Stratégie

Une direction financière à la loupe : Atol

Publié le 4 septembre 2015 à 11h17    Mis à jour le 4 septembre 2015 à 17h45

Alexandre Rajbhandari

La structure de coopérative de l’enseigne d’opticiens Atol a une influence directe sur l’organisation de sa direction financière. Cette dernière déploie notamment des efforts spécifiques pour accompagner le développement du réseau des opticiens indépendants associés du groupe.

Rendu célèbre par ses publicités mettant en scène le chanteur Antoine, le groupe Atol est avant tout un réseau de 542 opticiens répartis sur l’ensemble du territoire français. Des professionnels qui ont généré l’année dernière un total de 390 millions d’euros de chiffre d’affaires, et qui s’occupent de façon indépendante de la gestion de leur magasin et de l’exploitation de leur fonds de commerce. Toutefois, leur activité serait impossible sans la structure centrale du groupe – composée des sociétés Atol SA et de sa filiale Atol Group – qui réalise le marketing pour l’ensemble du groupe, sert de centrale d’achat pour tous les opticiens auprès des fournisseurs externes, et produit les montures de ses marques propres avant de les livrer aux magasins. Si cette structure décentralisée (voir encadré) ressemble à s’y tromper à un réseau de franchisés, Atol prend toutefois une forme bien différente. En effet, il s’agit d’une coopérative de commerçants associés : chaque opticien de l’enseigne est actionnaire de la société Atol SA. Propriétaires de cette dernière, ils en sont également les clients : elle leur refacture les lunettes commandées au préalable auprès des fournisseurs, la livraison des mobiliers de magasins, d’imprimés publicitaires, etc. Cette organisation particulière a une influence directe sur la mission de la direction financière. «En effet, d’une part, nous devons nous occuper de la gestion de l’activité de l’entité centrale, qui doit être rentable, explique Alexandre Gaillard, directeur administratif et financier d’Atol. D’autre part, nous devons également attacher une attention particulière au développement de l’activité des opticiens associés.»

L’organisation d’Atol

– Au nombre de 542, les opticiens détiennent au total 800 points de vente en France. Ils sont tous actionnaires d’Atol SA à hauteur de 345 euros chacun. Ils ont réalisé en 2014 un chiffre d’affaires de 390 millions d’euros.

– Atol SA centralise les cotisations annuelles des associés, s’occupe du marketing de la marque, notamment en vendant le mobilier des magasins aux associés. En outre, elle tient à jour, contre rémunération, une base de référencement des fournisseurs de verres et de montures. L’ensemble de ces activités représente un chiffre d’affaires de 43,2 millions d’euros.

– Atol Group est une filiale à 100 % d’Atol SA. Elle sert de centrale d’achats : chaque associé passe une commande auprès d’Atol Group, qui transfère cette dernière au fournisseur concerné. Cette organisation permet de n’obtenir, pour chaque fournisseur, qu’une seule facture pour l’ensemble des clients au sein du réseau, et donc d’obtenir des escomptes commerciaux. En outre, Atol Group, basée à Beaune, s’occupe également de la production, du montage et de la vente de ses produits de marque propre aux opticiens. Ces activités ont généré 130 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014.

Une dichotomie de la direction financière

Cette double mission structure l’organisation de la direction financière dans ses divers départements, à commencer par la comptabilité. Si l’ensemble des activités comptables du groupe est regroupé sous la direction de Virginie Sardou, responsable administrative et financière, cette activité est séparée en deux pôles distincts.

Ainsi, Laetitia Descaves, chef comptable, s’occupe de la tenue de la comptabilité de l’ensemble de l’activité d’Atol SA et d’Atol Group. «Cette dernière est responsable de la comptabilité classique de l’activité du groupe, explique Alexandre Gaillard. A ce titre, elle s’occupe du calcul des immobilisations du siège à Antony et de notre centre de production et de logistique à Beaune, de la prise en compte des notes de frais pour les salariés de ces centres d’activités, des déclarations fiscales du groupe, mais également de la comptabilisation des factures reçues de la part de nos fournisseurs.»

