Table ronde

L’industrie de la gestion d’actifs prend le virage de l’ISR

Publié le 27 avril 2018 à 18h45    Mis à jour le 27 juillet 2021 à 10h51

Propos recueillis par Catherine Rekik

Encouragés par une réglementation favorable (et contraignante), les gérants d’actifs ont mis l’accent sur l’investissement socialement responsable pour répondre aux besoins des investisseurs institutionnels. En parallèle, de nombreuses enquêtes montrent le souhait croissant des particuliers de donner du sens à leur épargne sans pour autant que cela déclenche une demande pour les produits ISR. Pourquoi ?Funds s’interroge sur les dernières évolutions en matière d’offre de gestion ISR (terminologie, concepts, de l’ISR à l’impact investing) et sur les enjeux d’une plus large diffusion (rôle des sociétés de gestion, intérêt des labels, formation et accompagnement des intermédiaires, etc.).

ISR, ESG ... Que recouvrent tous ces concepts ?

Julie Fardoux, responsable relations extérieures, Amundi ISR : 

L’investissement socialement responsable (ISR) repose sur la prise en compte des notations ESG, c’est-à-dire sur des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, dans le processus de gestion. Chaque société de gestion met en œuvre une approche ISR définie selon des règles qui lui sont propres, mais toujours en s’appuyant sur ces notations ESG qui sont au cœur du processus, et peuvent s’appliquer à toutes les classes d’actifs et à toutes catégories d’émetteurs. L’ISR permet de sélectionner les entreprises qui gèrent le mieux leurs opportunités et leurs risques ESG sans induire de biais thématique. Certaines offres sont plus spécifiques et ciblent des thématiques précises environnementales ou sociales. Les différentes approches d’investissement responsable sont complémentaires et peuvent se combiner entre elles.

Béatrice Verger, responsable du développement ISR, BNPP AM : 

Il faut bien distinguer la notation ESG, c’est-à-dire l’analyse d’un point de vue environnemental, social ou de gouvernance qui amène à une évaluation de l’entreprise, et l’ISR qui correspond aux principes du développement durable appliqués à la sphère financière. Le citoyen français sait ce qu’est le développement durable et y est sensible au quotidien. S’il veut appliquer ces principes dans son épargne financière, il privilégiera l’ISR. En effet, l’ISR va prendre en compte les critères ESG dans l’évaluation des entreprises et sélectionner soit celles qui ont les meilleures pratiques ESG (en excluant ceux qui ont les moins bonnes) soit celles qui apportent des solutions à un enjeu environnemental ou social à travers des fonds thématiques par exemple.

Bruno Fine, président, fondateur et directeur de la gestion, Roche Brune Asset Management : 

L’entreprise doit être au centre du dispositif. Les sondages montrent bien que les Français ne comprennent pas la terminologie ISR. Il faudrait commencer par les éduquer sur l’entreprise qui réunit plusieurs parties prenantes. L’ISR peut permettre de comprendre comment interagissent un actionnaire, un salarié, un fournisseur et un client dans une chaîne vertueuse pour créer de la valeur. Selon moi, l’ISR est le terme qui permet de suivre l’évolution de ces parties prenantes. L’entreprise doit être le mot-clé de l’ISR.

Béatrice Verger :

La définition qui vient d’être donnée de l’ISR se rapproche plus, selon moi, de la démarche RSE (responsabilité sociétale des entreprises). L’ISR implique plus l’idée d’investir dans une entreprise.

Christophe Frespuech, directeur du développement, OFI AM : 

Il y a beaucoup de jargon autour de l’ISR. C’est une matière technique à appréhender et c’est bien là l’un des enjeux principaux de son développement. Certains parlent même de Tour de Babel de l’ISR ! Il y a une multiplicité d’approches, si bien que le même terme décrit des réalités différentes. Il existe également des différences culturelles et même historiques dans la démarche ISR. L’AFG a donné une définition de ce qu’est l’ISR – la France est d’ailleurs un des rares pays à l’avoir fait – mais cette définition peut être déformée ou réappropriée de diverses façons.

