Epargne retraite

Le chantier du PER s’annonce durablement porteur pour l’ERE

Publié le 22 novembre 2019 à 17h00    Mis à jour le 27 juillet 2021 à 11h09

Propos recueillis par Laurence David-Delain

La trêve estivale aura été de courte durée cette année pour les spécialistes de l’épargne retraite entreprise. Entre la sortie des textes d’application cadrant le PER publiés au Journal officiel les 25 juillet, 1er août et 11 août, et le lancement des premières offres le 1er octobre, tous les acteurs de la place ont dû composer avec des délais très courts de mise en conformité – sept semaines ! – qui les ont contraints à mettre les bouchées doubles pour non seulement intégrer cette nouvelle norme législative, mais être en mesure d’aider leurs entreprises clientes à en tirer au plus tôt le meilleur parti. Or, c’est bien connu, le diable se cache toujours dans les détails. Mais les participants de notre table ronde sont unanimes : le jeu en vaut résolument la chandelle ! Aussi complexe et chronophage soit-elle, la nouvelle dynamique retraite est déjà à l’œuvre au sein des entreprises qui, toutes tailles confondues, sont de plus en plus nombreuses à faire de l’ERE la pierre angulaire de leur politique sociale de demain.

la loi Pacte saura-t-elle «faire de l’épargne retraite un produit phare de l’épargne des Français» susceptible de drainer «100 milliards d’euros d’encours supplémentaires à l’horizon 2022», comme le Gouvernement l’ambitionne ?

Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne : Plusieurs facteurs plaident en faveur d’une meilleure perception de l’épargne retraite. Tout d’abord, on le sait, enquête après enquête le même constat s’impose : les Français sont extrêmement inquiets du niveau de vie qu’ils auront lorsqu’ils cesseront leur activité professionnelle. Cette nouvelle loi s’inscrit donc dans un contexte particulièrement anxiogène en matière de retraite marqué en filigrane par le projet de refonte de l’ensemble des régimes par répartition dont les perspectives annoncées (5,5 % de rendement estimé pour le futur régime en points, plafonnement des cotisations pour les plus hauts revenus, etc.) ne font pas vraiment rêver ! Par ailleurs, la loi Pacte qui au départ a surtout pour objectif de réorienter l’épargne des Français vers des placements longs et diversifiés davantage investis en actions, donc favorables au soutien de l’économie réelle, arrive dans un environnement de taux négatifs inédit qui a pour corollaire que les placements sans risque ne protègent plus le capital investi.

Enfin sur le plan démographique, on est à la croisée des chemins, la population active s’est sensiblement réduite par rapport à la génération des baby-boomers, les compétences se font plus rares et la retraite tend à devenir pour les employeurs un argument de politique sociale plus fort pour retenir les talents. Le lancement du PER s’inscrit donc dans un contexte plutôt porteur pour son déploiement d’autant que tout en reprenant dans ses grandes lignes le fonctionnement des produits existants, cette nouvelle enveloppe joue la carte de la convergence, de la transférabilité des dispositifs entre eux et de la souplesse avec l’élargissement des possibilités de sortie en capital.

Patrick Leroy, directeur général délégué d’Agrica Epargne : Au-delà du contexte, il y a également un constat posé en creux par le législateur : les régimes de retraite de base et complémentaires arrivent à maturité, les marges de progression en la matière sont limitées. De ce fait, il faut inciter les Français, dont le taux d’épargne est très important, à orienter leurs placements vers l’épargne retraite plutôt que d’alimenter leurs comptes de dépôts, leurs livrets A et leur assurance vie. Cette dernière, il est vrai, est souvent souscrite par les particuliers dans une optique retraite, mais ils font une erreur de casting ! Très majoritairement placée en fonds en euro, l’assurance vie n’assurera pas les retraites de demain. Les mesures en faveur de l’épargne longue contenues dans la loi Pacte ont pour objet d’infléchir cette tendance, de réorienter l’épargne vers des produits plus rentables, structurés pour une prise de risque maîtrisée dans le temps, et d’accélérer les prises de conscience en faveur de la nécessaire consolidation d’un véritable troisième pilier de retraite supplémentaire qui ne peut plus attendre.

