Table ronde

ISR : de la gestion à la distribution, les défis à venir

Publié le 26 avril 2019 à 17h22    Mis à jour le 27 juillet 2021 à 10h46

Propos recueillis par Catherine Rekik

ESG, ISR, impact investing… sont autant de concepts qui font dorénavant partie du paysage de la gestion d’actifs. De plus en plus de sociétés de gestion intègrent désormais les critères ESG dans leur processus de gestion et le nombre de fonds labellisés ne cesse de croître.Si le pari semble être gagné en matière de gestion, il reste encore fort à faire en matière de distribution. La réglementation a amené les investisseurs institutionnels à être de plus en plus exigeants et, pour l’heure, l’essentiel des encours ISR se concentre entre leurs mains. Comment parvenir à une meilleure diffusion de l’investissement responsable ? Quels moyens déployer pour faire connaître et comprendre les concepts ? A quoi sert le label ISR ?

Il existe toujours un décalage important entre l’intérêt que portent les investisseurs, notamment les particuliers, à l’investissement responsable et la faible détention de produits responsables. Pourtant ces derniers mois, il y a eu beaucoup de communication autour de l’ISR, de l’impact investing, de la finance durable, etc. De nombreuses sociétés de gestion ont notamment annoncé leur intention d’intégrer les critères ESG à 100 % dans leurs gestions.

Qu’est-ce que cela signifie ? Quelle différence existe-t-il entre l’intégration ESG à 100 % et l’ISR ? Comment appréhender les différents concepts ?

Raya Bentchikou, responsable du développement RI, AXA IM : Le jargon peut en effet être compliqué pour les non-initiés. ESG, ISR, impact… chacun a sa définition de ces concepts. Chez Axa IM, conscient de cette dichotomie entre l’offre de plus en plus large et la demande finale, nous avons une définition que nous essayons de livrer à nos intermédiaires. Les réseaux de distribution sont en effet la courroie de transmission. Nous devons les former, les accompagner et leur donner les moyens de transmettre cette connaissance au demandeur final et le convaincre. En termes de définition, les critères environnementaux (E), sociaux (S) et de gouvernance (G) sont comme des briques de lego. En les assemblant, il est possible de mettre en place un processus d’investissement ayant un objectif ISR. Le processus de gestion est ainsi piloté par rapport à des enjeux E, S et G.

La grande distinction entre l’intégration et l’ISR de conviction ou d’impact est que, dans un cas, l’ESG est envisagé comme un outil pour mieux gérer ses risques et que, dans l’autre cas, il s’agit d’un objectif qui va viser un bénéfice sociétal. Cet outil vient en complément de l’analyse financière traditionnelle, il apporte un niveau de connaissance supplémentaire pour aider à la prise de décision. Dans ce cas, le gérant va sélectionner les sociétés les mieux positionnées et ayant les meilleures pratiques en matière sociales ou environnementales. On peut voir également l’ESG comme un objectif, ce qui implique une volonté de faire du bien, d’avoir un impact positif sur ces enjeux. Mais pour répondre à la demande des investisseurs, ces impacts doivent être mesurables.

Véronique Cherret, directrice du développement, Aviva Investors France : En effet, l’ESG peut être considéré comme un outil. L’intégration ESG consiste à fournir aux gérants des éléments environnementaux, sociaux et de gouvernance afin qu’ils puissent les prendre en compte dans leurs décisions d’investissement. Historiquement, leur analyse portait essentiellement sur des critères financiers mais, aujourd’hui, chez Aviva Investors, nous intégrons systématiquement les critères sociaux, environnementaux et de gouvernance dans chaque analyse d’entreprise. L’ESG est bien un outil mais il faut ensuite s’interroger sur la manière dont les investisseurs l’intègrent dans la gestion des fonds.

La notion d’ISR est plus spécifique et est portée par la labellisation dont la crédibilité repose sur le soutien des pouvoirs publics et les contrôles de l’organisme de certification. Dans notre gestion ISR, à l’image de notre engagement ESG global, nous ne nous contentons pas d’exclure les 20 % des sociétés ayant les moins bonnes notes ESG. Dans le cadre de notre politique d’engagement, nous estimons qu’il est aussi important d’envoyer des signaux à ces sociétés en leur indiquant qu’elles ne font pas partie de l’univers investissable et les amener à se poser des questions. Il faut entamer un dialogue avec ces sociétés et les pousser à modifier leurs pratiques.

Aujourd’hui, le label ISR est crédible notamment dans les réseaux de distribution. Il est plus simple pour les conseillers ou les courtiers de proposer un fonds ayant obtenu le label que de se lancer dans la définition de l’ESG. Nous espérons toutefois qu’à terme nous serons capables de leur apporter les moyens de faire de la pédagogie mais nous n’en sommes pas encore là !