L’intégration de critères ESG est certes le sens premier de l’ISR mais recouvre différentes approches. On parle également de politique d’engagement ou d’impact investing, des notions parfois difficiles à appréhender par les investisseurs institutionnels et surtout par les particuliers.

Par ailleurs, la COP 21 a placé le climat au rang des priorités majeures. Et la loi de transition énergétique (LTE), joue un rôle d’accélérateur y compris dans la prise de conscience et le développement de l’ISR en France en mettant le climat au centre des préoccupations. Toutefois, la loi de transition énergétique va au-delà des enjeux climatiques mais porte également sur la communication qui doit être faite en toute transparence par les investisseurs institutionnels quant à leur bonne appréhension de l’ensemble des enjeux ESG (mise en place d’outils et d’actions).

L’ISR mérite plus de clarification et de simplification. Et sur cet aspect, il reste du chemin à parcourir.

Rebecca Fischer-Bensoussan, directrice commerciale France et Luxembourg, Generali Investments : 

Chez Generali Investments, l’ISR est une stratégie de moyen/long terme. En complément de l’analyse financière, nous utilisons des critères ESG, l’idée étant de permettre aux investisseurs d’avoir un rôle plus proactif dans l’économie, sans pour autant renoncer à de la performance financière. Je partage ce qui a été dit précédemment sur la confusion créée par l’abondance des termes utilisés auprès des clients, aussi bien les particuliers que les clients institutionnels. Ces derniers sont certes motivés par l’article 173 mais tout ce qui concerne par exemple les mesures d’impact n’est pas simple à appréhender. En posant un cadre, les labels ont un rôle à jouer. Ils devraient permettre de mieux comprendre les différentes pratiques, l’ISR pouvant s’exprimer en utilisant des approches «best in class», «best effort», d’exclusion, d’engagement, tout en pouvant les combiner parfois.

Pascale Baussant, gérante, Baussant Conseil  :

Nous avons publié un livre blanc sur l’ISR afin d’apporter de la pédagogie à nos clients mais il faut avouer, qu’au niveau des distributeurs que nous sommes, la confusion est presque aussi grande qu’au niveau des particuliers. Particuliers et distributeurs confondent souvent l’investissement socialement responsable et la finance de partage. Nous partageons souvent aussi l’idée que l’ISR se fait au détriment de la performance. Il y a donc un travail important à faire en termes de communication et de pédagogie.

Les critères ESG caractérisent-ils vraiment l’ISR ?

Béatrice Verger :

L’analyse des critères ESG s’est effectivement généralisée dans la gestion. Il est difficile aujourd’hui pour un gérant d’investir dans une entreprise sans avoir regardé comment elle est dirigée ou quel est l’impact environnemental de ses activités. Cette analyse sert donc à l’ensemble des gestions. C’est un outil supplémentaire pour un gérant de portefeuille qui peut ainsi arbitrer entre deux entreprises de même valeur financière en fonction de ces critères. Dans l’ISR, nous allons fixer des règles d’utilisation de ces critères qui peuvent être contraignantes pour le gérant comme l’interdiction d’investir dans une valeur mal notée. Le curseur peut être mis à différents niveaux, pour exclure certaines valeurs ou valoriser celles qui ont les meilleures pratiques. Alors oui, il y a une généralisation des critères ESG, qui font désormais partie de la gestion des risques, mais leur utilisation en est différente selon que le fonds géré est ISR ou pas.

Bruno Fine :

Peut-être aurons-nous demain un commissariat aux comptes à l’ISR ou à l’ESG de manière à pouvoir classer directement les sociétés ? Notre métier d’investisseur pour compte de tiers est de sélectionner des émetteurs qui eux-mêmes ne parlent pas le même jargon ISR ou ne sont pas impactés de la même façon par les enjeux environnementaux ou sociaux. Il ne peut pas y avoir d’investisseur responsable s’il n’y a pas d’émetteur responsable. Il y a aujourd’hui une grande hétérogénéité de l’information. Certaines entreprises peuvent être mal notées alors qu’elles se comportent bien tout simplement parce qu’elles n’ont pas rempli le questionnaire.

