Comment travaillent…

Les directeurs financiers de l’immobilier professionnel 

Publié le 30 mai 2014 à 9h47    Mis à jour le 25 juin 2014 à 10h47

Morgane Remy

Après plusieurs années difficiles dans l’immobilier professionnel, que ce soit de bureaux ou de locaux commerciaux, les grands groupes ont tiré leur épingle du jeu en réajustant leurs coûts, en trouvant les financements nécessaires au développement de grands projets mais aussi en réalisant des acquisitions pour se renforcer sur le marché. Une stratégie qui s’appuie beaucoup sur les compétences de la direction financière.

Le marché de l’immobilier à destination des entreprises en France semble redémarrer. Le premier trimestre 2014 a vu le marché des bureaux français croître de 19 % comparativement à la même période en 2013, notamment grâce à la reprise de grandes transactions, selon le dernier baromètre de BNP Paribas Real Estate. Pour les locaux commerciaux, la reprise est moins franche mais les foncières réussissent à innover et à trouver des relais de croissance localisés. Globalement, selon la dernière enquête de l’Insee de février 2014, le chiffre d’affaires des activités immobilières est en hausse sur les trois derniers mois (+ 0,7 %) et sur un an (+ 1,3 %). La croissance est faible mais encourageante. «Ils ont le sentiment que la situation s’améliore, note Geoffroy Schmitt, associé PwC spécialiste de l’immobilier. Avec le retour d’investisseurs classiques, notamment les assureurs européens et les fonds de pension nord-américains, mais aussi avec l’arrivée de nouveaux institutionnels venant du Moyen-Orient et d’Asie, nous avons le sentiment que la dynamique de marché va s’accélérer en 2014.»

Si un certain soulagement se fait ressentir, les professionnels et les directeurs financiers ne crient pas pour autant déjà victoire. Le secteur reste très certainement en bas de cycle et souffre encore des conséquences de la crise immobilière, qui dure depuis le début de la crise financière de 2007. «Même si nous avons la sensation que le gros des difficultés est derrière nous, le marché reste marqué par le fait que les entreprises ont réduit pendant des années leur budget immobilier, explique Nathalie Palladitcheff, membre du comité exécutif, en charge des finances, du juridique et de l’informatique d’Icade, ainsi que du pôle services. Le prix au mètre carré a été affecté et le marché demeure favorable aux locataires.» Le rapport de force étant défavorable pour les sociétés du secteur, les marges se sont érodées. Les directeurs financiers reconnaissent cette difficulté structurelle mais ne sont pas pour autant restés passifs.«Le déséquilibre entre la demande et l’offre que nous avons connu a amené certains marchés vers des prix low cost, dans une spirale déflationniste, témoigne Benoît Salvert, directeur financier de CBRE France. Notre rôle a alors été d’aider l’entreprise à s’adapter, en trouvant le moyen de créer plus de valeur.» Ainsi, le rôle des responsables de directions financières s’est affirmé dans ce secteur pour adapter la structure de coûts à un marché difficile et rendre leur société plus compétitive.

L’optimisation des coûts, un levier pour conserver ses marges

Sans surprise, le rôle des directions financières a donc consisté à réduire les coûts afin de préserver les marges. «Nous ne nous focalisons pas uniquement sur les loyers et nous descendons plus bas dans le P&L en travaillant sur la réduction des dépenses, améliorant notre gestion des charges refacturées à nos locataires comme nos frais généraux et de personnel», explique Jean-Michel Gault, directeur général délégué en charge des finances de Klépierre. Ce groupe a donc mis en place une gestion très serrée des impayés, réduit le nombre de locaux vacants et travaillé sur la refacturation des charges aux locataires. JLL a eu une démarche similaire en cherchant à améliorer sa facturation. «Il ne s’agit pas d’augmenter nos tarifs mais bien de trouver le meilleur prix pour chacune de nos prestations, note Emmanuel Joachim, chief operating officer Europe du Sud chez JLL. Le pilotage s’est affiné, avec des suivis du temps passé par consultant et par dossier, à l’heure près.» Le groupe s’est ainsi doté d’un outil informatique afin de suivre les allocations en ressources humaines. Grâce à lui, il peut étudier la profitabilité par client et par dossier, la direction financière proposant alors des mesures correctrices si la prestation a été sous-évaluée. «Dans ce cas, nous apportons des preuves pour négocier avec le client, poursuit Emmanuel Joachim. Comme nous sommes dans une démarche de démonstration, nous obtenons souvent gain de cause.» A l’instar de ce qui se passe chez JLL, la réduction des coûts est donc doublée d’une recherche d’optimisation des tarifs, une démarche mise en œuvre par la direction financière grâce à de nouveaux outils informatiques adaptés.