Béatrice Verger, responsable du développement ISR, BNP Paribas AM : Il est possible d’intégrer les critères ESG dans tous les processus de gestion sans pour autant que l’ensemble des fonds soit ISR. Nous pouvons fixer des règles minimums qui vont s’appliquer à tous les fonds comme par exemple l’interdiction d’investir dans une société n’ayant pas de notation ESG ou l’objectif d’avoir une notation ESG du portefeuille en ligne avec l’indice de référence ou meilleure. Ensuite, en fonction des stratégies et des instruments utilisés tels que les produits dérivés, l’intégration ESG va être moins contraignante pour le gérant que dans un fonds ISR qui va respecter des règles strictes de pourcentage d’exclusion, etc.

Par ailleurs, il faut définir ce qu’est l’ISR. Or, chacun a sa propre définition, des thématiques, du best-in-class… De nouvelles façons de faire de l’ISR peuvent également émerger. La question est de savoir si un fonds est ISR parce qu’il a le label. C’est la voie choisie par la Belgique par exemple.

Raya Bentchikou : En France, l’AMF recommande que les fonds commercialisés comme étant ISR ou durables aient le label.

Ronan Poupon, responsable ESG à la gestion action, Ostrum AM : Du point de vue d’un gérant, il faut graduer la façon de regarder un investissement de l’ESG vers l’ISR. Il est bien sûr préférable d’éviter les sociétés nuisibles sur le plan environnemental ou social. Nous regardons ce risque ESG en amont, avant d’investir. En faisant de l’intégration ESG, nous essayons de prendre en compte ces trois facteurs dans l’analyse de chaque société. Dans ce cas, je peux estimer dans ma valorisation le montant de la rémunération que je souhaite pour chaque risque. Je peux toutefois investir si le prix est suffisamment favorable. Il s’agit là d’intégration simple : l’ensemble des risques financiers et extra-financiers a été analysé et intégré dans le modèle de valorisation pour être rémunéré. Le niveau d’exigence peut ensuite augmenter, le gérant estimant qu’à partir d’un certain niveau de risque, il s’interdit d’investir dans une valeur. Dans ce cas-là, le gérant entre dans l’ISR et peut viser le label.

Par ailleurs, pour ce qui concerne la notion de durabilité, si l’on rapproche cette notion de la croissance d’une société attendue sur un horizon de cinq ans, le gérant doit avoir éliminé les risques ESG dès le départ afin d’avoir une forte probabilité que la société délivre cette croissance. Il doit s’assurer que l’entreprise dans laquelle il a investi traite bien ses employés, ait des produits respectueux de l’environnement et que la gouvernance soit d’un bon niveau. Le gérant est alors à peu près sûr d’obtenir de la performance au bout de cinq ans et c’est ce que nous cherchons chez Ostrum AM lorsque nous investissons. Enfin, il est possible d’aller encore plus loin avec des thématiques bien précises ou des fonds visant des objectifs de développement durable définis par l’ONU.

Véronique Cherret : Quand on s’adresse à la distribution et in fine aux particuliers, il est toujours délicat d’expliquer qu’il est possible d’être investi dans une société qui n’a pas une bonne note ESG, alors que les clients expriment le souhait de donner du sens à leurs investissements d’un point de vue éthique, social ou environnemental. Chez Aviva Investors, nous avons une politique forte d’engagement vis-à-vis des sociétés depuis les années 1980. Le groupe Aviva a même été reconnu devant l’assemblée de l’ONU en 2018 pour son action positive. Nous sommes tout à fait en mesure d’expliquer que nous investissons dans une société car nous avons un dialogue avec elle et qu’elle démontre sa volonté d’amélioration. On peut assimiler notre engagement à une forme d’activisme qui pousse les entreprises à corriger leurs comportements négatifs du point de vue ESG. C’est un point sur lequel il est important de bien communiquer.

Robert de Guigné, directeur des solutions ESG, Lombard Odier IM : Dans «investissement responsable», le mot responsable désigne, selon moi, une attitude. Le résultat de cette attitude s’exprime dans un fonds ESG ou ISR. Ce n’est pas le produit qu’il faut promouvoir mais l’attitude et c’est au niveau de la société de gestion que ça se passe. C’est un challenge important aussi bien pour les grandes sociétés de gestion que pour des structures de plus petite taille qui gèrent trois ou quatre fonds. Parmi celles-ci, certaines ont été créées pour développer ces stratégies avec une équipe recrutée pour ce faire, alors que dans les grandes sociétés de gestion il faut composer avec des équipes de gérants et d’analystes qui sont là depuis des années et ont fait leurs preuves sans avoir recours à l’analyse extra-financière ! Cela prend du temps de les convaincre…

