Marché

L’ISR face à la complexité de l’adolescence

Publié le 7 mai 2020 à 14h30    Mis à jour le 27 juillet 2021 à 10h27

Pierre Gélis

Dans un monde post crise, en manque de repères, alors que les fondements de la gestion de portefeuille ont été bouleversés, l’investissement socialement responsable participe au retour vers plus de sérénité et recentre l’attention vers les fondamentaux de long terme. L’ISR suscite aussi beaucoup d’espoir, d’où une créativité débridée chez les gestionnaires et leurs partenaires.

L’investissement socialement responsable gagne en importance. A fin janvier 2020, 65 sociétés de gestion ont obtenu le label ISR, institué par l’Etat français en 2016, pour 362 OPCVM dont l’encours total s’élève à 140 milliards d’euros. On ne peut que se réjouir de ce succès grandissant, d’autant plus que les attentes des investisseurs finaux s’affirment de plus en plus dans ce domaine, mais ne priorisent pas forcément des objectifs identiques. Aux sociétés de gestion à s’adapter à ce marché encore jeune et connaissant des poussées de croissance très fortes dans certains segments. «En tant que gérant actif, nous considérons les facteurs ESG comme faisant partie intégrante des stratégies d’investissement actives et de long terme. Les investisseurs sont en accord avec ceci. Les stratégies d’investissement ESG sont désormais reconnues au-delà du champ étroit dit “screening” négatif auquel elles étaient auparavant associées. La demande pour les stratégies ESG augmente plus vite que l’offre disponible. A mesure que ces stratégies se développent et entrent dans une plus large palette de processus d’investissement, les investisseurs auront besoin de plus de clarté concernant la composition de ces stratégies, comment celles-ci sont mises en œuvre, et quels sont les avantages de performance liés aux facteurs ESG», déclarait en mai 2019 Jean Raby, directeur général de Natixis Investment Managers. Les enquêtes diligentées par les gestionnaires dévoilent d’importantes divergences parmi les principaux critères ISR mis en avant par les investisseurs, certains privilégiant une politique d’exclusion (concerne particulièrement le secteur de l’armement, du charbon, du nucléaire, des jeux de hasard… ou encore le travail des enfants), d’autres veulent changer le monde (égalité hommes-femmes, énergies renouvelables), tandis qu’un grand nombre souhaite encourager les entreprises qui réalisent des efforts dans la prise en compte des critères de développement durable. Certains, moins exigeants, se satisfont de portefeuilles investis dans les entreprises les mieux notées de leur secteur.

La performance financière reste une exigence

investisseurs une exigence première d’autant plus forte que les sources de rendement se réduisent comme peau de chagrin. Pour Stéphane Monier, CIO chez Lombard, Odier Private Bank, il est nécessaire d’intégrer la soutenabilité comme source d’alpha. En effet, «alors que le cycle haussier approche de son terme, le grand public est de plus en plus conscient des dangers et de l’ampleur des défis climatiques auxquels nous sommes confrontés. Cette évolution de l’opinion publique, ainsi que l’évaluation scientifique toujours plus précise des préjudices associés, auxquelles s’ajoute la recherche de rendement, expliquent également la prise de conscience croissante du rôle que les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) peuvent jouer dans les décisions d’investissements». Trop souvent réduit à sa dimension marketing, le changement climatique impacte les investissements financiers selon des fréquences de plus en plus courtes et avec une profondeur dont nous découvrons progressivement l’étendue. Les effets de ricochets surprennent bien des idées reçues. Responsable mondiale du stewardship chez Schroders, Jessica Ground estime que les effets de second ordre sont bien plus importants que ne l’imaginent les investisseurs.La société de gestion évalue à 15 % en moyenne la baisse de performance potentielle d’un portefeuille d’actions internationales en raison du risque de transition. Il s’agit là de risques financiers pouvant résulter de changements significatifs aux plans politique, juridique et technologique du fait de la transition vers une économie mondiale bas carbone. «Les secteurs touchés vont bien au-delà des industries d’extraction comme le pétrole, le gaz et la production minière pour s’étendre aux compagnies aériennes, aux matériaux de construction et aux valeurs industrielles», précise-t-elle. Toujours est-il que cet environnement n’a pas seulement un caractère anxiogène, si investisseurs et entreprises ne réagissent pas, mais au contraire il peut générer un univers d’opportunités pour ces deux parties prenantes car les écarts entre gagnants et perdants de la transition climatique seront larges.