Christophe Frespuech :

Chaque société de gestion a son approche de l’utilisation des critères ESG. L’analyse ESG sert à identifier des risques et également des opportunités. Chez OFI AM, nous avons une approche qui se concentre sur les enjeux clés de chaque secteur. On ne regarde pas de la même façon une entreprise du secteur pétrochimique ou une société de services. Nous regardons d’abord les enjeux clés d’un secteur et, ensuite, nous procédons à une évaluation ESG. En ce qui concerne le critère gouvernance, il est pour nous essentiel et nous lui attribuons un poids constant et significatif dans l’évaluation des entreprises. Sans une gouvernance efficace, une entreprise peut être vouée à l’échec. Elle concerne aussi bien l’organisation de l’entreprise que la pratique des affaires Ce critère est intégré par toutes les sociétés de gestion y compris celles qui ne font pas d’ISR.

Julie Fardoux :

Nous fondons notre analyse ESG sur 36 critères dont 15 qui sont communs à l’ensemble des émetteurs, quelle que soit leur activité, et 21 spécifiques, propres aux enjeux de chaque secteur. Par exemple, le développement de voitures vertes dans l’automobile, ou les pratiques de lobbying ou d’accès aux médicaments dans la pharmacie. Cela va permettre d’identifier les bonnes pratiques par secteur. Ces critères sont appliqués à plus de 5 500 émetteurs. Les gérants ont accès à ces notations ESG, en plus des notations financières et de l’analyse crédit, et peuvent arbitrer entre deux valeurs équivalentes sur le plan financier. En ce qui concerne les fonds ISR, nous appliquons des règles strictes : taux de couverture par la notation ESG, note minimale exigée, etc. Nous concevons également des solutions ISR sur mesure en fonction des besoins de nos clients et de demandes d’exclusion spécifiques. A cela s’ajoutent les pratiques d’engagement auprès des sociétés, de dialogue actionnarial et de vote aux assemblées générales.

Rebecca Fischer-Bensoussan :

Notre démarche est assez similaire avec une base de 34 critères ESG afin de couvrir les 26 secteurs du MSCI Europe. Nous identifions, pour chaque secteur, six à sept critères qui vont être approfondis car plus pertinents. Seul le critère de gouvernance d’entreprise est commun à tous les secteurs. Une entreprise peut avoir passé tous les filtres et être bien notée sur les six critères de son secteur, elle sera cependant exclue s’il y a un problème de gouvernance mis en lumière par nos analystes.

Autre point important : la traçabilité. Cette méthodologie existe depuis 2010 et nous suivons donc l’évolution des émetteurs. Nous avons une vraie démarche d’engagement, reposant sur des échanges avec les entreprises sur chacun des critères de son secteur. Cette analyse, renouvelée tous les deux ans, s’inscrit dans la durée et nous permet d’apprécier les efforts des entreprises. Par ailleurs, toutes les sociétés qui n’ont pas obtenu une note supérieure à 50 % sont exclues de notre univers d’investissement ISR. Ce n’est pas négociable. Certes, cela limite l’univers d’investissement mais nous sommes convaincus que c’est un gage de solidité de notre approche et que cela contribue à réduire la volatilité du portefeuille final.

Bruno Fine :

Nous touchons là à la construction de portefeuille et à l’univers des possibles. Nous avons démarré, en 2009, notre réflexion autour de l’ISR et nous sommes passés d’une approche «best in class» à un mélange de «best in class» et «best in universe». Dans le «best in class» on retient le meilleur d’un secteur sans que cela signifie pour autant qu’il ait de bonnes pratiques, alors que dans le «best in universe», les entreprises peuvent avoir un bon comportement indépendamment de leur secteur d’activité.

