Stratégie

Une direction financière à la loupe : Manitou

Publié le 13 février 2015 à 17h14    Mis à jour le 16 février 2015 à 16h36

Pierre Havez

Pour accompagner le développement international de Manitou, la direction financière a adopté il y a quelques mois une nouvelle organisation. Si celle-ci a conduit à la mise en place d’outils d’analyse plus efficaces, qui devraient permettre à terme de réduire les délais de publication, elle facilite aussi l’harmonisation des compétences des équipes financières dans les filiales.

Le spécialiste des engins de manutention Manitou (1,2 milliard de chiffre d’affaires en 2013) vient d’entamer une transformation qui implique fortement ses fonctions financières, dirigées par Pierre-Yves Malgogne. La réorganisation annoncée fin avril, vise à mettre en œuvre la stratégie de croissance du groupe, qui s’est sensiblement développé ces dernières années, passant de la taille d’une PME artisanale à celle d’une ETI internationale. «Suite au rachat du fabricant américain de machines de construction Gehl & Mustang en 2008, et à une chute de 50 % de nos ventes en pleine crise en 2009, l’entreprise a rebondi et changé de dimension opérationnelle, rappelle Pierre-Yves Malgogne. La finance doit aujourd’hui accompagner la croissance, en s’adaptant à une nouvelle organisation, plus complexe et mature.»

Depuis cet été, la direction financière s’est donc structurée en trois divisions : deux départements produits «matériel de manutention et nacelles et matériel compact) et un pôle services et solutions, chargé des activités de services à la vente (contrats de garantie, contrats de maintenance, gestion de flotte, etc.) et après-vente. Un changement nécessaire pour que la communication financière reflète la nouvelle organisation déployée à l’ensemble du groupe. «La finance a été un acteur majeur de ce projet, notamment grâce au rôle structurant des ERP et de ses outils de consolidation, raconte Pierre-Yves Malgogne. Plus internationale, l’entreprise a dû se doter d’outils d’analyse efficaces pour suivre ses résultats par activité et région de ventes.»

Une harmonisation des processus financiers

Le contrôle de gestion a activement accompagné cette transformation. Celle-ci s’est d’abord traduite par un renforcement des fonctions de controlling, afin que les responsables de zones puissent transmettre leur reporting à un interlocuteur financier unique au siège. «Nous avons désormais cinq contrôleurs financiers en central, un pour chacune des trois divisions, ainsi que deux autres dédiés aux activités sales et marketing, le premier sur la zone Europe et Amérique, et le second sur le périmètre, Asie, Moyen-Orient et Afrique», précise Pierre-Yves Malgogne.

Cette nouvelle organisation a également nécessité une harmonisation des processus financiers des 22 entités de consolidation et des 20 filiales de Manitou à travers le monde. Le contrôle de gestion s’est donc consacré à la refonte de son ERP et du schéma de consolidation du groupe. «Chaque entité légale a mis à jour l’allocation de ses coûts selon ces nouvelles lignes de produits et de services, témoigne Pierre-Yves Malgogne. Sur le plan informatique, nous avons ensuite paramétré en conséquence les règles de gestion des outils de consolidation pour agréger les nouveaux périmètres.»

Ces missions ont demandé une très forte implication des équipes en charge de la consolidation et du reporting au siège ces derniers mois. Les résultats annuels 2014 et le budget 2015 sont en effet les premières communications financières à devoir respecter ce nouveau format. «Dans les faits, cette migration nous a obligés à réaliser un double reporting afin de sécuriser, contrôler et auditer les résultats», explique Pierre-Yves Malgogne. Cependant, ces exercices pourraient devenir encore plus intenses à l’avenir. La direction souhaite en effet réduire leurs délais de publications. «Les incertitudes économiques sont aujourd’hui telles que les conditions peuvent fortement changer entre le début et la fin du processus budgétaire, ajoute Pierre-Yves Malgogne. Réduire sa durée permet donc de limiter l’intervention d’éventuels aléas, susceptibles de remettre en cause la pertinence des hypothèses choisies.»

Un rythme d’autant plus soutenu que le contrôle de gestion reste par ailleurs concerné par ses missions traditionnelles de maîtrise des coûts. «Nous œuvrons à l’abaissement de nos frais fixes, notamment les dépenses de prestataires, de conseils externes et de voyages», indique Pierre-Yves Malgogne. Ce contrôle des dépenses n’empêchera pas le lancement de plans de croissance, et en particulier le démarrage en 2015 de Manitou Brésil. Un projet qui demande en particulier aux contrôleurs de gestion de participer à une vaste revue des risques comptables et fiscaux dans le pays, et à la définition du plan stratégique d’implantation.

Une diversification des sources de financement

Les autres métiers de la direction financière sont également concernés – mais dans une moindre mesure que le contrôle de gestion – par la mise en place de la nouvelle organisation de Manitou. Avec la création d’une division dédiée au financement des ventes, le service de trésorerie va devoir développer de nouvelles solutions financières (de location et de leasing notamment), avant de les étendre progressivement à l’ensemble des filiales du groupe.