Pour cette activité, Laetitia Descaves est assistée de quatre comptables. L’un d’entre eux cumule également ses fonctions avec celle de trésorier.«Un des comptables consacre environ les trois quarts de son temps à la gestion de la trésorerie du groupe», explique Alexandre Gaillard. Si le groupe, notamment grâce au fonds de garantie apporté par ses associés, est structurellement en situation positive de trésorerie (elle représentait environ 18 millions d’euros fin 2014), celle-ci fait toutefois l’objet de placement très sécurisé. «Nous ne pouvons pas prendre de risque avec l’argent de nos associés, et nous ne souscrivons qu’à des contrats à terme avec des rendements garantis», précise Alexandre Gaillard. Cette aversion au risque se traduit par des rémunérations très faibles, surtout dans le contexte actuel de baisse généralisée des taux d’intérêt. «Récemment, nous avons placé à un mois 1 million d’euros sur un compte sans risque, avec une rémunération de 1 % seulement», précise Alexandre Gaillard.

En revanche, toute la comptabilité concernant les relations entre Atol SA et les associés de l’enseigne est gérée par Alexandre Jacquet, responsable de la comptabilité client.«Ce dernier s’occupe de regrouper toutes les cotisations annuelles dont les associés doivent s’acquitter auprès de la structure centrale, et qui sont calculées sur leur chiffre d’affaires de l’année précédente, détaille Alexandre Gaillard. En outre, il s’assure de l’encaissement des sommes facturées aux associés, au titre des achats de matériels provenant de fournisseurs, ou bien issus de l’activité de production d’Atol Group.» De fait, c’est également Alexandre Jacquet qui est responsable du recouvrement des créances auprès des associés en cas de retard. Une part de son activité qui croît de plus en plus. «La conjoncture économique pèse sur l’activité de nos associés, et les impayés émanant de leur part ont doublé en trois ans, détaille Alexandre Gaillard. Ils représentent désormais 3,5 % du chiffre d’affaires du groupe.» Toutefois, pour appliquer ces procédures, Atol se montre particulièrement conciliant. «Le fait que nos clients soient également nos associés change entièrement notre relation en cas de défaut de paiement, reconnaît Alexandre Gaillard. Alexandre Jacquet s’efforce, en concertation avec le président-directeur général Eric Plat, Virginie Sardou et moi-même, de trouver un compromis. Nous pouvons alors exonérer l’associé de ses cotisations de façon exceptionnelle, ou bien établir un plan de rééchelonnement du remboursement des sommes qui sont dues.» Une indulgence qui se justifie également par le fait que chaque opticien, en rejoignant Atol, fournit l’équivalent de plus d’un mois d’achats à un fonds de garantie au niveau du groupe.

Un dernier département est également placé sous la responsabilité de Virginie Sardou : celui en charge de la facturation. Un service qui a connu depuis deux ans une grande mutation. «En 2012, nous avons procédé à la dématérialisation de nos factures à destination de nos associés», explique Alexandre Gaillard. Il faut dire que le groupe émettait tous les mois une facture d’environ une trentaine de pages pour chacun de ses 800 points de vente. «La dématérialisation, qui a mis un an à être mise en place, nous a permis de gagner environ 30 000 euros», estime Alexandre Gaillard.

Les partenaires de la direction financière

Atol travaille régulièrement avec un pool de quatre banques : HSBC, LCL, BNP Paribas et le Crédit coopératif. Le choix de ce dernier établissement n’est pas dû au hasard : en tant que coopérative elle-même, Atol souhaitait travailler avec un établissement dont le modèle économique était proche du sien.