L’ISR se diffuse largement chez les gestionnaires

Des sociétés de gestion de toute taille s’impliquent dans le développement de l’ISR. Des sociétés spécialisées comme La Financière Responsable, Mirova ou encore Ecofi Investissements ont ouvert la voie. Avec une offre de gestion entièrement ISR, Ecofi Investissements répond aux exigences de la plupart des investisseurs, notamment son fonds, Ecofi Enjeux du Futur, qui est positionné sur un univers d’investissement plus large que la seule transition climatique. Ce fonds labellisé ISR vient d’être primé par Climetrics. Il dispose d’un portefeuille réparti entre deux catégories de valeurs de croissance : celles à profil industriel (efficience énergétique, le traitement des eaux et des déchets, les énergies renouvelables) et celles de croissance (santé, services à la personne et l’éducation, l’inspection, le contrôle et la certification). Mais les grandes sociétés de gestion ne sont pas en reste. La Banque Postale AM a ainsi obtenu le label ISR pour la totalité de sa gamme ouverte. Chez BNP Paribas AM, tous les compartiments de la sicav BNP Paribas Funds (ex-Parvest) intègrent les critères ESG de manière systématique dans toutes les stratégies d’investissement. La prise en compte des critères ESG n’est pas chose aisée lorsque les fonds sont commercialisés en Europe et en dehors de l’Europe. D’où une avancée progressive, les premiers fonds labellisés faisant office de vitrine tant pour les investisseurs intéressés par l’ISR que pour les équipes internes des gestionnaires. Le fonds Schroder ISF Global Climate Change Equity, qui a obtenu le label français ISR et le label belge d’investissement durable de la Febelfin, vise à répondre à ces préoccupations stratégiques. Il privilégie cinq thématiques porteuses : leaders bas carbone, transport durable, efficacité énergétique, énergie propre et ressources environnementales. La lisibilité du thème d’investissement, de bonnes performances dès le lancement du fonds concourent grandement au succès commercial. Ainsi, l’encours du fonds Fidelity Funds – Sustainable Water & Waste Fund a dépassé un encours de 1 milliard d’euros, un an après sa création en novembre 2018. Ce fonds extériorise le seul label LuxFLAG ESG obtenu en avril 2019, alors que chez le même gestionnaire, le FF Sustainable Eurozone Equity Fund a obtenu le label ISR quatre mois après sa création en plus du label luxembourgeois. L’offre ISR ne se limite pas aux fonds thématiques actions. Le gestionnaire néerlandais NN IP commercialise ainsi le fonds diversifié NN (L) Patrimonial Balanced European Sustainable qui a obtenu le label ISR la première fois en avril 2018. Outre ses bonnes performances, il donne également accès à ses données extra-financières. «Nous fournissons des données globales et par sous-jacent les plus tangibles possibles, afin que les investisseurs visualisent l’impact environnemental et social de leurs placements. Une telle granularité est importante pour un fonds multi-asset. Etant donné que nous recherchons des titres à l’empreinte environnementale réduite, utilisant moins d’énergie ou créant moins de déchets comparés au marché, nous publions également des données d’impact ainsi que l’exposition du portefeuille aux ODD pour la poche obligations vertes», précise Siu Kee Chan, gérant principal du fonds.

Faible labellisation des ETF

La marge de progression des promoteurs d’ETF dans la labellisation ISR de leurs fonds s’avère particulièrement importante. A fin janvier 2020, sur les 362 fonds ayant obtenu le label ISR lancé en 2016 par le ministre de l’Economie et des Finances français, 20 d’entre eux seulement sont des ETF (BNP Paribas AM 6, BlackRock 8, Lyxor International AM 2 et Ossiam, filiale de Natixis Investment Managers 4). Pourtant, selon une enquête réalisée en 2019 à la demande de JPMorgan AM, 38 % des clients des investisseurs professionnels interrogés seraient intéressés par l’investissement dans des ETF ESG au cours des deux à trois prochaines années. Par ailleurs, 50 % de ces investisseurs finaux utiliseraient les ETF comme support d’investissement à long terme et non dans un but tactique. Bien que le recours à la labellisation soit faible au regard de l’offre globale de produits, les promoteurs d’ETF, notamment français, ne ménagent pas leurs efforts pour promouvoir leur image de gestionnaires responsables. «Notre gamme thématique est la seule en Europe à offrir des investissements qui respectent quatre objectifs de développement durable des Nations unis», souligne-t-on chez Lyxor AM. Dans ce but, des partenariats ont été noués avec des fournisseurs d’indices, MSCI notamment, mais aussi avec les experts de RobecoSAM, du Climate Bonds Initiative (CBI) et d’Equileap. Cette approche permet de déterminer des axes de développement stratégiques afin de répondre à la sensibilité des investisseurs. En octobre dernier, Lyxor AM a ainsi placé les enjeux climatiques au cœur de sa politique d’investissement responsable, précisant avoir déjà réalisé 350 millions d’euros de désinvestissement dans les entreprises les plus liées au charbon. De son côté, Amundi AM souhaite réconcilier investissement responsable et gestion passive par une approche sur cinq niveaux, allant de la mise en œuvre de la politique de vote et d’engagement jusqu’à proposer des solutions indicielles combinant les meilleures notes ESG avec un profil financier solide et un niveau de traking error faible.

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