Une mission parallèle au travail de restructuration de la dette de Manitou (89 millions d’euros à fin juin), héritée du rachat de Gehl & Mustang en 2008. Après une renégociation, en mars, du crédit syndiqué du groupe (à hauteur de 220 millions d’euros) arrivé à maturité en 2013, la direction cherche aujourd’hui à élargir sa palette de financement. «Face à l’évolution des sources de financements désintermédiés, le groupe s’est orienté vers des encours obligataires à la condition qu’ils apportent une réelle différence par rapport aux crédits bancaires, en termes de maturité ou de covenant, pointe Pierre-Yves Malgogne. Mais nous réfléchissons aussi éventuellement à d’autres solutions, comme l’affacturage.» Manitou a ainsi procédé fin 2012 et fin 2013 à des émissions obligataires respectivement de 8 millions et 12 millions d’euros, souscrites au travers du fonds Micado France, spécialisé dans les opérations groupées d’ETI. Une diversification nécessaire pour sécuriser ses ressources financières, en raison du caractère cyclique de l’activité du groupe. «Nous ne voulons pas, comme en 2009, être contraints de renégocier nos financements en raison d’une baisse subite et temporaire d’activité, explique Pierre-Yves Malgogne. Or, notre présence à l’international nous expose par exemple à une éventuelle chute du rouble ou à un possible retournement du marché américain.»

Dans le cadre de cette démarche de désendettement, l’équipe de trésorerie de Manitou reste par ailleurs focalisée sur des missions classiques d’optimisation du cash et de réduction du BFR. Parmi celles-ci, elle vient notamment de redéfinir la politique de couverture du groupe contre les risques de change. «Nous nous couvrons par rapport au taux de change en vigueur au moment de la prise de commande, précise Pierre-Yves Malgogne. En outre, nous procédons désormais à des revues périodiques de nos tarifs en devises, afin de s’assurer qu’ils intègrent les fluctuations du marché des changes.»

La trésorerie du groupe doit enfin faire face à l’apparition de nouveaux risques. Elle travaille ainsi notamment avec le contrôle interne sur la détection et la prévention des fraudes. «Par nature, les ETI comme Manitou sont plus ciblées que les grands groupes pour lutter contre certaines attaques, comme la fraude au président, explique Pierre-Yves Malgogne. Pour faire face à ces menaces croissantes, nous avons donc mis en place des processus plus contraignants et surtout homogènes dans toutes les filiales.»

Un cadre financier de référence partagé avec les filiales

En raison de la dispersion des effectifs financiers de Manitou à travers le monde (voir encadré), son directeur financier profite enfin de cette réorganisation pour harmoniser les compétences de ses équipes en filiales. Pour cela, le contrôle interne est chargé, au siège, de la définition d’un cadre de référence (manuel de délégation, règles de comptabilisation, de reporting et de contrôle interne du groupe) partagé avec les filiales. Par ailleurs, des revues de contrôle interne des différentes filiales sont réalisées régulièrement, mais avec une rotation des interlocuteurs du siège. Celles-ci font ainsi intervenir alternativement un auditeur interne, le directeur financier du groupe, le responsable de la consolidation ou le contrôleur de gestion de la zone, afin de diversifier les analyses.

En outre, afin d’animer le réseau financier et de fluidifier les échanges et le partage des bonnes pratiques en interne, Pierre-Yves Malgogne organise une convention finance annuelle, avec tous les directeurs financiers du groupe. «Nous y abordons toutes les thématiques du moment, explique-t-il. Nous reprenons par exemple les récents changements de reporting, en explicitant les nouveautés normatives et en écoutant leurs retours du terrain.» Cet événement est en général suivi par un team building avec l’ensemble des cadres financiers.

Une rémunération variable attractive

L’attachement des équipes au groupe constitue en effet une préoccupation particulièrement importante pour la direction financière de Manitou, confrontée à un turnover très élevé dans certaines régions en développement. «Dans des pays comme l’Inde, Singapour ou la Russie, les démissions des effectifs financiers sont très fréquentes, du fait de l’évolution très rapide des salaires et de la rareté de certaines compétences, témoigne Pierre-Yves Malgogne. Pour fidéliser nos collaborateurs en filiale, il faut créer une relation continue avec les effectifs au siège.»

Pour retenir ses collaborateurs financiers, Manitou veille donc à leur proposer des perspectives d’évolutions attractives. Le groupe encourage d’abord la mobilité interne. «Les postes financiers sont ouverts à des profils divers, à condition qu’ils présentent une certaine appétence pour les chiffres, indique Pierre-Yves Malgogne. Par exemple, l’un de nos contrôleurs de gestion est issu du département logistique.» Des évolutions géographiques sont également possibles. Des financiers du siège sont ainsi parfois amenés à prendre la direction financière d’une filiale à l’étranger, afin de partager localement les compétences et les bonnes pratiques acquises au siège.