Guillaume Meyer, directeur épargne & retraite d’entreprise de Groupama Gan Vie : Cette loi arrive à point nommé. L’environnement anxiogène que l’on vient d’évoquer est évidemment regrettable mais c’est un élément moteur pour accélérer la demande d’équipement retraite des salariés. Ces derniers, on le constate sur le terrain et au travers des enquêtes menées régulièrement sur ce sujet, ont une attente chaque année plus marquée vis-à-vis de leur entreprise pour qu’elle les accompagne et les aide à se constituer un complément de retraite dans un cadre collectif, vécu comme plus protecteur. 

Par ailleurs, outre la création du PER, la loi Pacte redonne de l’élan aux contrats à prestations définies, ex-article 39, dans des dimensions que l’on a encore un peu de mal, nous professionnels, à bien circonscrire. Mais une chose est sûre, ces dispositifs correspondent à un vrai besoin, qu’il s’agisse du chef de TPE qui, à 55 ans, prend un peu tardivement conscience de la nécessité d’un complément de revenu additionnel pour assurer le financement de ses vieux jours ou des dirigeants des grands groupes qui disposent avec ce type de contrats d’un outil très efficace. Ce marché que l’on considérait comme fermé a de fortes chances de se réouvrir dans des conditions bien plus favorables que celles qui prévalaient ces derniers temps.

Karen Charbonnel, directrice du développement corporate chez Natixis Interépargne : En favorisant la convergence des règles de fonctionnement de l’épargne retraite au travers d’un dispositif unique, le PER, le Gouvernement donne un signal fort, «tamponne» en quelque sorte la légitimité de ce plan pour tous les Français. La question certes est de savoir si ce «label» d’Etat suffira pour convaincre les salariés de s’engager dans ces produits de long terme, mais incontestablement les conditions sont réunies pour les encourager dans cette voie. Nous avons bataillé ferme, mais les pouvoirs publics nous ont entendus et beaucoup de sujets ont progressé par rapport à la loi Fillon : on propose désormais au salarié une enveloppe retraite unique, susceptible d’accueillir des produits transférables entre eux que l’on pourra débloquer si on achète sa résidence principale, et qui généralise la possibilité de sortie en capital. La pédagogie reste toutefois essentielle pour aider les intéressés à comprendre et s’approprier la valeur ajoutée du PER.

Edouard Clarke de Dromantin, directeur commercial de BNP Paribas E&RE : Si on se rapproche du terrain, on constate que de nombreuses entreprises ont déjà commencé, depuis plusieurs années, à faire bouger leur budget de politique sociale en faveur des couvertures retraite supplémentaires, en abondant par exemple davantage le Perco que le PEE. La prise de conscience est en marche. L’arrivée de la loi Pacte, associée à la suppression du forfait social pour les petites entreprises, constitue un véritable stimulus. 

Figurant parmi les pistes de réflexion de la réforme systémique en cours de gestation, la limitation éventuelle des cotisations retraite à trois Pass, soit environ 120 000 euros, est un autre vecteur de changement pour les entreprises soucieuses d’accompagner leurs cadres dans la préparation de leur retraite. Nos clients commencent à bâtir de nouvelles stratégies retraite à l’aune du PER. Certains veulent accélérer une mise en place d’un plan avant la fin de l’année pour que leurs salariés puissent profiter pleinement des possibilités de défiscalisation de leurs versements volontaires, D’autres, déjà dotés de dispositifs, se donnent quelques mois pour réfléchir. Quant à ceux (de plus en plus rares) qui restent dubitatifs, ils n’auront, je pense, guère d’autre solution que de s’équiper dans un proche avenir.

Hubert Clerbois, président d’EPS Partenaires : Les problématiques sont en effet sensiblement différentes selon la taille des entreprises et leur niveau d’équipement en plans retraite (contrats article 83 et/ou Perco) et les opportunités s’annoncent nombreuses, qu’il s’agisse de négocier un premier dispositif ou de redéployer de l’existant. Parviendrons-nous pour autant à drainer plus de 25 milliards d’euros supplémentaires par an dans les quatre ans qui viennent, comme l’ambitionnent les pouvoirs publics ? La baisse du forfait social est sans conteste un excellent levier, et l’accélération programmée de celle du taux de remplacement des cadres et des cadres dirigeants également ! On dispose avec le PER d’un réceptacle unique pour récolter le fruit de ces dynamiques nouvelles, mais rien n’est gagné pour autant. Il convient désormais de relever le challenge commercial auprès des entreprises dont les budgets sociaux, on le sait, ne sont pas extensibles.