Chez Roche Brune, nous essayons de travailler dans le sens de la lecture du risque. Dans la sélection, plusieurs valeurs peuvent passer sur la base des critères financiers mais, au moment de l’assemblage, nous allons vérifier les critères extra-financiers. Nous décidons ensuite du dosage propre à la lecture du risque. Nous avons ensuite une liste d’exclusion de secteurs tels que l’armement ou les jeux.

Rebecca Fischer-Bensoussan : 

Nous avons une démarche inverse à celle qui vient d’être décrite. Il n’y a pas d’analyse financière et de sélection de titre si une entreprise ne passe pas le filtre ISR. C’est le cas pour l’ensemble de la gamme ISR. Par ailleurs, nous avons opté pour une approche «best effort» qui privilégie l’amélioration des indicateurs ESG dans le temps.

Christophe Frespuech :

C’est toute la complexité de l’approche «best in class» ! Un secteur peut avoir des pratiques très négatives sur l’empreinte carbone mais certaines entreprises de ce secteur vont s’inscrire dans une dynamique de progrès, positive sur le long terme. Dans le débat actuel, tout le monde se focalise sur l’empreinte carbone, un indicateur très simple mais réducteur. Pour favoriser la transition énergétique, il faut regarder des sociétés qui ont aujourd’hui une empreinte carbone importante mais qui font les efforts nécessaires pour changer leur mode de production. C’est cette dynamique que nous essayons d’encourager. Et c’est ce que l’on recherche avec une approche «best effort».

Pascale Baussant :

Il est difficile d’expliquer à un particulier, qui n’est pas familier de ces différentes approches, pourquoi un portefeuille ISR comporte une ligne importante investie dans un groupe pétrolier. Il est compliqué de lui expliquer en quoi cela peut être un bon élève malgré tout et de surmonter les préjugés liés aux approches «best in class».

Julie Fardoux :

L’approche «best in class» est en effet assez neutre d’un point de vue sectoriel. Il n’y a pas de biais ou de volonté de sous-pondérer un secteur. Mais nous avons introduit une politique d’exclusion «charbon» à la suite de la COP 21. Nous avons commencé, en 2016, par exclure les sociétés qui généraient plus de 50 % de leurs revenus dans la production de charbon. Notre objectif était de mettre en place une démarche progressive, c’est ainsi que nous avons ensuite baissé ce seuil à 30 % en 2017, et nous avons aussi introduit une notion qualitative permettant d’exclure les plus gros producteurs.

Bruno Fine :

Il y a beaucoup de valeur dans la dynamique de «best effort». Cela permet de ne pas réduire l’analyse extra-financière à une analyse des sociétés qui se comportent bien et ont un bon score ESG. Les entreprises qui n’appartiennent pas au camp des bons élèves ne sont pas pour autant des délinquantes.

Béatrice Verger :

Ces approches permettent de s’engager aux côtés des émetteurs. L’enjeu est de discuter avec les entreprises et de parvenir à une amélioration de leurs pratiques environnementales et/ou sociales.

Christophe Frespuech :

Pour construire aujourd’hui un portefeuille avec une faible empreinte carbone, il suffit d’exclure les six secteurs les plus carbo-intensifs. Mais en faisant cela, nous ne finançons pas la transition énergétique. Or, l’enjeu de l’ISR est d’apporter de l’argent aux secteurs qui créeront de la valeur et de la croissance durable, dans un environnement respectant les critères ESG. Parfois, à force de simplifier, on tombe dans le «green washing» au risque de passer à côté de l’ISR.

Béatrice Verger :

Nous n’en avons pas encore parlé mais les fonds thématiques ISR permettent d’investir dans des entreprises qui apportent des solutions à des enjeux environnementaux ou sociaux. Nous définissons des seuils d’activités minimums liés à une thématique donnée. Ces thématiques associées à l’analyse de gouvernance et d’impact social deviennent plus concrètes pour la clientèle de particuliers.

Les informations disponibles aujourd’hui sont-elles suffisantes pour avoir une analyse fine des critères extra-financiers ou d’impact ?