En outre, afin de renforcer la motivation de ses effectifs à forte valeur ajoutée, le groupe propose à l’ensemble de ses collaborateurs cadres une rémunération variable, qui correspond au minimum à 8 % de leur salaire fixe brut. «Cette part variable dépend pour un tiers d’objectifs collectifs, comme la performance financière d’une filiale, pour un autre tiers de projets professionnels réalisés, comme le déploiement d’un nouvel outil, et pour un dernier tiers du développement de compétences personnelles», détaille Pierre-Yves Malgogne. Un avantage susceptible à la fois de fidéliser les effectifs et de développer les compétences et la culture financière de ses équipes internationales.

Le parcours de Pierre-Yves Malgogne

Directeur financier adjoint de Manitou depuis 2010, Pierre-Yves Malgogne a été nommé directeur financier VP finance du groupe en juin 2014. Diplômé de la faculté d’Angers et de la Skema Business School, il débute sa carrière en 1998 comme contrôleur de gestion industriel de la division Valeo Thermique Habitacle au Mexique. Trois ans plus tard, il devient contrôleur financier du site de Valeo Thermique Habitacle aux Etats-Unis. En 2004, il est nommé responsable du contrôle de gestion de la division Valeo Thermique Habitacle en Espagne, puis contrôleur financier de la division Valeo Thermique Habitacle & Moteur Italie en 2007. Un an après, il rejoint le groupe Manitou comme responsable du contrôle de gestion.

Des fonctions financières très décentralisées

Avec 127 collaborateurs administratifs et financiers (soit 6 % des effectifs hors production) répartis dans 15 pays, et un chiffre d’affaires réalisé à 74 % à l’international, Pierre-Yves Malgogne accorde une certaine autonomie aux équipes financières en filiales. «Chaque entité est dotée d’un directeur financier responsable de la comptabilité, des taxes et du contrôle de gestion de son activité, dont il doit établir un reporting mensuel au contrôleur financier de zone ou de division», précise-t-il.

Le siège conserve cependant ses prérogatives. «Certaines missions dépendent du siège, notamment en matière de financement – il n’y a pas de signature de crédit en local – de recrutement ou encore d’investissement dès lors que l’on dépasse les seuils d’engagements budgétaires prévus», ajoute-t-il.

Les fonctions corporate regroupent finalement 12 personnes au siège. Celles-ci sont chargées de la consolidation, du controlling, de la gestion de la trésorerie et du contrôle interne. En outre, la communication financière et les relations investisseurs sont directement rattachées au secrétariat général, dont dépend également la direction financière.

2014, également une année de transformation pour le service tax de Manitou

Les fiscalistes de Manitou ont dû préparer d’importants chantiers structurants pour l’année prochaine. Ils ont en particulier dû s’adapter aux nouvelles obligations fiscales que sont l’obligation du dépôt de la documentation sur les prix de transfert et la préparation d’un fichier d’écritures comptables (FEC) dématérialisé. «En raison du retard pris par de nombreux éditeurs informatiques, nous avons dû travailler en étroite collaboration avec notre prestataire d’ERP pour mettre au point des solutions pour que notre outil informatique soit compatible avec les exigences de l’administration fiscale», témoigne Pierre-Yves Malgogne.

Les partenaires de la direction financière

Banques

Manitou travaille en collaboration avec diverses banques constituant un club deal (Société Générale, Natixis/Banques Populaires, CIC, HSBC et Arkea), auprès desquelles, il s’est refinancé à hauteur de 220 millions d’euros en mars dernier. Il s’appuie également sur d’autres établissements partenaires (BNP Paribas notamment) pour apporter des solutions de financement à ses clients. Enfin, un dispositif de cash pooling automatique a été mis en place avec BNP pour les filiales européennes depuis 2007, tandis qu’un système équivalent est en cours de finalisation avec HSBC sur les filiales anglo-saxonnes.

Commissaires aux comptes

Les cabinets Deloitte et RSM, tous deux basés à Nantes, se partagent les missions de commissariat aux comptes des filiales françaises et internationales de Manitou. «Ces deux réseaux présentent l’avantage d’une forte proximité géographique, à la fois avec notre siège social d’Ancenis et avec les différentes entités du groupe, ce qui assure une homogénéité dans la qualité de travail et la coordination avec nos équipes», avance Pierre-Yves Malgogne. La répartition de leurs mandats est fixée en fonction de leur présence géographique dans les pays concernés. Certains sujets techniques de traitement comptable ou liés aux normes IFRS leur sont aussi ponctuellement confiés.

Conseils

Parmi les autres partenaires du groupe, un support à la politique de couverture de change et de taux est assuré par Strafi conseil. La société Reportwise assiste également Manitou sur le paramétrage des outils de consolidation. Enfin, la société Porzamparc, qui a réalisé l’introduction en bourse de Manitou en 1984, intervient en conseil boursier et financier.

L'info financière en continu

Chargement en cours...

Dans la même rubrique

Recrutement dans les fintechs : la fin de l’embellie

Avec le repli brutal des levées de fonds, la tendance est davantage au licenciement qu’à l’embauche...

Les fonds structurent leurs relations investisseurs

Longtemps gérées directement par les associés, les relations investisseurs se sont...

Les fiscalistes assoient leur positionnement en entreprise

Face au développement des réglementations et à la volonté des entreprises de payer le juste impôt,...

Voir plus

Chargement en cours...