Le PER regroupe trois logiques d’épargne différenciées – individuelle, salariale et collective obligatoire – et ouvre ces trois marchés aux assureurs et aux sociétés de gestion ; cela signe-t-il l’avènement d’une logique ERE pour tous les acteurs ?

Edouard Clarke de Dromantin : Très tôt chez BNP Paribas, nous avons été convaincus que seule la convergence des métiers permettrait d’avancer durablement sur le terrain de la retraite d’entreprise. Le fait de permettre aux assureurs et aux gestionnaires d’actifs de proposer le même produit ouvre de vrais changements bénéfiques pour l’ERE, bien que certaines spécificités issues des deux environnements aient été maintenues. Cela étant dit, tous les acteurs du marché sont mobilisés pour expliciter de la manière la plus simple possible ce produit offrant plusieurs déclinaisons, sachant que pour l’entreprise comme pour le salarié, le seul argument qui vaille au fond est celui d’un dispositif «clés en main» dont il n’a pas à se soucier outre mesure. Le PER nous donne de nouveaux moyens pour faire valoir des solutions harmonisées et lisibles auprès de nos clients et le Gouvernement, de son côté, observe avec attention les premiers pas du PER sur le marché !

Guillaume Meyer : Bercy souhaite en effet suivre les ventes des PER, mais nous n’avons pas besoin de cette pression. Nous sommes convaincus des vertus de ces produits, en particulier dans le cadre de l’entreprise, qui génèrent des synergies entre les expertises assurantielles et celles de la gestion de l’épargne salariale, au profit des clients qui disposent ainsi de gammes de produits complémentaires et harmonisés. De nouveaux sites web E&RE ont d’ailleurs été créés par les compagnies qui offrent l’ensemble de la panoplie, mettant en avant tant l’analyse des besoins en matière d’épargne retraite que les différentes réponses possibles. Il faudra toutefois un peu de temps pour que les réseaux de distribution s’approprient pleinement le nouveau produit retraite et, pour l’heure, ils jouent la carte de la continuité avec les dispositifs existants en mettant simplement en avant les arguments de vente supplémentaires que ménage le PER en matière de défiscalisation des versements individuels ou de sortie en capital.

Philippe Crevel : L’idée du compartiment est un élément-clé de changement. Le Gouvernement a choisi de faire converger les structures existantes dans un «arbre» retraite qui prend ses racines dans les métiers de l’assurance et de la gestion d’actifs et casse les lignes concurrentielles au profit de l’ensemble du secteur. C’est un pari a priori gagnant-gagnant pour les concepteurs et les consommateurs d’offres retraite.

Karen Charbonnel : Nous avons par essence un positionnement un peu différent chez Natixis Interépargne, davantage centré sur l’activité épargne salariale «pure», mais nous avons développé de longue date une approche globale car les entreprises raisonnent non pas en termes de produits, mais de solutions mixtes adaptées à des problématiques très différenciées. Avec la loi Pacte, nous prenons un véritable virage stratégique et nous avons décidé de nouer un partenariat avec un assureur qui nous permettra de renforcer notre capacité d’accompagnement de l’entreprise dans la mise en œuvre d’une politique d’épargne retraite collective ajustée au plus près de ses besoins. Natixis Interépargne scelle la réunion de deux expertises professionnelles au profit du client final.

Patrick Leroy : Notre schéma est également différent car le groupe Agrica, spécialisé en protection sociale, gère de longue date des régimes d’assurance retraite complémentaire et supplémentaire pour le monde agricole. Cette culture d’équipement retraite qui passe pour l’essentiel par des accords de branche est très forte et ancienne. Elle a été complétée, avec la création d’Agrica Epargne en 2004, par un volet d’épargne salariale qui s’est traduit par la signature de nombreux PEEi et Percoi. La cohabitation des deux univers n’est donc pas nouvelle pour nous. Elle va se poursuivre et se renforcer avec le PER, qui va favoriser une meilleure lisibilité de l’interface et faire écho à un autre enjeu crucial, celui de l’harmonisation de l’offre financière.