Julie Fardoux, responsable relations extérieures ESG, Amundi : L’analyse ESG est un outil au cœur du processus, qui peut s’appliquer à toutes les classes d’actifs, et qui permet de définir des stratégies d’investissement responsable, variées et complémentaires. Chez Amundi, notre offre «investissement responsable» représente 276 milliards d’euros d’encours et recouvre plusieurs types de stratégies. Une grande partie correspond à notre offre ISR, c’est-à-dire les produits certifiés et normés qui répondent à un cahier des charges précis : les fonds gérés selon notre méthodologie ISR certifiée par l’Afnor et les fonds avec le label ISR. En parallèle, nous avons développé une large gamme de solutions d’intégration ESG sur mesure, sous forme de mandats selon les cahiers des charges de nos clients.

Il y a également l’investissement thématique, avec des solutions environnementales ou sociales, comme les fonds obligations vertes, actions thématiques, les stratégies bas carbone, la gestion solidaire… Un filtre ESG global est appliqué à l’univers d’investissement mais chaque fonds thématique va s’attacher à un enjeu en particulier. Du côté de la gestion passive, notre offre ESG se développe également avec notamment le lancement d’une gamme d’ETF actions et obligataires répliquant des indices construits selon une méthodologie ISR. L’offre d’investissement responsable fait ainsi coexister des approches différentes. C’est ce qui en fait sa richesse et permet de répondre à différents besoins ou contraintes exprimés par les investisseurs institutionnels ou privés.

Les gérants et les analystes financiers vivent-ils cette intégration comme une contrainte ?

Robert de Guigné : Si on leur force la main, ils peuvent, en effet, le vivre comme une contrainte que l’on cherche à leur imposer alors que les gérants sont là, avant tout, pour générer de la performance. Et pour ne pas compromettre cette performance, il faut définir un cadre commun pour tout le monde et s’interroger sur l’interprétation de l’investissement responsable que chacun peut avoir.

Véronique Cherret : Chez Aviva Investors, les gérants ont accès aux données ESG directement dans leurs outils de gestion. C’est donc un outil qu’ils manipulent au quotidien. Ils peuvent également se reposer sur une équipe d’une vingtaine de spécialistes de l’investissement responsable soutenue par une quarantaine d’ambassadeurs responsables et spécialistes de l’investissement sur les différentes classes d’actifs et entités du groupe.

Raya Bentchikou : Beaucoup d’acteurs communiquent sur l’intégration ESG à 100 % mais chacun a sa propre définition. Il est donc en effet important de définir des standards. Chez Axa IM, ils reposent sur les piliers suivants : le risque climatique, le risque de réputation, en tenant également compte des secteurs sujets à controverses ainsi que des entreprises de faible qualité ESG. Ces standards sont publics, accessibles sur notre site internet et permettent de voir ce qu’implique pour nous l’intégration ESG. Aujourd’hui les actifs d’AXA IM intégrant des critères ESG représentent 458 milliards d’euros, soit plus de 60 % de nos encours.

Béatrice Verger : Le problème est que nous n’allons pas tous avoir les mêmes critères. Comment l’investisseur final peut-il s’y retrouver ? Chez BNPP AM, nous avons formalisé une stratégie globale d’investissement durable qui définit et explique notre approche pour intégrer ces critères à nos processus de gestion.

Raya Bentchikou : Soit un fonds est ISR et le label lui confère une certaine lisibilité mais dans le cas de l’intégration de l’ESG, il est encore difficile d’avoir une définition commune. D’autant qu’il y a des classes d’actifs pour lesquelles les standards que nous avons définis ne peuvent pas s’appliquer. Et pour autant, on ne peut pas dire que ces standards ne sont pas intégrés. La clé de la réussite est ne pas imposer cette intégration comme une contrainte pour les gérants mais de les embarquer dans l’histoire. Chez AXA IM, les gérants ont compris que l’intégration des critères ESG leur permettait de mieux gérer leurs risques et identifier des opportunités et certains sont devenus nos meilleurs ambassadeurs.

Robert de Guigné : Les gérants travaillent sur des données financières provenant de bilans et de comptes de résultats depuis des dizaines d’années. Les ratios financiers sont toujours les mêmes. Désormais, ils ont accès à des informations nouvelles. Certes, elles ne sont pas normées et standardisées mais cet enjeu est international et l’on ne va pas attendre que tout le monde se mette d’accord pour avancer.