Béatrice Verger :

Chez BNP PAM, nos analystes sont spécialisés par secteur d’activité depuis des années. Nous avons également accès à des bases de données externes pour avoir des données brutes, à des analyses de brokers et nous multiplions les contacts avec les entreprises. Nous retravaillons les données brutes. Tout l’enjeu porte sur l’analyse qualitative que mène l’analyste. Il peut attribuer un bonus ou un malus à la note quantitative obtenue grâce à une matrice. C’est cette analyse qualitative qui confère de la valeur ajoutée à la note ESG.

Christophe Frespuech :

L’accès aux données est un combat de tous les jours hormis pour les grands émetteurs, mais dès que l’on s’intéresse à des acteurs de plus petite taille ou des sociétés non cotées, c’est beaucoup plus compliqué. Les analystes doivent aller chercher l’information avec des questionnaires très détaillés.

Une thématique est plus facile à comprendre. Elle est lisible pour les investisseurs. Pour autant, les fonds thématiques sont-ils plus demandés par la clientèle privée ? Est-ce une façon de les amener à l’ISR ?

Pascale Baussant :

Les clients ne demandent rien spontanément, tout simplement parce qu’ils ne savent pas ce qui existe en matière d’offre de gestion ISR. Sans démarche proactive de notre part auprès des particuliers, il n’y aura pas d’évolution. A partir du moment où nous avons une démarche proactive et que nous prenons le temps de leur expliquer que, sans sacrifier à la performance, il existe des fonds qui ont une démarche responsable et durable dans le temps, les clients sont à l’écoute. Et, en effet, les fonds thématiques, parce qu’ils sont plus lisibles, permettent de mieux accrocher leur intérêt.

Julie Fardoux :

Dans les fonds thématiques, il existe des offres sur la transition énergétique, l’efficacité énergétique ou le financement d’infrastructures durables. Chez Amundi, nous avons également lancé une gamme de fonds indiciels et d’ETF low carbon. L’idée n’est pas d’exclure les secteurs les plus émetteurs de carbone, mais d’offrir un fonds permettant de réduire l’intensité carbone : on retient, au sein de chaque secteur, les entreprises les moins consommatrices d’énergies fossiles pour leur activité, tout en restant proche d’une exposition classique aux niveaux sectoriel et géographique. C’est une façon de se prémunir contre le risque carbone. Cette stratégie séduit tous les investisseurs, y compris les particuliers qui apprécient cette approche qui peut facilement s’intégrer dans un portefeuille existant.

Bruno Fine :

Le beta-carbone permet de réconcilier la sphère financière et la sphère extra-financière. Le beta-carbone revient à analyser des investissements à destination de la réduction énergétique et mesurer l’impact sur le compte d’exploitation. Il s’agit bien d’analyser un processus d’investissement lié au programme de transition énergétique.

Christophe Frespuech :

Historiquement, l’ISR se concentrait sur l’analyse des pratiques des entreprises avec des approches différentes et souvent difficiles à saisir pour les particuliers. Aujourd’hui, il y a une vraie révolution puisque nous passons de la pratique à l’objet avec les fonds thématiques. On cherche désormais à savoir si l’entreprise contribue à une amélioration des enjeux environnementaux ou du bien-être des individus. Cela ne concerne pas seulement les fonds climatiques. Chez OFI AM, nous avons par exemple lancé un fonds sur l’économie positive. Cette approche est celle que l’on retrouve également sous le vocable d’impact investing. Cette démarche ainsi que les fonds thématiques permettront aux particuliers de mieux s’approprier l’ISR. L’ISR n’est pas seulement une révolution verte. Il ne faut pas se concentrer uniquement sur la partie énergie ni dissocier le thème d’investissement de la pratique.

Julie Fardoux :

En effet, même s’il s’agit d’investissement thématique, les questions extra-financières doivent être prises en compte. Ainsi, la stratégie de notre fonds à impact green bonds inclut un filtre ESG pour vérifier que cette obligation verte n’est pas émise par une entreprise qui serait mal notée d’un point de vue ESG.