Hubert Clerbois : Toutes les entreprises ne vont pas vouloir activer forcément de la même façon les trois compartiments du PER ; le fait de rester spécialisé sur un métier plutôt qu’un autre n’est donc pas une mauvaise chose en soi, au contraire. La question de l’offre unique ne se pose par ailleurs pas dans les mêmes termes pour une TPE ou un grand groupe. Dans le premier cas la solution retraite 3 en 1 négociée avec un opérateur unique est sans doute la plus appropriée.

A l’autre bout du spectre, les configurations sont plus complexes. Les grandes entreprises sont généralement déjà multi-équipées, elles ont passé des accords avec différents prestataires et les partenaires sociaux sont fortement impliqués dans la négociation des dispositifs mis en place. La qualité de service est essentielle et la question du renouvellement éventuel de l’existant exige un véritable audit. L’heure est donc pour ces grosses structures plutôt à la réflexion qu’au passage à l’acte, et la bataille qui s’annonce dans l’immédiat entre opérateurs est celle de l’information, du meilleur conseil.

On le sait en effet : la retraite, cela se vend plus que cela ne s’achète. Quels sont les facteurs-clés d’une stratégie commerciale retraite efficace ?

Edouard Clarke de Dromantin : Avec la création du PER on est en capacité de proposer une fusée à trois étages, catégoriel pour les cadres, collectif pour l’ensemble des salariés, individuel pour que chacun puisse optimiser ce dispositif – et les entreprises sont souvent prêtes à mobiliser des budgets retraite chaque année plus importants. En tant qu’acteurs nous avons donc pour mission non seulement de promouvoir ces dispositifs mais de les valoriser durablement et c’est là que se joue la partie aujourd’hui.

Guillaume Meyer : Nos équipes E&RE travaillent sur deux axes fondamentaux : celui de la simplification et comme le disait à l’instant Edouard, celui de la valorisation. En forçant le trait, on peut dire que dans l’entreprise, l’attention portée aux dispositifs d’épargne salariale et de retraite se concentre sur deux temps forts : leur négociation à la mise en place et leur promotion lors d’une embauche. Ensuite, l’entreprise comme le salarié tendent à oublier ce qui existe en matière de plans d’épargne et de retraite.

Nous sommes donc convaincus de l’importance de la valorisation régulière de ces plans auprès des salariés. Par exemple, les bilans sociaux individualisés (BSI) permettent à l’entreprise de mettre en avant sa politique sociale en offrant à chaque salarié une photographie synthétique de ses diverses formes de rémunérations périphériques. Nous avons ainsi noué un partenariat avec WinchApps, une start-up spécialisée en BSI digitaux, avec pour double objectif d’aider le DRH à y voir plus clair tout en poussant les salariés à réveiller leur épargne, à se l’approprier, à faire les bons choix financiers et à mieux la gérer dans la durée. Une stratégie commerciale retraite efficace commence par la formation des forces commerciales ; nous y attachons une grande importance et avons récemment bâti une Académie ERE pour nos vendeurs pour qu’ils soient en mesure de donner le meilleur conseil à leurs clients.

Karen Charbonnel : L’accompagnement est en effet primordial sachant qu’il ne prend pas la même forme selon qu’il s’agit d’épauler l’entreprise dans le choix de ses dispositifs ou le salarié dans la gestion de ce qui aura été négocié avec son employeur. Dans le premier cas, on l’a dit, les démarches ne seront pas les mêmes selon que l’on équipe pour la première fois une petite structure ou que l’on établit un audit pour redéployer des dispositifs existants dans le cadre renouvelé du PER... C’est à nous professionnels de baliser la voie du PER, d’aider les entreprises à faire les choix les plus opportuns pour l’avenir. Quant aux salariés, il convient dans un premier temps de leur permettre d’estimer leur retraite future et leur besoin de financement complémentaire en leur proposant des outils de bilan retraite avant de les guider dans l’appropriation des dispositifs collectifs auxquels ils ont accès et dans leur gestion au long cours. L’exercice n’est toutefois pas aisé et nécessite beaucoup de pédagogie.

