Stratégie

Une direction financière à la loupe : Bonduelle

Publié le 28 août 2020 à 10h45

Arnaud Lefebvre

S’étant fixé comme objectif de devenir «le référent mondial qui assure le bien-vivre par l’alimentation végétale», le groupe Bonduelle s’est fortement diversifié au cours des dernières années en lançant de nouvelles activités et en renforçant sa présence à l’international. Cette stratégie, qui a contribué à limiter les impacts de la crise de la pandémie de Covid-19 sur ses résultats 2019/2020, a également eu de multiples incidences pour sa direction financière, notamment en matière de pilotage de la performance et de gestion des risques.

Bonduelle résiste à la crise sanitaire. Le 3 août dernier, le groupe familial a publié un chiffre d’affaires de 2,854 milliards d’euros au titre de son exercice 2019-2020 clos le 30 juin, en progression de 2,8 % sur un an. Une performance qu’il attribue à la diversification menée au cours des dernières années de son catalogue de produits (conserve, surgelés, frais prêt à consommer), de ses réseaux de distribution (retail et food service) mais aussi de ses implantations géographiques en et hors d’Europe. Pour autant, la pandémie de Covid-19 «affectera la rentabilité attendue» a-t-il prévenu, en raison notamment du recul des ventes sur certains marchés, des surcoûts de stockage de produits surgelés ou encore des pertes de matières premières liées à une diminution des débouchés en frais. Et le management de prévenir : «Les perspectives 2020-2021 dépendront pour une large part de l’évolution de la pandémie et corrélativement de l’évolution des différents segments d’activités mais également de l’évolution à moyen terme des habitudes de consommation.» Face à de telles incertitudes, le pilotage de la performance s’annonce plus décisif que jamais. De quoi conférer un rôle de premier plan aux quelque 300 membres de la direction financière de Bonduelle. 

La création d’une direction consacrée à la performance

Ce constat s’applique en particulier pour ceux qui opèrent au niveau local. Représentant 90 % environ des effectifs globaux de la fonction finance, ils sont répartis au sein de cinq business units (BU) : Bonduelle Europe Long Life, Bonduelle Fresh Europe, Bonduelle America Long Life, Bonduelle Fresh America et Bonduelle EurAsia Markets. Chacune de ces entités comprend une direction financière BU, qui chapeaute le plus souvent des directions financières pays ou région. Composées pour l’essentiel d’un directeur financier, de contrôleurs de gestion, de contrôleurs financiers et de comptables, ces équipes disposent de prérogatives étendues. «Afin de renforcer l’implication de l’ensemble des collaborateurs, financiers ou non, Bonduelle a adopté un mode de fonctionnement en grande partie décentralisé, informe Grégory Sanson, son directeur général adjoint finance et développement. Ainsi, les dirigeants de filiale pays ou région sont responsables de chaque ligne de leur compte d’exploitation et de l’exécution de la stratégie sur un horizon de trois ans sur les marchés confiés. Pour se faire aider dans cette tâche, ils sont logiquement amenés à travailler étroitement avec la direction financière de la business unit concernée et avec les directions financières pays sur des problématiques diverses allant de la comptabilité à la fiscalité, en passant par les projets de croissance externe et le règlement de litiges avec des partenaires commerciaux.» Ces financiers accompagnent également de près les opérationnels au quotidien.   

Seules la consolidation des comptes et la gestion de la trésorerie et des financements – pour des raisons d’optimisation des conditions obtenues et de meilleure maîtrise des risques – sont dévolues à la direction financière groupe, que son responsable assimile avant tout à un «centre d’expertise» destiné à venir en soutien à la fois des équipes de terrain et de la direction générale du groupe. Basée à Villeneuve-d’Ascq, près de Lille, cette direction financière groupe emploie trente personnes. Son périmètre a évolué début 2019, avec la création d’une direction dédiée à la performance et à la transformation. Deux facteurs ont motivé sa mise en place, dont le premier tient à la nature même des activités de Bonduelle. «Ces dernières sont non seulement très consommatrices en capitaux (usines, stocks…), mais en plus cette consommation diffère sensiblement selon qu’il s’agisse de produits à courte conservation ou de produits à longue conservation, signale Grégory Sanson. Dans ce contexte, plutôt que de chercher à mesurer la rentabilité sur la base de la marge opérationnelle, ce qui n’a que peu de sens, nous avons préféré sensibiliser nos collaborateurs sur un autre indicateur : le retour sur capitaux employés. Ce dernier étant assez complexe à appréhender, il nous a dès lors semblé que son pilotage et que l’élaboration de plans d’actions destinés à l’améliorer méritaient d’être confiés à un département dédié.»