Béatrice Verger :

Il ne faut certes pas réduire les fonds ISR à des fonds verts mais, dans les deux prochaines années, nous allons continuer à en entendre beaucoup parler. La Commission européenne est en train de légiférer sur la finance responsable et sa feuille de route démarre avec les investissements verts : définir ce qu’est une entreprise verte ou un fonds vert et créer un label européen. Ces standards européens seraient un premier pas. S’il est à noter qu’il est pour le moment axé «vert», il ne faut pour autant pas négliger le volet social de l’investissement dit responsable.

ISR et performance sont-ils compatibles ?

Rebecca Fischer-Bensoussan :

Les différents sondages montrent des résultats contradictoires puisque la clientèle privée semble penser que l’ISR n’est pas compatible avec la performance tout en attendant des fonds ISR une performance similaire à celle des fonds diversifiés !

Christophe Frespuech :

L’ISR a parfois été perçu dans le passé comme une contrainte qui réduisait l’univers d’investissement et, par conséquent, les opportunités et le potentiel de performance. Aujourd’hui, de nombreuses études académiques et empiriques montrent que l’ISR crée de la performance. Notre méthodologie d’analyse nous a permis de diviser l’univers en cinq quintiles, les meilleurs élèves se situant dans les premiers. Nous avons réalisé une étude sur 10 ans pour observer le comportement de ces quintiles dans le temps. Cette étude, que nous nous apprêtons à publier, montre que les deux premiers quintiles surperforment le marché alors que le dernier détruit beaucoup de valeur. Autrement dit l’ISR est créateur de valeur.

Rebecca Fischer-Bensoussan :

La distinction entre ISR, impact et philanthropie n’est pas toujours très claire. Il n’y a pas de recherche d’objectif financier dans la philanthropie tandis que les objectifs de l’impact investing sont prédéfinis et mesurables et peuvent amener à renoncer à une partie du rendement financier. Cela n’aide pas à percevoir l’ISR et la performance comme deux concepts conciliables.

Pascale Baussant :

La pédagogie est importante. Il faut, dès le départ, expliquer à nos clients que l’objectif n’est pas de renoncer à la performance mais au contraire d’aller chercher cette performance dans un univers plus vertueux. Nous avons intitulé notre livre blanc «Make investment great again» pour casser cette idée reçue.

Christophe Frespuech :

Les entreprises qui n’intègrent pas les enjeux du développement durable dans leur stratégie peuvent être lourdement sanctionnées en prenant un risque réputationnel et également financier. Le cadre réglementaire de plus en plus contraignant en termes d’environnement ou de santé publique implique que les entreprises s’adaptent. Celles qui n’y répondent pas vont être exclues du marché. On va s’intéresser à des entreprises qui répondent à des normes de plus en plus exigeantes et qui seront adaptées au monde de demain. Ces entreprises sont souvent innovantes, au centre de ruptures technologiques importantes, et en capacité de créer rapidement de la valeur. Par ailleurs, nous observons un changement de comportement dans la consommation. Les gens achètent plus facilement des produits responsables. Ces trois facteurs – réglementation, habitudes de consommation et ruptures technologiques – permettent de réconcilier la dimension financière avec l’ISR.

Bruno Fine :

Nous l’avons constaté dans la valorisation des sociétés puisque l’immatériel exprimé par les goodwill sur les fonds propres reflète autre chose que le simple aspect financier.

Pascale Baussant :

J’ai le sentiment que pour accompagner le développement de l’offre ISR et apporter plus de lisibilité à nos clients, il est important de mettre en parallèle la démarche RSE de nos entreprises. Ces deux démarches ont un lien et apportent de la visibilité et de la cohérence. Je suis une fervente partisane du développement de notre démarche RSE et de la communication autour de ce sujet.

Julie Fardoux :

Près de 2 000 études dans le monde montrent que l’intégration des critères ESG ne détruit pas de performance. Prenons l’exemple de notre fonds Amundi actions euro ISR lancé en 1999 : il surperforme son indice de référence trois années sur quatre. Le plan d’actions de la Commission européenne, annoncé le 8 mars, va dans le sens d’une diffusion de la prise en compte des facteurs de soutenabilité ou développement durable. Il s’agit d’encourager les investisseurs à investir dans ces fonds et les sociétés de gestion à proposer une gamme de fonds ISR.