Philippe Crevel : La sensibilisation et le conseil sont incontestablement les premiers jalons de la démarche d’épargne retraite, et en ce sens, le PER constitue une belle opportunité pour joindre sur le terrain de l’entreprise le social et le financier, dans une dynamique doublement vertueuse pour l’employeur et le salarié.

Patrick Leroy : Sur notre marché cible, les partenaires sociaux jouent un rôle essentiel, et notre travail d’accompagnement et de pédagogie passe prioritairement par leur canal car ce sont eux qui finalement signent les accords et relaient auprès des entreprises agricoles les arguments en faveur d’une couverture retraite supplémentaire.

La mise en place du nouveau PER est-elle aussi simple qu’annoncé ?

Patrick Leroy : La loi apporte un certain nombre de réponses en prévoyant notamment que les offres interentreprises soient modifiées par avenants et dans leur grande majorité, les Percoi du marché seront transformés en PER interentreprises d’ici la fin de l’année. Pour les Perco négociés sur mesure, on peut également, par simple accord du CSE (comité social et économique), rendre l’offre «Pacte-compatible». Ces travaux de transformation ont été initiés par Agrica Epargne et nous ne rencontrons à ce jour pas de difficulté notable.

Hubert Clerbois : Encore une fois, il faut distinguer le cas de la petite ou moyenne structure dotée d’un plan interentreprises qui profite d’une transformation quasi automatique, et celui du gros groupe, où légalement ce que vient d’évoquer Patrick est censé s’appliquer. Mais bien souvent il faut composer avec des configurations plus complexes, négociées ou pas, s’appuyant sur le plan financier sur des fonds dédiés, etc., et la refonte de ces anciennes couches dans le nouveau moule PER ne se fera pas forcément du jour au lendemain. Les entreprises qui nous sollicitent souhaitent en général profiter du PER pour simplifier et harmoniser leur offre retraite. Mais dès qu’on soulève le capot de ce que l’on nous présente comme du prêt-à-porter retraite, on s’aperçoit que cela exige réflexion et expertise.

Edouard Clarke de Dromantin : Les dispositifs que certaines de nos grosses entreprises clientes ont choisi de transformer avant le 31 décembre ont été renégociés dans les règles de l’art, nous avons fourni les avenants mais rien n’a été imposé unilatéralement, bien au contraire.

La réforme incite les épargnants à diversifier financièrement leurs plans retraite en les orientant par défaut sur la gestion pilotée à horizon. Mais les salariés vont-ils pour autant suivre cette voie compte tenu de leur aversion à la prise de risque ?

Philippe Crevel : On a déjà pu constater pour le Perco l’effet positif du fléchage par défaut de la participation sur ce plan. On peut imaginer que l’impact sera le même pour la gestion pilotée, les salariés faisant souvent preuve d’une certaine «passivité» en la matière, «passivité» qui pourrait être gagnante malgré tout !

Patrick Leroy : On travaille à un business plan sur ce sujet en considérant qu’au moins 70 % de la collecte nouvelle pourrait s’orienter vers la grille équilibrée par défaut instituée par la loi Pacte. Il faudra bien sûr accompagner nos adhérents dans la mesure de leur prise de risque. Mais nous avons encore beaucoup de questions techniques en suspens concernant la transformation du stock.

Guillaume Meyer : Dans le cadre des produits d’entreprises, il n’y a pas vraiment de sujet car, pour certains acteurs dont Groupama fait partie, la gestion pilotée est proposée par défaut et très peu d’épargnants modifient ce choix d’allocation qui est, rappelons-le, probablement le meilleur choix à faire pour un horizon retraite.

Edouard Clarke de Dromantin : Dès le lancement de notre Perco, la direction de BNP Paribas E&RE a décidé de faire de la gestion pilotée un choix par défaut. Résultat, aujourd’hui nous avons près de 50 % de nos stocks de Perco en gestion pilotée. Ce choix n’avait pas pu être appliqué à nos contrats PER entreprise – article 83 qui comportent aujourd’hui environ 70 % de fonds en euros. 