Julie Fardoux : L’investissement responsable est l’un des quatre piliers fondateurs d’Amundi. Ainsi, nous n’avons pas souhaité chez Amundi qu’il y ait des équipes de gestion séparées mais plutôt qu’il y ait de la gestion ISR dans la gestion actions, la gestion obligataire ou diversifiée. L’offre de solutions responsables représente 19 % de nos encours globaux, et nous appliquons un certain nombre d’exclusions réglementaires ou sectorielles aux autres gestions. Pour aller plus loin et amplifier notre engagement, nous avons décidé, à un horizon de trois ans, de mettre en place une stratégie d’intégration globale, et de devenir 100 % ESG dans la notation, la gestion et les votes. Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? La prise en compte de l’analyse ESG sera étendue à toutes les gestions, aussi bien actives que passives, chaque fois que possible. Ainsi, pour tous les fonds ouverts en gestion active, nous allons calculer la note ESG du fonds, celle-ci devant être meilleure que la note ESG de son indice. La gestion active devra à la fois viser une surperformance financière par rapport aux indices – c’est son rôle – mais aussi offrir une performance ESG supérieure à celle du benchmark. C’est une contrainte de gestion forte, mais c’est ainsi que nous pourrons intégrer les enjeux ESG à tous les niveaux. Nous souhaitons aussi doubler les encours ESG sous gestion passive, et renforcer les initiatives liées à l’environnement et l’impact social.

Robert de Guigné : En matière d’ESG, il faut bien faire la part des choses entre la stratégie d’intégration au niveau des produits et l’intégration des critères dans l’ensemble de la société de gestion. Pour cette dernière, il faut du temps et de l’accompagnement pour y parvenir. Dans les appels d’offres, les consultants ont aujourd’hui beaucoup de questions sur la mise en œuvre de cette intégration.

Du côté de la distribution, comme peut-on faire le tri entre ces différentes approches ? Comment restituer les informations aux clients, les convaincre et les conseiller au mieux ?

Pascale Baussant, fondatrice du cabinet Baussant Conseil : Tout ce qui vient d’être dit montre bien à quel point il est difficile de s’y retrouver. Avec tous ces acronymes, ces définitions et le débat label ou pas label, nous avons perdu le client final ! D’ailleurs, sauf exception, celui-ci ne sait pas que cette offre ISR existe malgré tous les efforts de communication déployés par les sociétés de gestion. Le client final a besoin d’accompagnement pour construire une partie de son allocation de façon responsable. Il faut être proactif, faire de la pédagogie et passer plus de temps avec le client que pour construire une allocation classique. Les fonds thématiques facilitent le premier pas de l’épargnant vers l’investissement responsable car ces produits sont simples à comprendre et lisibles.

Béatrice Verger : Les notions d’ESG et d’ISR restent encore floues pour les épargnants. La clientèle privée n’est pas encore assez sensibilisée à ces questions. Nous privilégions avec eux l’approche thématique de notre offre ISR qui adresse les sujets de l’eau, du climat, du développement humain par exemple et réservons notre expertise en ce qui concerne l’intégration ESG aux sociétés de gestion, investisseurs institutionnels ou sélectionneurs de fonds qui sont très en demande sur le sujet.

François Garreau, responsable de la mission RSE, Generali France : Il faut faire de la pédagogie y compris au sein de nos organisations, auprès de toutes les équipes. Mais ce qui compte surtout, c’est que le top management ait une vision de ces enjeux et que ces derniers soient pris en compte dans les plans stratégiques. Dans notre dernier plan, des objectifs d’encours et de collecte ont été définis, avec la mise en place de bonus. Donc, tous ceux qui n’adhèrent pas ou estiment qu’il s’agit d’une contrainte supplémentaire affectant la commercialisation vont devoir se convertir !

Robert de Guigné : En effet, cela s’est vérifié avec l’article 173 qui n’a pas laissé le choix aux investisseurs institutionnels.

François Garreau : En matière d’ISR, il ne faut pas faire du neuf avec du vieux. La vision actuelle n’est pas assez industrielle et induit des coûts. Il faut s’interroger sur la méthode, sur la nécessité de renforcer nos équipes d’experts par des recrutements et de former les équipes existantes, sur l’adaptation des systèmes d’informations. La vision de l’entreprise doit être claire : quel est l’objectif de croissance à atteindre, comment y parvenir, etc. ? Par ailleurs, il y a une incapacité technique à faire de la pédagogie sur ce sujet. Il faut réussir à rendre simple ce qui ne l’est pas, à expliquer à un salarié, un commercial ou à un CGP quel est l’objectif et quel sens donner à son épargne quand on investit sur un fonds ISR contrairement à ses choix précédents. Chez Generali, nous prenons en compte trois critères majeurs : la transparence, l’opposabilité – tout doit pouvoir être vérifié par un tiers indépendant – et l’impact. Il faut être capable de raconter une histoire simple sur une thématique comme celle de l’eau, de montrer que l’investissement va permettre d’améliorer l’accès à l’eau potable par exemple. C’est ce que le client final va «acheter», mais le marketing de ces sujets n’est pas encore le point fort des sociétés de gestion. De plus, il va falloir rendre des comptes aux clients et pas seulement sur les performances des fonds.