Atol étant une société avec un surplus permanent de trésorerie, la société sollicite principalement ses partenaires bancaires pour des placements à court terme, et se tourne vers l’établissement qui présente la meilleure offre. En outre, Atol a régulièrement recours au crédit pour financer des opérations spéciales comme l’acquisition de nouveaux magasins avant de les proposer à des associés, ou encore pour aider les opticiens associés du réseau à respecter les standards du groupe. Par exemple, lorsque l’enseigne change d’identité graphique, chaque magasin doit s’équiper de nouveaux bandeaux. Chacun d’entre eux doit s’acquitter d’un montant fixe, et le reste est financé par Atol SA.

Le groupe dispose d’un cash pooling entre Atol SA et ses filiales, mis en place par HSBC.

Les comptes consolidés du groupe sont vérifiés par deux cabinets d’audit parisiens : AGH et Mathurin & Associés. Des commissaires aux comptes avec lesquels Atol travaille depuis longtemps. «J’ai toujours connu ces commissaires aux comptes, et j’ai d’ailleurs renouvelé leur mandat», se souvient Alexandre Gaillard.

«Nous apprécions particulièrement la stabilité des équipes de ces cabinets, contrairement aux grands groupes d’audit, car les auditeurs connaissent bien la structure d’Atol, et comprennent davantage notre mode de fonctionnement.»

Si la direction financière d’Atol gère la majorité de ses problématiques juridiques en interne, elle se fait tout de même aider par trois avocats de façon ponctuelle. L’un d’entre eux lui permet de gérer les problématiques classiques de droit des sociétés, un autre travaille sur des sujets de droit économique, et épaule la direction financière sur la rédaction des conditions générales de vente et des mentions légales sur les publicités sur lieux de vente. Enfin, un dernier avocat travaille sur les spécificités liées à la structure de coopérative de commerce associé, plus particulièrement concernant les contrats d’adhésion des opticiens et les baux commerciaux.

La société n’a pas recours à d’autres conseils financiers ou stratégiques pour la tenue de ses affaires. En revanche, la direction financière a noué un partenariat avec le cabinet d’audit KPMG. «Nos associés peuvent faire appel à ses services pour tenir leur comptabilité, à un tarif préférentiel, explique Alexandre Gaillard. En outre, chaque nouvel associé peut bénéficier de l’établissement et de la vérification d’un budget prévisionnel gratuit.»

Un double contrôle de gestion

La dichotomie du département comptable se retrouve également au niveau du contrôle de gestion. Ainsi, Thierry Nassiet, responsable du contrôle de gestion et du contrôle interne, se focalise principalement sur les indicateurs des activités des structures centrales. «Thierry Nassiet est amené à réaliser, tous les mois, un calcul des marges concernant les activités d’Atol Group, comme la vente d’imprimés publicitaires aux opticiens, ou encore la production de nos montures sous marque propre sur le site de Beaune, explique Alexandre Gaillard. C’est également lui qui estime avec nos fournisseurs les volumes de commandes prévisionnelles de nos associés, afin de pouvoir négocier des escomptes.» Autant de tâches pour lesquelles Thierry Nassiet est assisté de deux autres contrôleurs de gestion.

En revanche, le contrôle de gestion du reste de l’activité d’Atol est assuré par un autre professionnel. Outre la gestion des services généraux, c’est-à-dire des activités du siège et de la flotte de véhicules du groupe, il est amené à consolider tous les mois les résultats de tous les opticiens du réseau. En outre, il conseille les associés sur la gestion de leur société. «Ainsi, chaque année, après avoir analysé les bilans et comptes de résultat de nos opticiens, il est régulièrement amené à leur donner des conseils de gestion concernant leur stock, la gestion de leurs baux commerciaux, ou encore leur masse salariale, détaille Alexandre Gaillard. Toutefois, il se cantonne à un rôle de conseil, et il lui est défendu de s’immiscer dans la gestion des affaires de nos associés.»