L’accélération du mouvement de digitalisation qui touche actuellement les directions financières n’a fait que conforter cette décision. «Sous l’effet de l’émergence de nouveaux outils informatiques et des nouvelles technologies, les missions des collaborateurs évoluent considérablement, parmi lesquelles l’analyse de la performance financière, poursuit Grégory Sanson. Face à l’ampleur des transformations actuelles et à venir, nous avons voulu mettre en place une démarche spécifique qui comprend la mise en œuvre d’outils de data-visualisation, mais aussi la poursuite de la dématérialisation des documents ou la robotisation de certaines tâches routinières. C’est en cela que performance et transformation vont de pair.» Cette équipe regroupe six professionnels. 

Une exposition à une vingtaine de devises

Plus fourni en termes d’effectif, le département en charge du controlling est pour sa part composé de huit membres. Leur sont dévolus la consolidation des comptes, le contrôle de gestion et la gestion des diverses assurances souscrites par le groupe. Pour une société agroalimentaire comme Bonduelle, qui comprend de nombreuses implantations industrielles et des stocks importants, les assurances représentent un poste de dépenses et un enjeu importants. Durant les années précédentes, cette direction a enregistré peu de changements, sauf en ce qui concerne les reportings produits. En 2018, elle a en effet déployé un outil de «data visualisation». «Celui-ci nous permet d’accéder aux données financières en quasi-temps réel, mais aussi d’obtenir des détails beaucoup plus précis quant aux performances de chaque usine, de chaque ligne de métier, et de suivre par exemple les innovations lancées», apprécie Grégory Sanson.  

Une gestion active de la dette

Autre composante de la fonction finance, la direction financement et trésorerie emploie quant à elle six salariés. Dans la mesure où Bonduelle affiche un encours de dette de plus de 600 millions d’euros (environ trois fois son Ebitda), elle est amenée à avoir une gestion active en termes de refinancement. Alors que l’entreprise a au cours de son histoire su diversifier sa palette d’instruments de financement (placements privés, crédits syndiqués, obligations à bons de souscription et/ou d’acquisition d’actions remboursables…), elle vient de lancer, en juillet dernier, un programme de Neu CP, c’est-à-dire des titres de créances négociables d’une maturité maximale d’un an. «Afin de refléter davantage l’engagement ESG du groupe et de démontrer que la fonction finance s’y associe pleinement, l’une des prochaines étapes consistera en la mise en place, sur un horizon à définir, de financements dits “durables” car adossés à des projets de préservation de l’environnement», prévient Grégory Sanson. 

La maîtrise du risque de change mobilise également grandement cette équipe. Et pour cause : compte tenu de la présence de Bonduelle en Amérique du Nord, en Europe de l’Est et en Russie, elle doit gérer pas moins d’une vingtaine de devises, parmi lesquelles les dollars américain et canadien, le réal brésilien, le rouble, le forint hongrois ou encore le zloty polonais. Pour ce faire, elle dispose d’une certaine latitude. «En début d’année, nous arrêtons pour chaque exposition des niveaux de cours sous lesquels nous ne pouvons pas descendre, explique Grégory Sanson. Charge ensuite à ce département de saisir les meilleures fenêtres de marché pour la mise en place de produits de couverture et d’accompagner le marché.» En la matière, le groupe ne recourt qu’à des instruments classiques, à savoir des contrats à terme et des options.

Plus de 10 000 actionnaires

Le service juridique fait également partie intégrante de la direction financière. Déjà, en tant que groupe coté, Bonduelle est tenu au respect de nombreuses réglementations relatives au droit boursier. Surtout, les contraintes en termes de conformité se sont considérablement renforcées au cours des dernières années. «En instaurant un important corpus de règles visant notamment à lutter contre la corruption, la loi Sapin 2 nous oblige par exemple à adopter un code de conduite et à connaître de manière extrêmement précise l’ensemble de nos parties prenantes : fournisseurs, intermédiaires, etc., explique Grégory Sanson. Il s’agit d’obligations très chronophages tant pour les membres de cette équipe que pour nos opérationnels.» 

