terme à la situation post-Covid. Ce sera le premier depuis le début de la crise sanitaire, mais celui-ci devrait tout de même s’organiser à distance.

De plus, nous travaillons par anticipation à notre calendrier de refinancement, notre prochaine échéance d’emprunt obligataire étant avril 2022. Ce sera l’occasion de réfléchir à la devise la plus pertinente dans laquelle s’endetter et aux modalités d’un nouveau financement, et de mettre en place un financement indexé sur nos engagements RSE.

Par ailleurs, le troisième chantier sera lié aux enjeux RSE. D’une part, il s’agira de conclure avec succès notre quatrième feuille de route RSE pour la période 2019-2021 : cette feuille de route est constituée d’engagements qui contribuent aux objectifs de développement durable de l’ONU et qui se mesurent via 18 indicateurs (émission de CO2, santé et sécurité au travail, achats responsables, diversité et inclusion, formation, etc.). D’autre part, il s’agira de construire la cinquième feuille de route RSE du groupe. En parallèle, nous travaillons sur la mise en place de la taxonomie européenne, qui vise à classer les activités des entreprises selon leur caractère durable.

Enfin, nous allons poursuivre les projets de digitalisation. Je pense en particulier au déploiement d’outils RPA (automatisation de processus) : nous avons déjà quelques projets pilotes, mais nous souhaitons étendre ces solutions à plus grande échelle au sein du groupe. Une équipe de la direction financière travaille actuellement sur ce sujet.  

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