Le financement, un sujet quotidien de préoccupation

Outre les frais quotidiens et les questions de facturation, la préoccupation des directeurs financiers reste avant tout celle du financement dans cette industrie fortement capitalistique. «La dette est stratégique pour l’entreprise et représente 33 % de la valeur de notre patrimoine, ce dernier s’élevant à 4 milliards d’euros», explique Nicolas Reynaud, directeur général délégué de la Société foncière lyonnaise. En outre, les conditions de financement pour ces foncières sont actuellement favorables ; les directeurs financiers en profitent pour anticiper la prolongation de la maturité de leur dette tandis que les taux sont actuellement faibles. «Dans ce contexte d’Euribor historiquement bas, les promoteurs et foncières anticipent leur refinancement et sont très actifs auprès de leurs banques, analyse Geoffroy Schmitt. Ces dernières, ayant assaini leur bilan, sont pour leur part de nouveau très présentes, mais un peu moins pour le développement d’actifs, jugé plus risqué.»

Dans ce cadre, et alors que le marché de la dette est plus dynamique que jamais, les foncières comme les promoteurs se tournent de plus en plus vers l’obligataire. «Les marchés sont profonds, liquides et peu coûteux alors que le marché bancaire est plus restreint, poursuit Nicolas Reynaud. Ainsi, nous sommes passés d’un financement par 100 % de crédit bancaire en 2010 à deux tiers de dette obligataire aujourd’hui !» Cette dernière est composée de deux émissions publiques, pour des maturités de cinq ans. Le marché obligataire apporte à la fois des sommes suffisamment importantes pour financer des projets immobiliers d’envergure et des maturités adaptées à ces derniers, le tout à un prix jugé attractif. «Nos baux se tiennent sur plus de six ans, et nous souhaitons aligner notre financement sur ces derniers, explique Nathalie Palladitcheff. Pour y parvenir, nous avons des financements hypothécaires, mais ils ne sont pas flexibles en termes de gestion du bien immobilier. Nous privilégions donc actuellement l’obligataire qui offre des maturités de sept à dix ans, à très bas coût.» Icade, qui possède une dette de 4,5 milliards d’euros pour 10 milliards d’euros d’actifs, devrait d’ailleurs être très actif sur ce segment dans les mois à venir. Le groupe avait effectivement pris du retard ces derniers mois en se focalisant sur l’acquisition de Silic. Alors que l’obligataire ne représente que 25 % de ses financements, il entend porter rapidement cette part à plus du tiers de sa dette globale !

Mais si l’intérêt du financement obligataire est indéniable dans ce secteur, il demande néanmoins des efforts de la part de la direction financière afin d’obtenir la notation adéquate. Cette dernière interagit donc de plus en plus avec les agences de notation et prend même des décisions à l’aune des critères imposés par ces dernières. Le ratio dette sur valeur du patrimoine est ainsi surveillé de près, ce qui peut conduire les entreprises à procéder à des révisions stratégiques. Cela a notamment été le cas de Klépierre, qui a cédé près de 2 milliards d’euros de patrimoine à un consortium d’investisseurs mené par Carrefour. «En réduisant la dette à moins de 6 milliards d’euros, nous avons renforcé notre profil financier», explique Jean-Michel Gault. Grâce à cette cession, l’entreprise a vu son rating passer de BBB+ à A-.«Cela nous positionne comme valeur de référence pour les grands institutionnels, ce qui est indispensable pour lancer de nouveaux programmes d’immeubles», ajoute Jean-Michel Gault. Le groupe rejoint ainsi les grandes foncières dites premium, avec une notation «A», et qui sont jugées comme des actifs à la fois sécurisés et rémunérateurs par les grands investisseurs institutionnels.

Un secteur en concentration

Consolider sa situation financière est d’autant plus primordial dans ce secteur que celui-ci est confronté à une forte concentration. Par exemple, Icade a acquis récemment Silic et la Compagnie La Lucette. «La taille du groupe n’est pas une fin en soi, elle répond à un véritable souhait du marché, explique Nathalie Palladitcheff. Les investisseurs en equity comme en dette attendent des véhicules d’investissement avec une surface financière étendue.» Les entreprises doivent être capables de leur proposer des produits immobiliers d’envergure, avec de nombreux locataires louant de grands plateaux, afin à la fois de diversifier le profil de risque de la foncière et d’attirer les grands groupes, plus solvables, comme clients. En outre, les acquisitions permettent également de répondre à un marché en berne soit en diversifiant les immeubles proposés, soit en diversifiant l’activité elle-même. Ainsi, pour Klépierre, l’objectif est de trouver des actifs dans des villes porteuses de croissance en Europe. «Si le contexte de la consommation des ménages est généralement difficile, il y a des régions dynamiques, bénéficiant de perspectives démographiques favorables et d’un pouvoir d’achat élevé, explique Jean-Michel Gault. Nous acquérons donc de petites foncières qui ont déjà des locaux sur place pour nous développer sur de nouveaux marchés, à moindre risque.»

