Ressources humaines

Les cabinets d’expertise comptable en quête de nouveaux profils

Publié le 31 octobre 2019 à 17h31

Anne del Pozo

Alors que la loi Pacte a redéfini le périmètre de leurs prestations, les cabinets d’expertise comptable s’attachent à proposer de nouveaux services à leurs clients. Une tendance qui, associée à la digitalisation de leurs processus, les contraint à faire monter en compétences leurs collaborateurs ainsi qu’à attirer de nouveaux spécialistes.

«Les professionnels de l’expertise comptable pourront proposer une offre de “full service” bien connue dans les autres pays, et très utile aux petites entreprises.» Président de BDO France, Philippe Arraou ne cache pas sa satisfaction, à l’instar de la plupart de ses homologues. Dans le cadre de la loi Pacte, les cabinets d’experts-comptables sont en effet dorénavant autorisés à délivrer certaines prestations annexes, par exemple dans les domaines juridique, fiscal et de gestion des flux (encaissements et paiements). Attendue depuis longtemps, cette ouverture tombe à point nommé : les spécialistes s’accordent en effet aujourd’hui à dire que les demandes de leurs clients sont moins construites autour de la production de documents réglementaires et s’articulent davantage autour de services à valeur ajoutée. «Désormais, avec la loi Pacte, nous pouvons répondre à ces attentes et accompagner officiellement les dirigeants dans leur stratégie d’entreprise, par exemple sur leurs opérations de croissance externe, le développement de leur marque employeur pour faire face à leurs enjeux de recrutement, leurs démarches de positionnement face aux défis environnementaux…», illustre Jean-Loup Rogé, président d’Implid (ex-Segeco).

Pour la profession, ce changement intervient en pleine poursuite de la transformation numérique initiée il y a plusieurs années déjà. «La digitalisation concerne directement les experts-comptables car la matière qu’ils utilisent chez leurs clients, la donnée financière et comptable, est aujourd’hui totalement dématérialisable», rappelle Philippe Arraou. Certes, les cabinets n’ont pas tardé à s’engager dans cette voie : les outils de «scannérisation» et d’automatisation sont utilisés depuis longtemps pour intégrer les données dans les comptabilités. Mais l’innovation technologique en cours va néanmoins leur faire passer un cap. «Désormais, les technologies nous permettent d’intégrer de l’intelligence artificielle dans la captation de données et de proposer par ailleurs à nos clients de véritables plateformes collaboratives, poursuit Jean-Loup Rogé. Grâce à cela, nous avons par exemple pu mettre à la disposition de nos clients l’an dernier un chatbot pour toutes les questions récurrentes relatives au prélèvement à la source.»

Une maîtrise des concepts informatiques

Ce contexte réglementaire et technologique n’est pas neutre pour les experts-comptables, qui doivent déployer de nouvelles qualités. Certes, les compétences sur le plan comptable restent indispensables. «Mais cette connaissance technique doit nécessairement être enrichie d’une bonne pratique de la gestion des données : manipulation de fichiers, analyse de la donnée, restitution d’informations, etc., poursuit Philippe Arraou. Au-delà de la comptabilité, il s’agit ainsi d’organiser le système d’information de l’entreprise, et les experts-comptables sont les mieux placés pour s’en charger.» Les cabinets recherchent donc de plus en plus des profils ayant une réelle appétence pour les nouvelles technologies, et une capacité à innover et à développer des outils digitaux.

A cet effet, Mazars a par exemple revu ses process de formation interne. «Nous proposons à nos experts-comptables de suivre des formations sur la robotisation des outils comptables, informe Mathilde Le Coz, directrice développement des talents et innovation RH. Nous organisons par ailleurs des hackathons de 48 heures sur des problématiques spécifiques comme «quelles tâches robotiser pour apporter un service plus efficient à nos clients». Mazars intervient également en amont, dans les écoles préparant au diplôme d’experts-comptables, sur des contenus davantage orientés conseils, data et numérique. «Enfin, nous recrutons pour notre pôle R&D des profils d’ingénieurs, très orientés nouvelles technologies, et en particulier des data scientists», ajoute Mathilde Le Coz.

Pour sa part, BDO a mis en place une formation consacrée à la transformation digitale de l’économie et des entreprises. Celle-ci est adressée à la totalité de son équipe et proposée à ses clients. «Nous formons par ailleurs nos collaborateurs à l’utilisation des produits que nous sélectionnons pour moderniser notre offre et l’enrichir, indique Philippe Arraou. Nous sommes aussi preneurs de toute technologie permettant de réduire les temps de traitement des opérations qui n’ont pas de valeur ajoutée pour nos clients. Il s’agit d’opérer un changement de mentalité qui nécessite plus de présence chez nos clients et plus d’implication dans leur business. Enfin, nous engageons une action de formation généralisée à la gestion de la donnée pour enrichir les compétences techniques de nos équipes, que ce soit en expertise comptable, en expertise sociale ou en audit. C’est un virage à prendre pour s’adapter à la transformation digitale de notre économie, que nous prenons collectivement.»

Avocats et huissiers dans la ligne de mire

Face à ces enjeux, les cabinets d’expertise comptable doivent aussi travailler sur leur organisation et professionnaliser les services qu’ils souhaitent proposer à leurs clients. «Soit nous les sous-traitons auprès de partenaires spécialisés, soit nous recrutons ou formons nos équipes sur de nouvelles compétences, explique Jean-Loup Rogé. Pour développer notre activité de recouvrement de créances, nous avons par exemple fait le choix de renforcer notre équipe en recrutant des avocats spécialisés en contentieux et préparons l’arrivée d’huissiers.» La diversification de leur activité les conduit également de plus en plus à recruter des candidats ayant des doubles diplômes. «Pour le développement de nos activités de consulting, nous recherchons des personnes ayant le sens de la relation client», signale Mathilde Le Coz. Une compétence que le cabinet trouve notamment chez les candidats diplômés d’expertise comptable et d’une école de commerce.

Des mandats implicites

La loi Pacte permet à l’expert-comptable de bénéficier d’un «mandat implicite» pour certaines missions. Ce constat vaut par exemple lorsqu’il représente ses clients devant l’administration fiscale et les organismes de sécurité sociale, ou encore lorsqu’il réalise un accompagnement à la création d’entreprise ou une assistance aux démarches déclaratives. Par ailleurs, l’expert-comptable peut désormais effectuer à titre accessoire et pour le compte de ses clients le recouvrement amiable des créances ou le paiement de dettes dès lors qu’un mandat de règlement lui a été confié. Il a également la possibilité de réaliser des travaux d’ordre financier, environnemental ou numérique, dans la mesure où il n’en fait pas l’objet principal de son activité.

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