Les enquêtes que nous avons menées auprès de nos différents clients font ressortir quatre motivations pour investir dans des fonds ISR : appliquer des valeurs éthiques ou morales à ses investissements, se prémunir contre certains risques financiers ou de réputation, chercher à investir dans des secteurs performants et enfin se conformer à la régulation. De nombreux textes réglementaires convergent désormais. Ces motivations montrent bien que l’ISR est perçu comme performant et assurant une meilleure gestion des risques.

Les labels peuvent-ils permettre une meilleure diffusion de l’ISR ?

Bruno Fine :

Chez Roche Brune AM, nous avons mis l’ISR dans notre processus de gestion depuis 2009 comme un outil de lecture du risque. A travers certaines études, il est apparu que nos fonds pouvaient être labellisés. Ma première réponse a été de refuser car l’obtention d’un label me donnait l’impression de finir reléguer sur un étal comme un produit bio. En 2017, nous avons toutefois réalisé le travail nécessaire et avons bénéficié d’un accompagnement pour obtenir ce label très exigeant.

Rebecca Fischer-Bensoussan :

Nous avons obtenu le Label ISR français pour notre offre ISR. L’audit annuel, en cours actuellement chez Generali Investments, est très exigeant en termes de contenu. Il amène à réfléchir sur la meilleure façon d’améliorer nos pratiques ou de mieux les formaliser et donc de proposer plus de valeur ajoutée à nos clients. Pour une société de gestion, c’est l’occasion d’encadrer et de formaliser certaines pratiques tout en gagnant en transparence vis-à-vis de nos investisseurs.

Béatrice Verger :

Alors qu’il existe plusieurs définitions de l’ISR, le label permet de donner à ces fonds une légitimité extérieure. Il devrait permettre de démocratiser les fonds ISR et d’apporter plus de transparence. Il n’est certes pas très contraignant dans les règles pour être ISR-compatible en termes de gestion mais il est plus exigeant en matière de reporting avec la production de différents rapports d’impact, d’engagement, etc., à destination du client final.

Rebecca Fischer-Bensoussan :

Dans l’effort de pédagogie et d’éducation que nous devons mener auprès des distributeurs, des banquiers privés ou des particuliers, le Label ISR est un atout. De plus, une fois obtenu, nous nous engageons en tant que société de gestion à communiquer sur ce label qui doit devenir une référence de place.

Pascale Baussant :

C’est un bon outil pour les particuliers mais aussi pour les distributeurs qui sont également perdus dans l’offre existante. L’existence d’un label leur permet de ne pas prendre de risque. On peut toutefois regretter que les labels changent aussi souvent.

Il faut donc espérer que le label français soit compatible avec le label européen…

Béatrice Verger :

D’autres pays sont en train de créer leur label national. Gageons donc qu’un futur label européen, qui devrait s’inspirer du label français compte tenu de notre avance sur le sujet, vive aux côtés des labels à portée plus locale.

Christophe Frespuech :

Le label est important pour avoir une uniformatisation, une certification qu’il y a bien du contenu ISR dans le fonds. Mais demander un label revient à faire un choix qui peut être réducteur. Il n’a pas forcément de sens dès lors qu’on parle d’impact investing ou d’externalités positives. Ce n’est qu’une partie de l’ISR. Le label s’applique bien aux fonds «best in class» et va apporter de la clarté aux investisseurs particuliers mais il n’embarque pas toute la réalité de l’ISR. Certaines sociétés de gestion ne demanderont peut-être pas le label si l’orientation de gestion d’un fonds ne répond pas strictement au cahier des charges du label.

Bruno Fine :

La bonne nouvelle est que ce label s’impose auprès des investisseurs institutionnels. En sélectionnant des fonds labellisés pour la prévoyance ou la retraite, ils contribuent à diffuser l’ISR auprès des particuliers.

