Gestion des risques

Crise sanitaire et économique : les entreprises paient un lourd tribut

Publié le 12 juin 2020 à 11h28

Anne del Pozo

Alors que l’épidémie de Covid-19 en Chine se transformait en pandémie mondiale, nombre de gouvernements ont pris la décision du confinement pour limiter son expansion. Pour les entreprises, cette décision soudaine représentait alors un double choc d’offre et de demande touchant un grand nombre de secteurs d’activité. Conséquence : en quelques jours seulement, les échanges commerciaux se sont effondrés et l’économie mondiale a basculé dans la récession. Malgré les dispositifs d’aide mis en place par les gouvernements, un certain nombre d’entreprises pourraient ne pas s’en relever et le volume des défaillances fortement augmenter d’ici la fin de l’année 2020 et le début de l’année 2021.

Selon Coface, l’économie mondiale devrait enregistrer en 2020 la plus grave récession depuis la fin de la seconde guerre mondiale, avec une croissance économique qui s’établira à – 4,4 % (contre + 2,6 % en 2019). D’après l’assureur crédit, ce sont ainsi plus d’une centaine de pays qui cette année devraient entrer en récession, contre 11 l’an passé. «Les économies des pays de l’Europe de l’Ouest sont plus particulièrement touchées avec par exemple une baisse du PIB de – 13,6 % en Italie, – 13,4 % au Royaume-Uni, – 12,8 % en Espagne et – 11,6 % en France, précise Bruno De Moura Fernandes, économiste Europe de l’Ouest chez Coface. L’Allemagne résisterait mieux que ses voisins européens avec une baisse de sa croissance de – 7,2 % seulement. Aux Etats-Unis, le recul du PIB est attendu à – 5,6 %. Dans les pays émergents enfin, la Russie et le Brésil devraient enregistrer des diminutions respectives de – 5,8 % et – 6,5 % de leur économie. Seules la Chine (+ 1 %) et l’Inde (+ 1,5 %) restent en croissance.»

Forte progression des défaillances d’entreprises dans le monde

L’arrêt ou quasi-arrêt de la production et de la consommation devraient dégrader la trésorerie et les marges des entreprises. Dans ce contexte, le risque de crédit des entreprises est en forte hausse et les défaillances d’entreprises pourraient croître de 33 % dans le monde d’ici à fin 2021 selon Coface. Il s’agirait, de loin, de la plus forte hausse des défaillances dans le monde depuis 2009 (+ 29 %), quand bien même l’activité économique redémarrerait graduellement dès le troisième trimestre et qu’il n’y aurait pas de deuxième vague épidémique au second semestre. «Cette tendance toucherait ainsi fortement les Etats-Unis (+ 43 %) et les principales économies de l’Europe de l’Ouest : + 37 % en Italie et au Royaume-Uni, + 36 % aux Pays-Bas, + 22 % en Espagne, + 21 % en France et + 12 % en Allemagne, ajoute Bruno De Moura Fernandes. Le choc pourrait aussi s’avérer particulièrement violent dans certaines économies émergentes car, outre la gestion de la pandémie, il leur faut également faire face à la chute du cours du pétrole ainsi qu’à d’importantes sorties de capitaux. Ces différentes évolutions vont néanmoins beaucoup dépendre de la durée des dispositifs de soutien mis en place par les gouvernements de chaque pays.»

Dans un premier temps, les mesures budgétaires prises par la plupart des administrations publiques ont en effet contribué à limiter le coût financier, économique et social de la crise actuelle, même si celui-ci s’avère déjà lourd.

Le gouvernement au chevet des entreprises françaises

En France, ce sont notamment les dispositifs de chômage partiel, de prêt garanti par l’Etat ou encore de suspension voire, pour certains secteurs d’activité, d’annulation des charges sociales pendant plusieurs mois, qui actuellement contribuent à limiter la sinistralité des entreprises. D’autre part, depuis la déclaration d’état d’urgence le 24 mars 2020, les entreprises n’ont plus l’obligation de se déclarer en cessation de paiements, alors qu’auparavant, elles devaient le faire dans un délai de 45 jours à compter de la date de cessation des paiements. Une suspension qui restera valable jusqu’à trois mois après la fin de la période d’état d’urgence pour le moment arrêtée au 10 juillet prochain. «En conséquence, la déclaration de défaillance relève actuellement de la seule volonté du dirigeant et non d’une obligation et c’est la raison pour laquelle, au mois d’avril, le nombre de défaillances était en recul de 72 % par rapport à la même période l’année dernière, précise Bruno De Moura Fernandes. En France, la grosse vague de défaillances est donc plutôt attendue sur la fin de l’année 2020 et le début 2021.»

Les secteurs d’activité les plus touchés en France

En effet, malgré les dispositifs d’aide et les réformes déployés par le gouvernement, un certain nombre de secteurs d’activité ont été mis à l’arrêt pendant la période de confinement. D’autres le sont encore malgré la fin du confinement intervenue le 11 mai. Par ailleurs, pendant cette même période, la consommation des ménages français a fortement diminué. L’Insee évalue ainsi à 65 % la consommation totale des ménages pendant la période de confinement. L’estimation de la perte de consommation liée aux mesures d’endiguement se serait donc élevée à 35 %. Un contexte qui pourrait donc conduire nombre d’entreprises françaises à la faillite dans les mois qui viennent. «Nous sommes par exemple particulièrement attentifs à certains secteurs tels que l’aéronautique, le commerce non alimentaire – que ce soit les grandes enseignes spécialisées (habillement, ameublement, électroménager, électronique, etc.) ou les petits commerçants de centre-ville –, les activités liées aux médias, à la presse ou aux activités culturelles, événementielles et récréatives, mises à l’arrêt partiellement ou complètement et dont les liquidités pré-crise n’étaient globalement pas très bonnes, précise Valérie Attia, directrice générale France d’Ellisphere. Ces activités devraient enregistrer un taux de sinistralité deux à trois fois plus important que celui de la période précédente. De même, le secteur du bâtiment, même si les chantiers redémarrent, pourrait aussi souffrir de cette crise inédite.» Quel que soit le secteur d’activité, ce sont une nouvelle fois les petites entreprises qui pourraient payer le plus lourd tribut de cette crise en termes de sinistralité.

Dans ce contexte, le risque d’impayé est au plus fort et les entreprises doivent se montrer plus vigilantes que jamais. Une fois résorbés les dysfonctionnements les plus importants générés par l’entrée en confinement et constatés fin mars, les montants d’incidents de paiement sur effets de commerce se sont largement normalisés. Néanmoins, selon le comité de crise sur les délais de paiement, ils sont restés en avril en moyenne 75 % plus élevés comparés à la même période en 2019. En parallèle, le nombre de sollicitations et de médiations adressées au Médiateur des entreprises reste à un niveau très élevé.

Parallèlement et pour accompagner la reprise, il revient aux gouvernements de rester mobilisés pour préparer la suite et permettre les conditions d’une reprise économique, tout en évitant une potentielle crise de solvabilité. Une démarche engagée par la France avec l’annonce des premiers plans de relance, par exemple pour le secteur touristique ou l’automobile. 

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