Pour CBRE, la croissance externe est plutôt un moyen de développer de nouvelles compétences, afin d’offrir un service plus haut de gamme et de compenser la baisse des honoraires sur les transactions. «Grâce à de petites ou moyennes acquisitions réalisées ou en cours, nous pouvons désormais identifier des niches de services, comme l’assistance maîtrise d’ouvrage et l’aménagement d’espace qui permettent d’accompagner le client sur toute la chaîne de valeur de l’immeuble», explique Benoît Salvert. Même approche chez son concurrent direct JLL qui procède à des acquisitions pour récupérer des talents.«Il était plus efficace d’acquérir Tétris, ID Conseil et GCL plutôt que de débaucher des équipes de nos concurrents et de progresser dans notre activité de conseil et d’aménagement des bureaux», témoigne Emmanuel Joachim. L’enjeu de ces acquisitions consiste donc pour ces sociétés à en conserver les équipes. La direction financière travaille donc, avec la direction des ressources humaines, sur les modalités d’intéressement des cadres. De manière générale, dans ce contexte de concentration, ces entreprises veillent également à ne pas devenir elles-mêmes la cible de l’un de leur concurrent. Et, là encore, gagner en taille reste encore la meilleure stratégie!

Chiffres clés

• Les entreprises dans l’immobilier interviennent sur deux marchés, celui destiné aux ménages et celui pour les entreprises, représentant au total une valeur marchande de 336,8 milliards d’euros.

• Les activités immobilières ont contribué à hauteur de 2 % du PIB de la France et à 1 % de l’emploi salarié total.

• 327 000 salariés travaillent pour ce secteur, un chiffre en recul de 2 % sur dix ans en raison de la crise.

• En février 2014, selon l’Insee, le chiffre d’affaires des activités immobilières est en hausse  de 0,7 % sur les trois derniers mois et de 1,3 % sur un an.

 Sources : Agefos PME, 2011

Kaufman & Broad - La direction financière accompagne le lancement d’une activité d’immobilier de bureau

Le promoteur Kaufman & Broad a décidé de se relancer, il y a deux ans, dans la construction de bureaux, une activité qu’il avait fortement réduite dans les années 1990. Cette dernière était en effet plus risquée, mais se révèle également plus rémunératrice. Dans un contexte immobilier peu dynamique, la diversification du groupe permet de retrouver de la croissance… à condition de bien encadrer les risques.

. La direction financière a précisément étudié le business model de cette activité composée de grands projets. «Les projets sont plus longs, trois à quatre fois plus que ceux de logements, et peuvent nécessiter chacun un besoin en fonds de roulement significatif», explique Bruno Coche, directeur général adjoint finance. Le profil de risque n’est donc pas le même que celui des constructions pour particuliers où les investissements initiaux sont moindres et le retour sur investissement plus rapide. La direction financière a alors travaillé en binôme avec la direction des opérations afin d’encadrer le risque de chaque projet.

. Une fois le projet validé, Bruno Coche s’implique directement, avec son trésorier, pour trouver les financements. «Les fonctions financières et juridiques accompagnent  les opérationnelles en amont puis, lors des négociations avec l’investisseurs, l’achat du terrain, le passage des actes de ventes et la mise en place des garanties liées à ces opérations», précise Bruno Coche. Ensuite, les cinq à six opérations menées de front sont encadrées par un contrôleur de gestion,

qui rapporte directement à ce dernier.

. Pour limiter les risques, l’entreprise accepte volontiers de reprendre des projets de la part d’entreprises plus petites, qui peinent à avoir la trésorerie nécessaire pour les poursuivre. «Les banques ayant durci leurs critères d’attribution de prêts pour les petits promoteurs, ils arrivent que ces derniers aient un projet qu’ils ne peuvent pas lancer, explique Bruno Coche. Or, ce projet peut être parfaitement rentable. Il est alors intéressant pour nous de le reprendre.» L’avancement de ce dernier permet de déterminer plus sûrement sa rentabilité et donc de limiter les risques. S’il ne s’agit pas à proprement parler d’une acquisition, cette pratique contribue à la concentration du secteur.

Moins attractive, la dette bancaire offre tout de même de la flexibilité

Si l’obligataire reste le moyen de financement privilégié par les sociétés du secteur, les directeurs financiers entendent conserver de la dette bancaire, qui offre une certaine flexibilité. «Nous disposons de 2 milliards d’euros de liquidités, essentiellement des lignes de crédit revolving pouvant être mobilisées rapidement, ce qui permet à la fois de couvrir le risque de liquidité afin de rassurer les investisseurs et d’avoir les ressources nécessaires pour saisir une opportunité d’acquisition rapidement, témoigne Jean-Michel Gault, directeur général délégué en charge des finances de Klépierre. Ce montant significatif nous permet à la fois d’assurer une année moyenne de refinancement et d’avoir les ressources nécessaires pour saisir des opportunités d’acquisition.»

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