Enfin, les prérogatives du directeur général adjoint intègrent la communication financière, dont ce dernier assure en grande partie la charge. Introduite sur Euronext Paris en 1998, la société compte aujourd’hui près de 12 000 actionnaires, le premier d’entre eux étant la famille Bonduelle (32 % environ). Dans le cadre de cette mission, plus d’une centaine de réunions téléphoniques et physiques sont organisées chaque année à destination des analystes financiers couvrant la valeur et des investisseurs domestiques et internationaux. «Même lorsque l’activité est moins bonne et que l’attrait des gérants étrangers, notamment américains, pour les midcaps européennes est moindre, je considère qu’il est essentiel d’entretenir le dialogue, insiste Grégory Sanson. Ce principe nous conduit ainsi à régulièrement tenir des roadshows aux Etats-Unis et dans d’autres régions du monde.» Les partenaires bancaires bénéficient, eux aussi, de présentations spécifiques. «Afin de maintenir une relation de confiance et de proximité, nous rencontrons chacun d’eux en bilatéral au moment de la publication de nos résultats annuels», précise Grégory Sanson. Afin de mettre davantage en lumière son engagement RSE, le groupe projette d’ici 2021 de produire un rapport intégré. Devenu la norme pour les grands émetteurs cotés, ce document présente de façon synthétique l’entreprise, son écosystème, son positionnement et ses objectifs ESG, indicateurs financiers et extra-financiers à la clé. 

Une revue des talents

Pour mener à bien ces diverses tâches, le dirigeant a tenu à responsabiliser autant que faire se peut les collaborateurs sous sa direction. A ce titre, les directeurs financiers de business units et les directeurs financiers pays disposent de marges de manœuvre pour innover. «Tous les six mois, ceux-ci sont réunis dans le cadre d’un comité financier qui se tient tour à tour au siège et au sein d’une de nos implantations industrielles, évoque Grégory Sanson. Dans une logique de partage des bonnes pratiques, tous reviennent à cette occasion notamment sur les initiatives mises en place à leur échelle. Par exemple, notre directeur financier Russie a récemment présenté le système de prévisions glissantes (rolling forecasts) qu’il venait de déployer. Ses homologues peuvent désormais s’inspirer de ce retour d’expérience pour dupliquer ce procédé.»

Ces comités, au cours desquels l’anglais est devenu il y a une dizaine d’années la langue de travail, se déroulent pendant deux jours et demi. Contrôleurs, comptables et consorts sont également invités à contribuer activement à cette démarche d’amélioration continue. Après avoir lancé un vaste plan destiné à diffuser une culture financière dans l’ensemble du groupe, tous départements confondus, la direction financière a mis en place en 2018 dans le cadre de sa démarche d’optimisation des capitaux employés «Finance for Growth» des «Prix», visant à récompenser les initiatives à valeur ajoutée. «Ce moyen permet de gratifier l’investissement des collaborateurs, financiers et non financiers, les plus entreprenants, tout en motivant les autres, apprécie Grégory Sanson. A ce jour, nous avons primé plusieurs projets portant par exemple sur l’optimisation de la gestion du poste clients et sur celle des stocks.»

Un accent mis sur la mobilité interne

En parallèle, d’autres procédés ont été mis en œuvre dans le but de fidéliser les meilleurs collaborateurs. Afin de les identifier et de répondre, dans la mesure du possible, à leurs attentes, une revue des talents a été instaurée. «Nous avons développé un outil qui sert à la fois aux managers à évaluer chaque membre de la fonction finance selon des objectifs préalablement fixés, et aux salariés à exprimer ses souhaits d’évolution de carrière, informe Grégory Sanson. Cette application permet d’avoir une vision globale sur les expériences et ambitions de ces derniers, ce qui est particulièrement utile lorsqu’un poste à responsabilités est à pourvoir dans le groupe.» Un cas de figure fréquent chez Bonduelle, où le management cherche à encourager la mobilité de ses cadres. «Je suis très vigilant à ce que mes collaborateurs aient une bonne compréhension des enjeux propres aux différentes strates du groupe que composent le siège, les business units et les pays, insiste Grégory Sanson. Pour que ce soit le cas, il est essentiel pour eux d’exercer des fonctions dans chacune d’entre elles, tant en France qu’à l’étranger.» 