Robert de Guigné : La clientèle privée, comme nous le constatons chez Lombard Odier, est dans le registre de l’émotionnel. Les valeurs sont importantes et par conséquent l’impact lié au choix d’investissement. Ces clients sont sensibles à l’«impact investing», qui redonne un sens à leur investissement.

Raya Bentchikou : Les particuliers ont déjà une sensibilité pour l’ISR, même s’ils ne la formulent pas aussi précisément. Notre enquête épargnant révèle qu’en France, 80 % des épargnants portent de l’intérêt aux solutions d’investissement responsable. Il nous faut donc plus que jamais incarner ces critères au sein de nos organisations. Chez AXA IM, toute notre offre est reliée à ce pilier, la direction générale est convaincue et les gérants ont tous des objectifs en matière d’intégration ESG. Le discours peut se traduire par des fonds thématiques pour lesquels nous devons être capables de mesurer l’impact de nos investissements. Les reportings des fonds doivent comporter des éléments tangibles sur l’impact environnemental, la parité, le bien-être dans l’entreprise, etc. A ce titre, les reportings de la grande majorité de nos fonds affichent la note ESG et l’empreinte carbone. En général les gérants sont sensibles à la note ESG de leurs fonds et ne souhaitent pas que celle-ci soit inférieure à celle de son benchmark.

Véronique Cherret : Tout cela est sans doute adapté à une certaine clientèle, notamment les institutionnels et les banques privées mais, en ce qui concerne les apporteurs nous n’en sommes pas encore là. Un rendez-vous patrimonial s’articule autour de nombreuses problématiques telles que la transmission ou la fiscalité, ce qui laisse peu de temps pour rentrer dans ce niveau de détail. C’est pourquoi le label ISR est un bon point d’entrée. Les pouvoirs publics viennent d’ailleurs soutenir cette dynamique avec la loi Pacte qui impose l’obligation d’avoir au moins une unité de compte (UC) ISR dans les offres. Le label ISR devrait ainsi s’imposer en garantissant au client final un audit et une surveillance régulière du respect de son cahier des charges. Il est en effet difficile d’imaginer le client final parcourant les reportings ESG tels qu’ils existent aujourd’hui.

Pascale Baussant : La formation des équipes est un enjeu fondamental pour parler aux clients finaux. Or, il y a aujourd’hui clairement un déficit de formation pour les CGP sur ces sujets.

Julie Fardoux : Le sujet évolue toutefois de façon positive. Les changements réglementaires, en particulier l’article 173, ont obligé les investisseurs institutionnels, notamment les organismes de retraite et compagnies d’assurance à s’intéresser de près à ces sujets. La demande de formation a explosé : nous organisons des journées de formation sur l’investissement responsable pour de nombreux clients, institutionnels ou réseaux de distribution. De même, dans le cadre de la loi Pacte, les assureurs pourraient devoir proposer une offre ISR dans les contrats d’assurance-vie. Par ailleurs, même si c’est très loin des attentes du client final, il faut avoir une cohérence entre ce que nous proposons dans nos fonds, et nos actions en tant qu’entité en matière d’engagement et de vote. Cette année, nous avons envoyé une lettre à 170 directions générales de grandes entreprises pour les informer que nous allions regarder deux sujets en particulier dans le cadre de notre politique de vote 2019 : la gestion des risques climatiques, avec des attentes en matière de communication sur l’émission de gaz à effet de serre avec un monitoring des engagements pris en vue de les réduire ou compenser ; et la publication du ratio d’équité par les entreprises, soit le rapport entre la rémunération du dirigeant et la rémunération moyenne des salariés, pour le volet social. Nous essayons d’être concrets.

Robert de Guigné : Les CGP craignent peut-être encore que l’ISR détruise de la performance.

Véronique Cherret : C’est un point dont nous discutons dans nos réseaux, notamment avec les CGP. Ils sont bien conscients que l’ESG est plus un sujet d’avenir que de performance passée et qu’il est risqué aujourd’hui de ne pas prendre en compte ces critères dans la sélection des valeurs. Un investisseur de long terme se doit d’être responsable s’il veut éviter les scandales environnementaux, sociaux ou de gouvernance qui peuvent impacter très fortement la performance d’un portefeuille…

Au final, n’est-ce pas la performance d’un fonds qui va motiver l’acte d’investissement ? Le CGP ou le client privé va-t-il prendre le temps de regarder tous les reportings de fonds pour savoir lequel a la meilleure note ESG ?

