Planification stratégique et suivi financier

Quelle organisation, quel process, quels outils ?

Publié le 19 janvier 2018 à 15h16    Mis à jour le 27 juillet 2021 à 11h40

La fonction finance est aujourd’hui au cœur des process de planification stratégique des entreprises. A l’occasion de la table ronde organisée par Anaplan et Option Finance, quatre experts reviennent sur la transformation de la fonction finance : Olivier Casanova, chief financial officer, Tereos, Thomas Baumgartner, directeur financier, Mersen, Eric Clogenson, ancien CFO, Coca-Cola European Partners France et Nadine Pichelot, VP Finance EMEA, Anaplan.

Au sein de vos entreprises, de quelle façon la transformation de la fonction finance peut-elle permettre de repenser la planification ? Pour ce faire, quels outils utilisez-vous ?

Olivier Casanova, chief financial officer, Tereos : Le groupe Tereos (ex-Béghin Say, NDLR), est une coopérative aujourd’hui présente dans 17 pays, avec notamment une présence importante en Asie et au Brésil. Au quotidien, nous opérons sur un marché de commodités, le prix du sucre est fixé à New York en fonction des échanges mondiaux. Dans ces conditions, il nous est difficile de réfléchir à la mise en place d’un plan stratégique à court ou moyen termes. En effet, l’évolution du cours du sucre dépend de nombreux paramètres qu’il est très difficile d’anticiper, à l’instar des conditions météorologiques ou des capacités de production. L’exercice financier n’est donc que la traduction chiffrée des plans opérationnels. Nous ne pouvons réaliser des projections financières à horizon trois ou cinq ans. Nous avons donc opté pour une approche par scénarios. Nous travaillons sur Excel, cependant, à terme, nous n’excluons pas d’utiliser d’autres outils, comme celui proposé par Anaplan. Ce type de solutions peut nous apporter davantage de flexibilité, notamment en termes de robustesse des hypothèses utilisées.

Thomas Baumgartner, directeur financier, Mersen : Mersen est un groupe spécialisé dans les composants électroniques insérés dans les process de fabrication de nos clients. Anciennement groupe Carbone Lorraine, nous totalisons aujourd’hui 6 000 salariés pour un chiffre d’affaires de 800 millions d’euros. Nous opérons aujourd’hui dans 35 pays, via 53 sites de production. Nous ne réalisons ainsi que 10 % de notre chiffre d’affaires en France. Pour superviser une telle production, la planification stratégique est une étape indispensable. Nous mettons ainsi en place des réunions stratégiques régulières. Sur le plan financier, nous réalisons notre business plan en juin à partir du budget livré au mois de décembre. Nous travaillons également à l’élaboration de scénarios réalisés à partir des stratégies ressources humaines et industrielles. Ces différents éléments vont nous permettre de livrer des prévisions sous forme de fourchettes de valeur. Plus nous avançons dans le temps, moins il nous est possible de livrer des prévisions fiables. Nous allons donc donner des ordres de grandeur qui vont ensuite permettre de fixer un cap. Du côté des outils, nous utilisons pour l’heure des solutions classiques, à l’instar des logiciels Excel et Power Point.

Eric Clogenson, ancien CFO, Coca-Cola European Partners France : La préparation du plan stratégique est essentielle dans la vie d’une entreprise. La finance y joue un rôle central en lien étroit avec les acteurs clés en co-produisant le plan stratégique. Les évolutions actuelles (business et technologiques) permettent d’apporter plus de données externes, d’analyses de sensibilité, et d’agilité.  Côté outils, les solutions simples, à l’instar d’Excel et de Power Point, restent encore très utilisées par les entreprises.

En qualité de conseil et de fournisseur de solutions, Anaplan a aujourd’hui un poste d’observateur privilégié. Quelle est votre appréciation des plans stratégiques pilotés par la fonction finance ?

Nadine Pichelot, VP Finance EMEA, Anaplan : A mon sens, le plan stratégique donne une vue d’ensemble et permet aux différentes équipes de se projeter vers un même cap. A cela s’ajoute l’horizon, c’est-à-dire la marche à suivre pour atteindre les objectifs. Nous avons récemment accompagné un groupe d’envergure internationale qui devait faire face à deux profit warnings. Toute l’entreprise devait alors être mobilisée autour d’un plan stratégique à trois ans. Nous les avons accompagnés en opérant une consolidation d’indicateurs très hétérogènes. L’entreprise avait par ailleurs besoin de réaliser de nombreuses simulations afin de mesurer les impacts des différentes options possibles. La réussite d’un plan stratégique est souvent liée à une diffusion des informations stratégiques aux équipes. Cependant, certaines sont parfois confidentielles. Comment faire pour diffuser au plus grand nombre sans trahir la nécessaire confidentialité des données financières ?