En raison du développement de l’entreprise au cours des dernières années, les opportunités n’ont cessé de se multiplier pour les candidats à la mobilité. Et la situation ne devrait guère évoluer. Alors que Bonduelle assure toujours disposer de nombreux relais de croissance sur ses marchés géographiques existants, il pourrait à l’avenir se positionner sur de nouveaux.

La finance, l’affaire de tous

l Les activités de Bonduelle étant consommatrices en capitaux, la direction des services financiers a fait de l’amélioration du retour sur les capitaux employés (ROCE) l’une de ses priorités. 

l Pour y parvenir, elle a mis en œuvre en 2017 une initiative originale auprès de 450 managers travaillant aussi bien dans le marketing, les ressources humaines, l’industrie que dans le domaine financier, et provenant d’une douzaine de pays. «Ceux-ci ont pu suivre individuellement des séances d’e-learning, explique Grégory Sanson. Il s’agissait de sessions de 15 à 30 minutes, adaptées en plusieurs langues, permettant de comprendre les mécanismes financiers de base et d’approfondir le sujet des capitaux employés. Ce procédé a permis d’atténuer les différences de connaissance de la finance entre les salariés avant la participation aux séminaires.» 

l Dans un second temps, les participants ont en effet assisté à un séminaire, au cours duquel ils devaient participer à des ateliers pratiques. Depuis, le ROCE a augmenté de deux points, passant de 10 % à 12 % (hors acquisition de Bonduelle Fresh Americas).

Des prérogatives élargies

l Outre la finance, Grégory Sanson est également en charge de la prospective et du développement de Bonduelle. Le directeur général adjoint revêt cette double casquette depuis la création d’un pôle dédié, en 2018. «Les responsables de nos cinq business units gèrent leur plan d’affaires avec des objectifs arrêtés sur trois ans, explique-t-il. Or, certains sujets, comme la recherche et développement et l’implantation du groupe dans de nouveaux pays, dépassent le plus souvent cet horizon temporel, et donc le champ couvert par les BU. Alors que ces projets étaient jusqu’alors pilotés par différents services, la direction générale et le conseil d’administration ont décidé, il y a deux ans environ, dans un souci d’optimisation, d’en confier la charge à un pôle dédié dénommé “Bonduelle Prospective et Développement” comprenant près de 250 personnes animées par un directeur placé sous ma responsabilité.»

l Les activités que ce pôle traite sont très larges : identification de nouveaux relais de croissance, mise en place de partenariats avec des start-up, engineering, R&D industrielle, développement agronomique… «Compte tenu de l’hétérogénéité et de l’importance de ces sujets, j’y consacre près de la moitié de mon temps», précise Grégory Sanson.

Les partenaires de la direction financière

Les banques

Pour ses financements, Bonduelle s’appuie sur douze établissements : Crédit Agricole Nord de France, Bank of America, BNP Paribas, Caisse d’Epargne et de Prévoyance Hauts de France, CIC Nord-Ouest, Crédit du Nord, HSBC France, Natixis, Société Générale, Bayerische Landesbank, Commerzbank et Rabobank. «Compte tenu du changement de taille du groupe – son chiffre d’affaires est passé de 1,9 milliard d’euros en 2015/2016 à 2,8 milliards en 2019/2020 – et de son internationalisation, ce pool a accueilli de nouveaux partenaires au cours des dernières années, notamment allemands et américains», signale Grégory Sanson. Afin de l’accompagner dans la structuration de ses financements et de ses opérations de M&A, la direction financière a l’habitude de mandater trois banques conseil : Natixis, BNP Paribas et Crédit Agricole CIB. 

Les commissaires aux comptes

Le co-commissariat aux comptes de Bonduelle est confié à Mazars, partenaire historique, et à Deloitte, dont le mandat a débuté en 2006. 

Les conseils

Sur les terrains juridique et fiscal, la direction financière  opère avec Colbert Avocats (droit des contrats et litiges), Darrois Villey Maillot Brochier, Willkie Farr & Gallagher (financement et M&A), D’hoir Bauffre et Associés (droit boursier) et EY (fiscalité). S’y ajoutent d’autres conseils ou prestataires, parmi lesquels Forex finance (financement et couverture des risques), EY (due diligence financière), Société Générale Securities Services (registre des titres au nominatif), Exane (contrat de liquidité portant sur ses actions) ainsi que le courtier en assurances professionnelles Vespieren. 

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