Cession à un grand groupe

Un marathon pour les directeurs financiers de PME-ETI

Publié le 17 juillet 2015 à 15h40    Mis à jour le 17 juillet 2015 à 18h36

Guillaume Clément

La cession d’une PME-ETI constitue un chantier éprouvant pour son directeur financier. Alors qu’il lui faut continuer d’assurer la gestion des tâches quotidiennes, il doit trouver le temps de répondre aux nombreuses questions des repreneurs potentiels, tout en maintenant la confidentialité de l’opération.

Alors que les opérations de fusions-acquisitions de taille significative sont peu nombreuses depuis plusieurs mois, les rachats de PME-ETI par des grands groupes tendent à se multiplier en France. Dernier exemple en date, l’acquisition du spécialiste de l’énergie solaire Solairedirect par Engie, qui suit celles récentes d’Oralys (santé et hygiène) par le groupe américain Ranir, de Montabert (industrie) par Joy Global ou encore des Papeteries Pichon par Manutan. Même si ces opérations sont souvent le résultat d’une stratégie de croissance externe offensive de groupes internationaux, il n’est pas rare qu’elles soient à l’initiative des «cibles». «Les PME-ETI cherchent parfois à intégrer un groupe industriel lorsque leur dirigeant historique est sur le départ ou qu’elles sont à la recherche de nouvelles ressources, notamment financières, pour atteindre des objectifs de développement hors de leur portée en tant qu’entreprise indépendante», constate ainsi Coralie Oger, avocat associé au sein du cabinet FTPA. La reprise de Solairedirect s’inscrit par exemple dans ce cadre. «Tandis que nous avions besoin de lever une quantité importante de fonds pour financer le développement de notre stratégie à l’international, il nous a paru intéressant de nous appuyer sur un groupe pouvant nous faire bénéficier de sa solidité financière et de son expertise en distribution d’énergie, illustre Julien Pourquéry, directeur administratif et financier de Solairedirect (173 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014/2015). C’est pourquoi nous avons commencé à réfléchir à une cession.»

Une décision qui marque le début d’un véritable marathon pour le directeur financier de la PME-ETI concernée. «Je n’essaie même plus de compter le nombre de nuits et de week-ends que j’ai passés avec mon directeur général et nos conseils pour préparer la vente de notre société, confie Pierre-Yves Hentzen, directeur administratif et financier de l’éditeur de solutions de sécurité informatique Arkoon Network Security (26 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014), devenu une filiale d’Airbus Defence and Space il y a deux ans. Je recevais parfois des e-mails contenant plus de 300 questions par jour de la part de nos repreneurs potentiels, tout en devant m’acquitter en parallèle de mes tâches habituelles !»

Une charge de travail conséquente à laquelle il est difficile de couper pour un directeur financier, qui doit souvent mener ces deux chantiers de front, seul, pour des raisons de confidentialité. «Nous ne voulions pas que nos concurrents, nos fournisseurs, nos clients et nos équipes apprennent que nous cherchions à nous vendre, insiste Pierre-Yves Hentzen. Non seulement cela aurait pu chahuter notre cours boursier et celui de nos repreneurs potentiels, mais cela aurait surtout risqué d’instaurer une ambiance anxiogène parmi nos équipes et nos partenaires. C’est pourquoi j’ai dû agir seul.»

 

Des atouts à mettre en valeur 

Souvent, les directeurs financiers sont tenus de s’impliquer dès le début du processus de cession, afin d’identifier des repreneurs éventuels. «Mon président-directeur général et nos actionnaires majoritaires m’ont demandé de présélectionner plusieurs acquéreurs potentiels, explique le directeur financier d’une PME active dans le secteur industriel. J’ai proposé une dizaine de groupes en lien avec notre secteur d’activité et avec lesquels nous avions parfois déjà noué des relations commerciales, en tant que fournisseur.» Dans certains cas, c’est une banque d’affaires qui se charge de cette tâche (voir encadré). Pour autant, cela n’empêche pas le directeur financier d’être très sollicité. «J’ai participé à la rédaction d’une note de deux pages présentant notre société de manière anonyme afin de susciter l’intérêt des acheteurs, illustre Pierre-Yves Hentzen. Nous y avons indiqué les éléments essentiels liés à notre situation financière (chiffre d’affaires, résultat net, etc.), notre position sur notre marché, nos perspectives de croissance et le profil de repreneur que nous recherchions.»

Mais ce «teaser» n’est toutefois qu’une première étape. Rapidement, il convient en effet pour les directeurs financiers de mettre au point un argumentaire complet, sur lequel les dirigeants s’appuieront pour négocier les meilleures conditions de vente possibles. «Les PME-ETI ont tout intérêt à mettre en avant et à exposer de manière précise les synergies que leurs acquéreurs potentiels pourront dégager, explique Geoffroy Pacault, directeur M&A chez PwC. L’un de nos clients, un groupe industriel français, s’est par exemple décidé à acquérir une PME américaine entre autres parce que le directeur financier de cette dernière avait su lui présenter ces économies de manière chiffrée. Il lui a en effet démontré qu’en plus de tirer profit des bénéfices issus de la vente des produits de cette PME aux Etats-Unis, il pourrait utiliser son carnet d’adresses et son réseau de distribution pour commercialiser ses propres matériaux sur le sol américain, un marché où notre client n’était jusqu’alors pas présent.»