On se retrouve donc avec deux configurations sensiblement différentes, et une question centrale à la clé : transformerons-nous ce stock dans le cadre de l’évolution de nos dispositifs collectifs et catégoriels en PER ? Nous avons d’ores et déjà arrêté notre stratégie sur ce sujet, et nous la déploierons dossier par dossier.

Hubert Clerbois : On touche là à un point névralgique de la réforme. Comme je le disais précédemment, on nous présente le PER comme une belle carlingue retraite unifiée et simplifiée, mais dans les faits ce véhicule exige pour monter en puissance une série de réglages et d’ajustements qui reposent sur des ressorts (règles de négociation, de transferts, de gestion financière, etc.) extrêmement différenciés et pas forcément compatibles. On a posé les fondations, il reste maintenant à faire le plus dur : réunir les différentes composantes de l’épargne retraite en une construction multidimensionnelle pérenne.

Pensez-vous que les possibilités de transfert d’assurance vie vers le PER autorisées par la loi Pacte puissent inciter les salariés à injecter cette forme d’épargne dans leurs plans retraite d’entreprise ?

Philippe Crevel : L’avantage fiscal associé à cet éventuel transfert est très important, on double les abattements : c’est énorme, puisqu’un couple peut récupérer jusqu’à 18 400 euros d’intérêts en franchise fiscale. Cela suffira-t-il pour autant à convaincre les Français de basculer une partie ou la totalité d’un contrat ouvert depuis au moins huit ans sur un PER ? Je ne pense pas. Certes lorsqu’on les interroge sur les raisons qui les poussent à souscrire une assurance vie, les épargnants citent systématiquement la retraite comme premier ou deuxième motif de placement. Mais en fait c’est un leurre, car la logique patrimoniale qui sous-tend l’assurance vie n’est pas comparable à celle de l’épargne retraite pure. Il ne s’agit pas de se constituer un complément de revenu viager mais un capital susceptible de servir le moment venu un projet, qu’il s’agisse d’investir dans un nouveau logement, d’anticiper une situation de dépendance ou de préparer sa transmission dans des conditions civiles et fiscales optimisées. Ce n’est pas l’arrivée du PER qui va entamer cette logique et on ne doit pas s’attendre à des mouvements massifs de transferts. Des arbitrages pourront toutefois avoir lieu, notamment chez des personnes fortement imposées qui à moins de dix ans de la retraite vont s’apercevoir qu’il leur faut injecter davantage d’argent sur leurs plans retraite pour compenser la faiblesse de leur taux de remplacement. Je crois en revanche que dans les prochaines années, l’épargne retraite bénéficiera de versements en hausse du fait de la nécessité de se constituer un supplément de revenus à la retraite.

Edouard Clarke de Dromantin : Nous avons des ambitions sur ce terrain et nous bâtissons des stratégies avec nos partenaires pour inciter les salariés à faire des arbitrages de leur assurance vie vers nos contrats PER.

Guillaume Meyer : Dans le cadre des PER Individuels, il est évident qu’il y a d’importants effets d’aubaine à saisir. Pour l’ERE, je suis plus circonspect dans la mesure où cette possibilité s’accompagne d’un devoir de conseil très fort et complexe à donner dans le cadre d’un contrat collectif et par le fait que les conditions d’accès à ce transfert sont assez restrictives.

Pour conclure, l’année 2020 s’annonce-t-elle résolument sous la bonne étoile du PER ?

Karen Charbonnel : Evidemment, la machine est bien lancée et ne s’arrêtera pas demain ! Toutefois, il y a un autre sujet qu’il ne faudra pas négliger : c’est celui du traitement des produits existants. Le Gouvernement suit le nombre de nouveaux PER que nous mettons en place. Nous savons qu’à partir d’octobre 2020, les produits existants ne seront plus ouverts à la commercialisation, mais cela ne veut pas dire qu’ils disparaîtront pour autant. De même, les assureurs ont un délai qui court jusqu’à fin décembre 2022 pour transférer leurs produits retraite dans le nouveau canton épargne retraite institué par la loi Pacte. Nous sommes donc partis pour composer encore longtemps avec un univers ERE riche, mêlant ancien et nouveau monde, et le boulevard qu’ouvre le législateur pour l’épargne retraite exige d’emblée une certaine pratique du terrain si l’on veut éviter les sorties de route ! 

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