Béatrice Verger : Malgré les études récentes sur le sujet, l’idée que l’ISR détruit de la performance reste la première question posée par les réseaux et les clients. L’ISR reste trop académique, trop scientifique alors que le client final a besoin qu’on lui prouve à travers l’analyse d’un fonds ISR durant une période assez longue que la performance s’est améliorée.

Pour revenir sur l’engagement et le vote, déposer des résolutions, voter et peser sur les sociétés pour qu’elles prennent en compte les objectifs climatiques, cela devient concret pour l’investisseur final.

Véronique Cherret : Nous n’avons que très peu de questions sur le sujet de la performance dans les réseaux d’apporteurs. Je les trouve assez convaincus. Une étude GfK de juin 2018 montre que 88 % des particuliers cherchent à donner du sens à leur épargne par le biais d’un investissement responsable, alors que les produits disponibles sont encore très minoritaires dans l’offre des conseillers. Il y a donc encore un problème de courroie de transmission.

Julie Fardoux : Parmi les idées reçues sur l’ISR, la question de la performance ne se pose quasiment plus. Il y a une meilleure connaissance de cet univers. L’intérêt de l’analyse ESG, sur laquelle nous misons depuis des années, se matérialise de plus en plus. Cela a été démontré par de nombreuses études, dont les travaux de recherche d’Amundi publiés en début d’année sur le sujet.

Les conseillers ne sont pas réfractaires mais il ne semble pas non plus qu’ils soient très demandeurs…

François Garreau : Les CGP qui travaillent régulièrement avec Generali se montrent plutôt intéressés et ont fait preuve récemment d’une bonne qualité d’écoute sur ces sujets. Ils posent beaucoup de questions concrètes. Sur la performance, nous pouvons rapidement évacuer le problème en leur rappelant que depuis 2014, le différentiel de performance n’existe plus. Du côté des épargnants, s’il est vrai que les 16-34 ans sont sensibles à ces sujets, l’enjeu est plutôt de convaincre les seniors de transférer une partie de leur épargne vers l’investissement responsable.

Véronique Cherret : Un groupe de travail du FIR (Forum de l’investissement responsable) étudie l’introduction dans le questionnaire découverte du client des questions spécifiques sur l’ESG. Les derniers réticents n’auront donc pas d’autre choix que de s’y intéresser si ce projet aboutit. Notre responsabilité en tant que société de gestion, aux côtés des assureurs, est aujourd’hui de mettre une offre large et attractive d’UC à leur disposition.

L’offre de produits fonds ISR est-elle suffisante pour répondre aux besoins des distributeurs ? Les contrats d’assurance vie ou les plateformes permettent-ils un bon accès à l’offre existante ? Peut-on construire une allocation d’actifs en ISR ?

Pascale Baussant : Ce n’était pas le cas il y a trois ans mais l’évolution est positive en la matière. Il est vrai cependant qu’il y a beaucoup de choix dans les fonds actions mais l’offre est restreinte dans les fonds flexibles.

Robert de Guigné : En termes d’allocation d’actifs, une question se pose : une fois les fonds ISR sélectionnés et assemblés, le résultat de cette allocation ne va-t-il pas ressembler à un patchwork mélangeant un peu tout et n’importe quoi, du produit «low carbon» au fonds excluant le tabac en passant par le fonds climat, etc. ?

Véronique Cherret : Il ne faut pas se limiter à des fonds labellisés, mais proposer une offre globale aux épargnants. Aviva France vient d’ailleurs de lancer, avec le soutien de sa filiale de gestion Aviva Investors France, une gamme complète d’assurance vie responsable bien accueillie par les réseaux de distribution.

François Garreau : Il faut d’abord déterminer l’appétence au risque, puis regarder l’univers dans lequel le client veut se positionner : le climat, le vieillissement de la population, l’eau… Dans notre offre GID (Generali Investissement Durable), nous avons référencé toutes les unités de compte (UC) qui correspondent à ces grandes thématiques. Il faut vraiment travailler sur la méthode de vente et faire travailler ensemble les gérants et les équipes marketing. L’offre doit également être en résonance avec la stratégie de la marque.

Julie Fardoux : La terminologie est importante en matière de distribution. Certaines plateformes ne vont référencer que les fonds ayant le label ISR. Dans les réseaux avec lesquels nous travaillons plus étroitement, nous pouvons développer des gammes plus différenciées. L’offre doit aussi comprendre des produits que le client peut demander ou acheter tout seul comme les fonds thématiques.