Olivier Casanova : Nos livrables sont essentiellement à usage interne et ne sont pas diffusés à l’extérieur de l’entreprise. Si bien sûr il existe des données confidentielles, je reste convaincu du nécessaire besoin de diffusion de l’information en interne. Les plans stratégiques sont une source importante de motivation pour les équipes. Cela permet de rassembler les collaborateurs autour d’ambitions communes. Le plan stratégique doit à mon sens mobiliser tout le monde.

Thomas Baumgartner : Je suis tout à fait d’accord. A ceci près qu’il faut prendre garde à ne pas diffuser d’informations confidentielles. Pour ce faire, nous avons choisi de limiter la diffusion de données chiffrées. Ainsi, plus nous descendons dans l’organigramme, moins nous donnons de chiffres. Nous donnons davantage des ordres de grandeur. C’est le cas par exemple des chiffres d’affaires trimestriels. Par ailleurs, en qualité de société cotée, nous avons la possibilité de nous benchmarker par rapport au marché. Au sein de la direction financière, cette mise en perspective par rapport à la concurrence est fondamentale.

Eric Clogenson : Le plan stratégique est un exercice important pour toute entreprise permettant de définir la vision et les orientations. Il permet de mobiliser l’ensemble de l’entreprise sur quelques éléments business clés, les données purement financières restant limitées.

Les nouveaux outils donnent davantage de données de marché, permettant un pilotage de la performance. Quelles sont les incidences en interne ?

Eric Clogenson : A mon sens, les données sont utiles à la condition de ne pas se noyer dedans. Le principe est de définir des indicateurs clés, qui peuvent être assez classiques (revenus, volumes, parts de marché, prix, coûts, et marges, …). Ces choix sont faits avec les opérationnels pour être concrètement au plus près du marché et de l’activité, permettant une analyse plus précise,  tout en standardisant les instruments de mesure au sein de l’organisation. Les données pouvant être denses, on doit sur le rendu limiter les tableaux de chiffres au profit d’outils visuels et lisibles. La direction financière est en constante relation avec les équipes opérationnelles ; le discours doit donc s’appuyer sur des visuels et des cartographies, davantage que sur des tableaux de chiffres.

Thomas Baumgartner : Au sein du groupe Mersen, nous remontons les indicateurs financiers de façon mensuelle. Nous avons par ailleurs mis en place des indicateurs minimum de gestion, une centaine environ. Si tous ces indicateurs restent en permanence disponibles, ils ne remontent automatiquement que sous forme d’alerte dans des cas bien précis. Ces indicateurs nous permettent également de garder un œil attentif sur dix sites identifiés aujourd’hui comme ayant des enjeux spécifiques. Nous organisons par ailleurs des réunions mensuelles de suivi avec le management de ces sites stratégiques.

Olivier Casanova : Le groupe Tereos s’est développé par croissance externe. Nous avons opéré une refonte du cadre de gestion il y a maintenant deux ans. Cependant, il existe encore des différences justifiées. En effet, si une partie de la production est similaire, il existe des disparités dans la production de sucre, notamment en fonction des zones géographiques. Il faut donc les prendre en compte. En mettant en place un cadre de gestion, nous nous sommes aperçus que des habitudes s’étaient installées. Nous avons donc dû faire un effort tout particulier pour reprendre le mapping de l’ensemble de nos process agricoles et industriels en nous assurant de la bonne traduction financière des activités opérationnelles. Nous avons très vite constaté que seules trois ou quatre personnes pouvaient agir sur ces indicateurs. Nous avons par ailleurs mis en place une application Tereos permettant par exemple de suivre depuis son smartphone les productions quotidiennes de sucre et d’alcool de chaque usine, en France et à l’international ; d’autres données sont disponibles, comme les ventes hebdomadaires.

Chez Anaplan, quelle analyse faites-vous des différents indicateurs mis en place par vos clients ?

Nadine Pichelot : Nos clients ont aujourd’hui conscience du danger de se perdre dans un nombre de données trop conséquent. Ils tendent donc vers davantage de simplicité et de lisibilité et conservent cinq à six indicateurs phares. En amont, ils doivent cependant se poser la question du niveau de précision vers lequel ils sont capables d’aller. Nous avons, par exemple, accompagné le groupe Accor qui s’interrogeait sur la façon de remonter les prévisions des 3 800 hôtels du groupe, répartis dans des pays différents. Finalement, le constat a été le suivant : mieux vaut avoir 80 % de l’information rapidement que 100 % de l’information en retard. Nous avons par ailleurs travaillé avec le groupe Rocher, également sur une problématique de remontée d’informations très décentralisées. Un plan financier n’est que le reflet de ce qui se passe dans la business unit. La direction financière doit donc s’assurer de la mobilisation des équipes opérationnelles. D’où l’importance de fournir l’information la plus pertinente possible à destination de l’ensemble des équipes.

