INTERVIEW - Samih Elhage, executive vice president, directeur financier et opérationnel de Nokia Networks

«A l’instar d’Alcatel-Lucent, Nokia a dû se restructurer»

Publié le 2 octobre 2015 à 16h01    Mis à jour le 2 octobre 2015 à 18h29

Arnaud Lefebvre

Alors que la fusion avec Alcatel-Lucent sera effective début 2016, les équipes financières de Nokia travaillent actuellement sur les implications liées à ce rapprochement. Ces dernières, qui portent notamment sur la répartition des effectifs ainsi que sur la migration des systèmes d’information, vont directement concerner Nokia Networks, l’activité du groupe finlandais en charge de la fourniture de produits et de services aux opérateurs télécoms qui assure près de 90 % du chiffre d’affaires consolidé. En proie à d’importantes difficultés financières il y a quelques années, Nokia Networks s’est restructurée depuis trois ans. Samih Elhage, son directeur financier et opérationnel, revient sur les mesures ayant permis ce redressement.

Nokia s’apprête à racheter les activités d’Alcatel-Lucent. Cette opération va avoir des impacts directs sur Nokia Networks, dont vous êtes notamment le directeur financier. Quelle est la place de Nokia Networks dans le groupe ?

Le groupe Nokia opère dans trois domaines : la cartographie et la géolocalisation intelligente à travers sa division HERE (970 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014) ; le développement de solutions innovantes pour les mobiles ainsi que la gestion du portefeuille de brevets et de commercialisation de licences, assurés par Nokia Technologies (578 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014) ; la fourniture de produits et de services aux opérateurs télécoms via Nokia Networks (11,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2014). Cette dernière activité recouvre, par exemple, l’édition de logiciels d’infrastructure réseau ou le déploiement de stations de transmission de base utilisées par les opérateurs. Présente dans 120 pays, il s’agit de la principale division du groupe car elle représentait l’année dernière près de 88 % du chiffre d’affaires consolidé de Nokia (12,73 milliards d’euros). Avec la vente de HERE annoncée en août dernier, le groupe va achever sa transformation en se recentrant sur les activités de Nokia Networks et Nokia Technologies.

En 2011, Nokia Networks, en proie à des difficultés financières, avait lancé un vaste plan de restructuration, portant notamment sur d’importantes réductions de coûts ainsi que sur des licenciements. Quelles ont été les implications de cette stratégie de redressement pour la direction financière ?

Cette phase de redressement s’est traduite par d’importants changements. Sur le plan humain, d’abord, une baisse sensible des effectifs de la fonction finance a été réalisée. De manière plus structurelle, nous avons surtout fait évoluer certaines de nos pratiques dans le but de gagner en compétitivité. Ce chantier a concerné plusieurs volets, comme le reporting. Par exemple, pour mesurer la profitabilité de nos contrats, nous nous focalisions, avant 2012, uniquement sur la rentabilité moyenne au niveau de chaque pays. Or cette vue d’ensemble ne permettait pas de déceler immédiatement des dossiers pour lesquels un problème manifeste de tarification se posait, retardant ainsi la mise en œuvre de mesures correctrices. Désormais, nous bénéficions de reportings très détaillés, avec une ventilation pour l’intégralité des contrats. De la même manière, la présentation de notre besoin en fonds de roulement est dorénavant plus fine : les sources de rentrées de cash ainsi que les dépenses sont détaillées avec davantage de précision, ce qui est précieux pour optimiser des indicateurs comme le DSO (délai de paiement clients), le DIO (nombre de jours durant lesquels un bien reste en stock) ou encore le DPO (délai de règlement des fournisseurs).

Plus récemment, des changements importants liés à d’autres événements sont aussi intervenus en termes de gestion du cash. Jusqu’en 2013, Nokia Networks, qui s’appelait alors Nokia Siemens Networks (NSN), constituait une joint-venture détenue de manière quasi paritaire avec le groupe allemand Siemens. La trésorerie était alors gérée indépendamment au niveau des deux activités de la division (produits et services). Mi-2013, Nokia a racheté la participation de Siemens (49,9 % du capital). A la suite de cette prise de contrôle intégrale, l’organisation a été revue. Depuis l’année dernière, les liquidités de Nokia Networks remontent quotidiennement vers le cash pooling du groupe. Cette centralisation présente plusieurs avantages. D’abord, elle permet d’alléger notre structure, avec des équipes de trésorerie plus réduites. Ensuite, le fait de ne plus avoir à gérer diverses devises au niveau des divisions limite le volume de produits de couverture à souscrire et simplifie notamment le pilotage du cash. Enfin, les rendements liés aux placements de trésorerie – la trésorerie nette s’élevait à 5 milliards d’euros fin 2014 – se trouvent optimisés.

Dernière évolution en date : la vente de notre activité de terminaux mobiles à Microsoft en avril 2014 a impliqué quelques modifications au niveau des outils informatiques utilisés, certains d’entre eux ayant été transférés au groupe américain.