Une attention particulière au développement du réseau

La structure de coopérative a également des conséquences sur la mission du directeur financier. «Contrairement à d’autres entreprises, dont les actionnaires attendent des bénéfices, nos associés veulent que nous utilisions le maximum de nos ressources pour le développement de la coopérative, quitte à réduire notre résultat net, explique Alexandre Gaillard. Ainsi, si à l’occasion de notre reporting trimestriel du mois de septembre, nous constatons que notre bénéfice annuel sera plus important que prévu, nous menons le maximum d’investissements avant la fin de l’exercice.» Certaines années, anticipant un bénéfice important, Atol a pu mener une campagne publicitaire supplémentaire, ou lancer des promotions de fin d’année sur certaines montures.

Surtout, Alexandre Gaillard consacre une grande partie de son temps au soutien du développement du réseau d’opticiens. «Certes, je m’occupe de trouver des emprunts et des lignes de crédit auprès de nos banques pour financer les activités d’Atol SA et d’Atol Group, mais ma priorité est de faire fructifier notre réseau d’associés», explique Alexandre Gaillard. Cet objectif a conduit ce dernier, en étroite collaboration avec le président du groupe, Eric Plat, à mettre sur pied une initiative particulièrement originale pour contribuer à l’élargissement du réseau. «En 2011, nous avons créé une filiale dénommée Archipel, explique Alexandre Gaillard. Cette société, dont le capital est composé à 51 % par des fonds d’Atol SA, et à 49 % par des fonds apportés par des associés volontaires, vise à aider les jeunes opticiens à acheter un fonds de commerce pour leur permettre de devenir associés d’Atol.» Concrètement, la société Archipel achète des locaux commerciaux et propose à des aspirants associés de les exploiter. «Nous créons une filiale à chaque nouveau local, détaille Alexandre Gaillard. Pendant deux ans, Archipel détient entre 51 % et 80 % du capital de ces sociétés, le solde étant aux mains du jeune associé.» Ce dernier dispose ensuite de sept ans pour racheter, au fur et à mesure, et au rythme qu’il souhaite, des parts de l’entreprise, pour finalement en devenir entièrement propriétaire. La méthode de valorisation de ces sociétés est inscrite dans les statuts. Elle correspond aux capitaux propres diminués des immobilisations corporelles et incorporelles, et augmenté de la valeur du fonds de commerce – qui correspond à un pourcentage du chiffre d’affaires. Depuis sa création, cette initiative a déjà permis l’installation de nouveaux opticiens. «Nous avons vendu nos locaux à sept nouveaux associés de cette manière, estime Alexandre Gaillard. En outre, nous comptons encore une dizaine d’entreprises en cours de rachat par de jeunes opticiens.»

Les services auprès des associés continuent de faire partie des priorités d’Alexandre Gaillard. «Notre principal chantier pour l’avenir est de renforcer notre offre de conseil financier et de gestion auprès des associés du réseau, explique Alexandre Gaillard. Plus précisément, nous aimerions pouvoir recruter au moins deux personnes qui se déplaceraient régulièrement auprès des associés, pour leur donner des conseils pratiques afin d’optimiser la rentabilité de leur activité.» Le développement des associés opticiens demeure indéniablement au centre de la stratégie financière d’Atol.

Le parcours du directeur financier : Alexandre Gaillard

Titulaire d’une maîtrise des sciences et techniques comptables et financières (MSTCF), d’un DEA de droit fiscal de l’université Paris I, et du diplôme d’expertise comptable, Alexandre Gaillard commence sa carrière au sein du cabinet d’audit Sefico en 1994 en tant qu’expert-comptable et commissaire aux comptes. Une expérience qui lui permet de travailler pour des entreprises françaises, mais également des filiales de grands groupes étrangers (Mars, Ideal Standard). Surtout, c’est à cette époque qu’il découvre le modèle coopératif, en auditant les comptes du producteur de blé Ebly. Après être devenu associé du cabinet en 2003, Alexandre Gaillard décide de quitter l’expertise comptable pour rejoindre des fonctions opérationnelles au sein d’une entreprise. En 2008, il rejoint Atol en tant que directeur administratif et financier.

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