Christophe Frespuech :

Dans le plan d’actions de la Commission européenne, il y a la notion de label mais aussi de pédagogie. Ce plan demande aux sociétés de gestions, aux distributeurs et aux acteurs assureurs ou bancaires de faire de la pédagogie auprès de leurs clients, d’intégrer leur demande sur les aspects ISR et, en retour, de fournir de l’information de façon transparente. C’est l’esprit de l’article 173 appliqué à la distribution.

Julie Fardoux :

Nous sommes déjà bien en avance en France sur toutes les notions de reporting. Le label ISR exige aussi une page de reporting d’indicateurs qui permet de situer le portefeuille par rapport à son indice sur certains critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance. C’est un bon moyen de traduire concrètement les efforts du fonds. De nombreux distributeurs, mais aussi des banques privées, nous ont sollicités pour référencer sur leur plateforme des fonds labellisés ISR.

L’offre existante permet-elle réellement de construire une allocation ISR pour un client ?

Pascale Baussant :

Les conseillers en gestion de patrimoine indépendants utilisent les plateformes traditionnelles notamment en assurance vie. Or, la liste de fonds ISR disponibles sur ces plateformes se limite souvent à cinq ou six produits dont la moitié est commercialisée par des sociétés de gestion que nous ne connaissons pas. L’offre en fonds ISR est encore très limitée.

Rebecca Fischer-Bensoussan :

Generali Investments est une filiale d’un assureur ayant une plateforme dédiée aux CGP, ce qui nous apporte une vision assez globale. Nous constatons, en effet, qu’il y a une vraie dichotomie entre l’offre existante sur le marché et le nombre de fonds ISR disponibles auprès des partenaires. Néanmoins, les assureurs qui font partie de la Fédération française des assureurs se sont tous engagés à travailler sur la décarbonisation de leurs portefeuilles mais aussi à aligner leurs pratiques de fonds propres avec leur offre d’unités de compte.

Generali France a donc le projet de construire, d’ici la fin de l’année, une vraie offre ISR qui réponde aux besoins de tous ses réseaux de distribution, et nous les accompagnons sur le sujet. C’est un enjeu fort car il est vrai qu’aujourd’hui, un CGP a du mal à construire une allocation 100 % ISR car il n’y a pas assez de fonds ISR présents dans les contrats d’assurance vie. Or, l’offre existe mais n’est pas toujours référencée. L’offre ISR est plus étoffée sur les fonds actions mais elle existe aussi sur les fonds obligataires ou monétaires. Quant aux fonds flexibles ou patrimoniaux, très utilisés par les CGP, il y en a très peu qui sont ISR alors qu’ils pourraient l’être. Nous sommes en train de faire un travail important pour convertir des fonds existants en fonds ISR. L’impulsion doit être donnée par les assureurs qui sont les distributeurs des fonds au travers des contrats d’assurance vie. Je suis convaincue que l’offre ISR sur les plateformes sera très différente dans un an.

Pascale Baussant :

C’est vraiment un point fondamental qui va permettre d’accélérer la distribution des fonds ISR. Pour les CGP, c’est aussi un moyen d’attirer de nouvelles générations vers nos métiers.

Rebecca Fischer-Bensoussan :

L’engagement pris par les assureurs n’est pas seulement de rendre accessible l’offre de fonds ISR mais aussi de mettre en place la pédagogie et la formation nécessaire pour que cette offre soit portée par les réseaux de distribution.

Christophe Frespuech :

Les assureurs se sont engagés à le faire et c’est inscrit dans le plan d’actions de la Commission européenne. Nous sommes donc aujourd’hui à une période charnière. Nous travaillons également avec des partenaires sur une offre de gestion pilotée ISR. L’ISR peut être appliqué à toutes les classes d’actifs, des actions au non-coté. Il couvre tout le spectre donc il devrait être possible de construire une allocation 100 % ISR. Seul bémol, les contraintes réglementaires liées à MIF II et à Priips ne poussent pas les assureurs à référencer plus de fonds. Mais la dynamique est bien là !

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