  • L’organisation de la fonction finance de Nokia Networks est calquée à la fois sur la présence géographique de la division ainsi que sur ses lignes de métiers. En ce qui concerne ces dernières, Nokia Networks intervient dans deux activités : les produits (mobile broadband) d’un côté, les services (global services) de l’autre. Les deux directeurs financiers en charge de chacune d’elles sont directement rattachés à Samih Elhage. Sur le plan géographique, Nokia Networks est implantée dans trois grandes zones : Asie, Moyen-Orient et Afrique ; Europe et Amérique latine ; Amérique du Nord. l Afin d’optimiser ses processus de ventes, Nokia Networks a modifié l’organisation des équipes commerciales, le 1er avril dernier, en créant sept branches régionales : Japon et Asie-Pacifique, Europe, Chine, Inde, Amérique latine, Afrique et Moyen-Orient, et enfin Amérique du Nord. Chacun de ces marchés est suivi par des directeurs financiers, qui rapportent également à Samih Elhage. Pour les assister dans leur tâche, ceux-ci s’appuient sur des directeurs financiers pays, au nombre de 120. Ces responsables supervisent à leur tour des collaborateurs, affectés à des tâches classiques comme la comptabilité, le contrôle de gestion, le suivi des coûts…

  • Enfin, l’organisation est complétée par un centre de services partagés (CSP). Cette structure s’occupe de la consolidation des comptes et de l’encaissement des factures. Dès que les équipes locales enregistrent une commande dans le système, ces équipes sont alors chargées du recouvrement. Bien que rattaché à Nokia Networks, ce CSP présente la particularité d’officier pour l’ensemble du groupe (divisions et holding). Un choix motivé par la taille de Nokia Networks.

Avant de devenir directeur financier de Nokia Networks en 2013, vous aviez intégré cette division l’année précédente en tant que directeur opérationnel. Une fonction que vous avez conservée. En quoi ce cumul des postes, peu courant dans les grands groupes, a-t-il facilité le redressement de la société ?

Au sein du groupe, seule la division Nokia Networks affiche une telle configuration. Depuis plus de deux ans, ce mode de fonctionnement s’est révélé extrêmement efficace car il a largement contribué à accélérer l’amélioration de notre performance financière : négative en 2011 et 2012, notre rentabilité sur capitaux employés (ROCE) est par exemple redevenue positive depuis 2013. A titre d’illustration, je vérifie, en tant que directeur opérationnel, l’intégralité des grands projets de contrats négociés par les équipes commerciales dans le monde. Si je constate que les investissements nécessaires sont trop importants ou que la rentabilité prévue est trop faible, nous essayons de rectifier certaines dispositions du contrat. En cas d’impossibilité, nous nous retirons d’emblée du dossier.

Ce choix d’organisation me paraît également essentiel dans l’environnement économique actuel. Dans un secteur aussi concurrentiel que celui des télécoms, la rapidité d’exécution se révèle primordiale. Le fait d’avoir rassemblé ces deux fonctions permet de gagner du temps dans la prise de décisions et leur exécution, conférant ainsi à Nokia Networks un véritable avantage compétitif.

Outre vos fonctions chez Nokia Networks, vous faites également partie de l’équipe de direction du groupe Nokia. En quoi consiste cette dernière ?

Cette équipe resserrée de cinq personnes rassemble le président-directeur général de Nokia (Rajeev Suri), le président de HERE (Sean Fernback), le président de Nokia Technologies (Ramzi Haidamus), le directeur financier du groupe (Timo Ihamuotila) et moi-même. En règle générale, nous nous réunissons une fois par mois, et davantage si besoin, afin d’élaborer la stratégie globale du groupe. Nous discutons aussi bien du business plan que de la politique d’implantation, en passant notamment par l’examen des solutions de financement les plus intéressantes, l’évaluation des diverses synergies réalisées ou à venir et les opérations de croissance externe à mener.

En matière de fusion-acquisition, le rapprochement de Nokia avec Alcatel-Lucent a été validé cet été par la Commission européenne. Etes-vous intervenu directement dans ce dossier ?

Absolument, cette opération a été pilotée par le PDG, avec le soutien d’une petite équipe dont la mission consistait à déterminer les modalités de la fusion. J’étais partie intégrante de cette équipe qui a élaboré le plan complet de la fusion.

Quelles vont être les implications de cette fusion pour la direction financière de Nokia Networks ?

Il est encore trop tôt pour les connaître précisément car nous ne sommes qu’au début du processus. A ce stade, une équipe chargée d’évaluer les impacts globaux pour la future entité a été mise en place. Plusieurs de mes collaborateurs en font partie. Ceux-ci devront notamment identifier les évolutions en termes de migration de systèmes d’information et d’effectifs. Ces travaux vont se poursuivre au cours des prochains mois. L’offre publique d’échange devrait être lancée au début du premier semestre 2016.

Outre ce vaste chantier, sur quels projets travaillez-vous également avec vos équipes ?

Depuis notre restructuration, nous nous sommes engagés dans une démarche d’amélioration continue («continual improvement process»). En conséquence, nous nous interrogeons en permanence sur l’efficacité de nos processus et de nos outils. A l’exception de l’intégration d’Alcatel-Lucent, peu de chantiers purement financiers sont toutefois programmés à ce jour. Les projets que nous menons ou étudions relèvent davantage de problématiques opérationnelles, comme par exemple les développements dans le cloud ou le déploiement de la technologie de télécommunication 5G.

Le parcours de Samih Elhage

Diplômé de l’Université d’Ottawa en ingénierie électrique et télécommunications ainsi qu’en économie, et polytechnicien (Montréal), Samih Elhage débute sa carrière au sein de l’opérateur téléphonique Bell Canada en 1990, où il intervient notamment sur des problématiques de développement du réseau. Huit ans plus tard, il est recruté par le fournisseur d’équipements de réseaux canadien Nortel. Il y occupe plusieurs postes, parmi lesquels ceux de vice-président en charge de la division «corporate business operations» et de président de la division «carrier VoIP & application solutions». En 2011, il quitte le groupe pour rejoindre la société de capital investissement américaine Madisson Dearborn Partners en tant que conseil. L’année suivante, il intègre Nokia Siemens Networks comme directeur opérationnel. En février 2013, il est nommé directeur financier de la division, tout en conservant ses précédentes attributions. En mai 2014, Samih Elhage a été promu vice president et directeur financier et opérationnel de Nokia Networks, ainsi que membre de l’équipe de direction de Nokia Group.

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