Ronan Poupon : Nous avons beaucoup parlé d’assurance vie et d’unités de compte mais en matière d’ISR, les intervenants de l’épargne salariale sont de bons partenaires pour les sociétés de gestion. Ils peuvent promouvoir l’investissement responsable auprès des salariés en les orientant vers les fonds ISR, et pour l’entreprise, c’est plutôt positif car c’est un des piliers de la RSE.

Véronique Cherret : D’autant plus que l’épargne salariale sera un vecteur pour capter une grosse partie de l’épargne retraite. Et dans ce cas, l’investissement responsable prend tout son sens puisque nous sommes sur des horizons de 20 ou 30 ans. Cette thématique va être très importante dans le cadre de la loi Pacte.

Il existe plusieurs labels nationaux. Certains sont-ils plus contraignants que d’autres ? Faut-il les harmoniser au niveau européen pour rendre l’offre cohérente ?

Béatrice Verger : Chaque label a son cahier des charges. Pour un asset manager distribuant ses produits dans plusieurs pays, il est très contraignant de répondre à toutes les exigences. Le label ISR français exige que les critères ESG soient intégrés d’une certaine façon dans le portefeuille alors que le label belge repose plutôt sur l’exclusion de secteurs d’activité. Il n’exige en revanche rien en termes de reporting et d’indicateurs d’impact contrairement au label français. Ces labels nationaux ne sont pas harmonisés.

Robert de Guigné : D’autres contraintes existent : il y a des questionnaires à remplir pour chaque fonds tous les ans pour avoir le label ! Et tout cela a un coût à la fois financier et en termes de ressources humaines. Comment allons-nous financer cela ? L’ISR n’est pas gratuit. Il faut payer pour acheter des données auprès de fournisseurs, les labels sont payants ainsi que les indices. C’est une barrière à l’entrée pour des petites structures de gestion. D’un côté, les marges des asset managers sont sous pression sur le marché institutionnel, et d’un autre côté, les coûts d’implémentation de l’ISR sont élevés.

Béatrice Verger : Les discussions pour un label européen sont en cours. D’ici la fin de l’année, il devrait y avoir une version des caractéristiques de ce label. Les aspects pratiques pourraient être discutés en 2020 pour une mise en œuvre en 2021.

Raya Bentchikou : La généralisation d’un label ne risque-t-elle pas de tuer l’innovation ? L’environnement est sans doute le thème qui touche le plus grand nombre mais il n’existe pas de normes au niveau des notations ni de standards. Avant de créer un label il faut d’abord se mettre d’accord sur une définition de ce qui est durable et ESG. Cela passe par un consensus sur un standard, c’est l’objet des travaux de la Commission européenne sur une taxonomie verte. Le label français est assez positif car il est plus orienté vers l’impact mais il faut le faire évoluer notamment au niveau des reportings qui ne sont pas très compréhensibles pour les investisseurs privés.

Ronan Poupon : Dans la gestion, on peut se demander s’il est possible de tout convertir à l’ISR. Se pose alors la question de la responsabilité fiduciaire : dois-je arrêter de financer certains secteurs ? Aujourd’hui, les gérants ont accès à des outils qui leur permettent d’apprécier les efforts en matière de gestion de l’eau, de capital humain, etc. Le regard sur les sociétés change et il est possible de les interpeller sur ces sujets, de les alerter et de leur permettre de mettre en œuvre des plans d’action.

Véronique Cherret : Le label français a beaucoup de crédibilité. Si collectivement les sociétés de gestion qui distribuent en France ne parviennent pas à rendre plus simple et plus transparent l’ISR, le label va devenir incontournable. Chez Aviva Investors, nous avons trois milliards d’euros d’encours gérés en fonds labellisés et notre objectif est d’atteindre 14 milliards cette année. Dans la distribution, le label est le meilleur gage pour le client final.

Le label est-il synonyme de collecte ?

Béatrice Verger : Le label permet d’être sélectionné par les sélectionneurs de fonds. Ce qui est assez nouveau. En revanche, dans les réseaux internes, ni les conseillers ni les clients ne le demandent pour le moment. Le label n’est pas suffisant pour déclencher la collecte. On revient au besoin de pédagogie.

Julie Fardoux : Pour les plateformes, proposer une gamme de fonds labellisés est en effet très important. En revanche, avec nos partenaires, nous sommes plus dans la construction d’offres responsables dédiées et sur la stratégie d’allocation d’actifs. Le label ISR entre moins en jeu, ce qui compte c’est la cohérence de l’offre et sa réponse aux besoins des réseaux.