Pour nombre de groupes acquéreurs, la structuration de la fonction finance des PME-ETI est un autre élément particulièrement important. «Pour avoir les meilleures chances d’améliorer la valorisation de leur société, les directeurs financiers doivent mettre en avant leur capacité à produire des reportings réguliers et de qualité car c’est une preuve de sérieux et d’efficacité, souligne Pascal Corcos, associé chez PwC. Les groupes valorisent également les chantiers structurants qu’ont réussi à mener les directions financières par le passé, comme des refontes de procédures ayant permis de réduire leurs délais de clôture des comptes ou l’amélioration de leur processus de relance clients.» Dans ce contexte, il est pertinent d’optimiser le fonctionnement de la direction financière avant de lancer une opération d’ouverture du capital ou de vente. «Comme nous comptions initialement nous introduire en Bourse, nous avons décidé il y a un an de passer de la publication d’un rapport d’activité annuel à des rapports trimestriels, illustre Julien Pourquéry. Cette démarche a été très appréciée par les investisseurs lorsque nous avons finalement opté pour un processus de cession.»

 

Des informations à sélectionner avec prudence 

Si la phase en amont des négociations accapare déjà significativement les directeurs financiers, ces derniers ne sont pas au bout de leurs efforts. En effet, c’est sans conteste la période de due diligence qui suit la signature d’un accord de confidentialité et l’entrée en négociations exclusives qui se révèle la plus éprouvante pour eux. «J’ai dû récupérer auprès de différents collaborateurs opérationnels et ordonner un volume considérable d’informations financières, juridiques et techniques, liées par exemple à la valeur de nos brevets, tout en veillant à ne pas éveiller leurs soupçons», se souvient Pierre-Yves Hentzen. Une tâche pour laquelle les directeurs financiers peuvent être amenés à élaborer de véritables stratagèmes pour ne pas être démasqués. «Nous rencontrions systématiquement nos conseils et nos repreneurs hors de nos bureaux respectifs, confie Julien Pourquéry. Nous désignions également notre projet de cession par le nom de code “opération Newton” lors de nos échanges par e-mail et par téléphone.»

Dans ce contexte, le développement des «data rooms» dématérialisées, c’est-à-dire des plateformes Internet servant à partager des documents durant un processus de due diligence, est perçu favorablement par les directeurs financiers, qui n’ont plus à se soucier de voir leurs collaborateurs s’interroger sur la venue d’équipes de repreneurs potentiels dans leurs locaux. Outre cette caractéristique, ces «data rooms» sont aussi appréciées pour leur simplicité d’utilisation et leur capacité importante de stockage de documents. Une faculté qui ne doit toutefois pas amener les directeurs financiers à céder à la tentation d’y poster trop d’informations à ce stade. «Nous recommandons aux PME-ETI de ne pas communiquer, dans un premier temps, leurs données sensibles comme les prix facturés à leurs clients car leur repreneur potentiel pourrait se servir de ce type d’informations contre elles si l’acquisition venait à échouer, surtout si celui-ci est un concurrent», précise Coralie Oger. Ces données sont en effet généralement dévoilées lorsque l’acquisition entre dans sa dernière ligne droite, avec d’autres éléments «de dernière minute». «A quelques jours de la signature de notre contrat de cession avec Airbus Defence and Space, je recevais encore des demandes de documents fiscaux et de prévisions de trésorerie mis à jour, illustre Pierre-Yves Hentzen. Ce n’est qu’une fois le closing réalisé, plus de deux ans après le début des discussions, que j’ai enfin pu souffler.»

Un répit qui se révèle toutefois généralement de courte durée pour les directeurs financiers puisqu’ils doivent sans délai préparer leur prochain chantier : l’intégration de la société au sein de son nouveau groupe !

Quand approcher les repreneurs potentiels ?

·      Le choix du timing est primordial pour maximiser les chances d’une PME-ETI d’être rachetée par un groupe. Avant d’entamer un processus de cession, les directeurs financiers ont d’abord tout intérêt à identifier les facteurs susceptibles d’impacter la valorisation de leur société, afin de les améliorer en amont lorsqu’ils le peuvent. De l’avis des professionnels, la signature d’un important contrat avec un client, le remboursement d’une créance significative ou le règlement d’un litige judiciaire sont les principales raisons justifiant de reporter une vente. «L’objectif consiste à se présenter aux repreneurs en bénéficiant de résultats financiers solides et d’un profil de risque qui soit le plus faible possible», explique Pascal Corcos, associé chez PwC.

·      Par ailleurs, les directeurs financiers doivent aussi se tenir au courant de l’actualité de leurs repreneurs potentiels. «Si ces derniers ont annoncé ou ont récemment procédé à d’importantes opérations de croissance externe, il vaut parfois mieux attendre quelques mois avant de se présenter à eux», indique Geoffroy Pacault, directeur M&A chez PwC.

 

Le facteur «humain» influence le choix des conseils

Durant un processus de cession, nombre de directeurs financiers de PME-ETI s’appuient sur des conseils officiant au sein de banques d’affaires et de cabinets d’avocats. «Il aurait été très délicat pour moi de mener à bien ce chantier si une part importante de celui-ci n’avait pas été prise en charge par des professionnels externes», confie Pierre-Yves Hentzen, directeur administratif et financier d’Arkoon Network Security.

Citant fréquemment le facteur «humain» comme étant l’un des éléments les plus importants pour motiver leur choix, certains directeurs financiers privilégient les équipes avec lesquelles ils ont déjà travaillé par le passé. D’autres ne prennent en revanche leur décision qu’à l’issue d’un appel d’offres. «Nous avons retenu PwC, après avoir évalué quatre autres banques d’affaires, car ses équipes ont démontré la meilleure connaissance de notre secteur d’activité, ainsi que la meilleure compréhension de notre projet et de notre culture d’entreprise, indique Pierre-Yves Hentzen. En outre, le réseau de repreneurs potentiels dont dispose le conseil est primordial pour ce type d’opération.»

Relance : Entre 6 et 9 mois, la durée moyenne d’une opération de cession d’une PME-ETI à un groupe, d’après les professionnels.

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