Pascale Baussant : Pour sélectionner un fonds ISR, je ne vais pas uniquement regarder le label. En premier lieu parce que jusqu’à présent l’offre de fonds labellisés éligibles sur les plateformes était insuffisante. Ensuite, au-delà du label, nous avons nos critères habituels de sélection de fonds. Le label n’est pas si important mais il peut faciliter le premier pas vers l’investissement responsable.

Véronique Cherret : Pour un CGP qui veut proposer une allocation responsable, le label est une façon simple d’y accéder. Mais ne nous trompons pas, les assureurs seront au cœur de la dynamique de développement de ce marché.

Raya Bentchikou : En plus du label ISR, il existe, pour les distributeurs, le filtre ESG Mifid II qui doit caractériser une intégration de ces critères dans les portefeuilles. Cela permet de diversifier l’offre.

Julie Fardoux : Les labels sont utiles pour les intermédiaires mais pour le client final, ce sont les fonds thématiques (énergies renouvelables, eau, climat, éducation, etc.) qui répondent le mieux à la demande, car ils traduisent des attentes qu’ils peuvent exprimer directement.

Que faut-il faire pour parvenir à une meilleure diffusion de l’ISR ?

Pascale Baussant : La formation est très importante. Il en existe déjà mais c’est insuffisant. Il faut que la formation apporte de la clarté pour les distributeurs mais qu’elle suscite aussi l’envie. Ce n’est que comme ça que la dynamique de commercialisation pourra s’enclencher.

François Garreau : En plus de la conviction des dirigeants et de la formation des réseaux, il faut qu’il y ait un alignement avec les enjeux stratégiques de l’entreprise. La crédibilité des marques est axée sur des sujets qui prennent de plus en plus d’importance. Il y a aussi un travail pédagogique important à mener pour rendre ces sujets compréhensibles pour le plus grand nombre.

Raya Bentchikou : Il faut mettre à disposition des outils de communication et de formations pour les intermédiaires. Les informations doivent être accessibles et véhiculées par les nouveaux réseaux de communication. La marque de la société de gestion doit aussi être au cœur du dispositif. Pour convaincre les réseaux de distribution et les clients finaux, il faut qu’ils puissent nous juger sur la diffusion en interne des critères ESG. L’effort doit aussi porter sur le reporting. La finalité est bien de donner du sens à l’investissement donc il faut pouvoir démontrer tout ce que nous avançons et le faire de manière simple avec des indicateurs tangibles.

Ronan Poupon : Les enjeux climatiques ont commencé à être pris en compte quand la réglementation a incité les différents acteurs puis les investisseurs à aller dans le bon sens. Cela devrait être également le cas pour l’ISR. Par ailleurs, l’offre peut créer la demande. L’offre ISR doit être suffisamment importante pour que les clients deviennent demandeurs. En termes de distribution, l’épargne salariale est un bon vecteur car tous les intérêts convergent. Enfin, les gérants doivent avoir les outils nécessaires (expertises ou données) pour développer les produits adaptés.

Béatrice Verger : Je me répète mais pour convaincre les réseaux de distribution et les clients finaux, nous faisons de la pédagogie, de l’accompagnement et nous nous appuyons sur des outils marketing innovants. Nous proposons des challenges aux conseillers et aux banquiers privés comme par exemple un concours de construction de portefeuilles 100 % ISR. Nous privilégions une gamme recentrée sur quatre ou cinq fonds thématiques plus facile à commercialiser car facilement compréhensible par le client final. D’année en année, nous constatons que la collecte sur les fonds ISR est plus importante que sur les fonds classiques.

Véronique Cherret : Je suis d’accord sur l’idée de montrer des intérêts convergents entre les différentes parties prenantes, assureur, société de gestion et distributeurs. La loi Pacte va aussi obliger les clients à s’interroger sur leur épargne et leur retraite. Ce sera un bon vecteur de diffusion de l’investissement responsable. Nous sommes très actifs au sein des initiatives de place qui permettront de fédérer l’industrie autour du développement de l’investissement responsable.

Robert de Guigné : En plus de la formation, il faut faire des efforts de comparabilité et conserver la performance au cœur du sujet.

Julie Fardoux : Les distributeurs ont besoin d’un accompagnement global : aussi bien en termes d’offre qu’en termes de services et de conseil. Nous travaillons en partenariat avec nos distributeurs pour concevoir des offres sur mesure. La formation sur les enjeux de développement durable est aussi un de nos axes, ainsi que le développement de contenu et d’outils de formation pour les conseillers. Nous devons aussi rendre compte des engagements aux clients finaux à travers les reportings en faisant preuve de transparence sur la gestion du fonds et en communiquant sur nos politiques de vote. Enfin, vis-à-vis des particuliers, la communication sur l’investissement responsable doit s’intensifier pour toucher le grand public.

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