Concrètement, de quelle façon est-il possible de ne pas cumuler les indicateurs ?

Thomas Baumgartner : Chez Mersen, nous avons mis en place un principe qui est de détruire un reporting à chaque fois qu’un nouveau est créé. Cela évite de cumuler les indicateurs.

Eric Clogenson : Il est en effet essentiel de limiter… Par ailleurs, la rapidité est fondamentale, un indicateur clé non disponible dans les temps devient inutile. La direction financière joue un rôle moteur et décisif dans la pertinence des indicateurs et leur fréquence ; ils doivent permettre l’action et être co-définis avec les opérationnels. Un arbitrage pour un juste équilibre est fait entre les exigences de reporting, par exemple pour une entreprise cotée, et les exigences opérationnelles.

Le développement de ces nouveaux outils a-t-il eu pour incidence de faire évoluer les métiers au sein de vos équipes ?

Eric Clogenson : Il est certain que notre métier évolue et que cela a une incidence sur les équipes. Si les profils financiers sont toujours demandés, les profils pointus autour des sujets du big data notamment sont également recherchés. Par ailleurs, la communication est un élément clé. En effet, les équipes financières doivent être à même de dialoguer avec les équipes opérationnelles. Enfin, il faut rester ouvert aux talents quel que soit leur secteur d’origine. Ainsi, une fonction finance ne recrute pas exclusivement des collaborateurs issus du secteur de l’entreprise. J’avais recruté récemment des collaborateurs qui venaient du secteur automobile et du luxe. Je suis convaincu que la créativité naît de la diversité des profils.

Thomas Baumgartner : Je suis tout à fait d’accord. Il est essentiel d’avoir dans son équipe des collaborateurs aux profils différents et aux expériences variées. Au sein du groupe, il y a deux ans, nous avons écrit des «job descriptions» pour des emplois repères : sur 100 emplois, 15 concernent la finance. Chacun de ces emplois repères possède d’importantes «soft skills» qui sont déclinées dans les entretiens annuels et au cours des recrutements.

Nadine Pichelot : Je constate également de nombreux changements au sein des directions financières. Aujourd’hui, la fonction finance ne consiste surtout pas à rester dans son bureau. Il faut certes travailler sur les chiffres, mais aussi et surtout être pédagogue et à même de travailler avec les équipes opérationnelles autour de ces chiffres.

Quelles sont les perspectives d’évolution pour ces recrues ? De quelle façon faut-il favoriser la promotion interne ?

Olivier Casanova : Nous avons mis en place des plans de développement à destination de l’ensemble de nos collaborateurs. Par ailleurs, tous ont la possibilité de participer à des projets qui leur donnent de la visibilité. Je participe moi-même à des projets pour observer les collaborateurs et notamment les jeunes.

Eric Clogenson : J’ajouterai que pour accompagner et fidéliser les jeunes recrues dans leur travail au quotidien, les outils digitaux sont d’une grande utilité. En effet, actuellement je constate que les plus jeunes collaborateurs sont en attente d’outils très fonctionnels, finalement assez semblables aux applications qu’ils utilisent au quotidien sur leurs smartphones.

Quelles sont les grandes lignes du projet de transformation financière au sein de vos entreprises ?

Olivier Casanova : Le groupe Tereos s’est développé par acquisitions en laissant une autonomie aux différentes filiales. Notre défi a donc été de passer d’une connexion de PME à un groupe intégré. Pour ce faire, nous avons travaillé sur la comptabilité de sorte à optimiser les délais de paiements. Nous avons également mis en place les chantiers «fast close» et «smart close», permettant de gagner en qualité et en rapidité pour les clôtures. Nous avons également réalisé un important travail afin d’harmoniser nos clauses de financement.

Thomas Baumgartner : Au sein du groupe Mersen, nous avons défini un programme d’excellence financière, avec l’ambition de nous améliorer sur tous les chantiers en cours. Nous travaillons ainsi sur les analyses de risque, mais également sur le digital, avec deux collaborateurs dédiés. Il est fondamental d’avoir à ses côtés des talents confirmés dans le domaine du digital. Cela nous permet par exemple de pouvoir faire le tri parmi toutes les idées de projets digitaux, et de ne développer que ceux qui en valent vraiment la peine.

Eric Clogenson : Une stratégie de transformation financière s’articule généralement autour de plusieurs axes : la mise en place de systèmes standards simplifiés, des processus comptables uniformisés, l’impact de ces changements sur l’organisation, tout en prêtant une attention particulière à l’amélioration des coûts. Ces changements s’accompagnent souvent de nouveaux outils digitaux pour le reporting et de nouvelles technologies pour la partie transactionnelle, par exemple Robotic Process Automation.

A quel stade de leur transformation digitale les directions financières peuvent-elles faire appel à Anaplan ?

Nadine Pichelot : Nous pouvons bien sûr accompagner nos clients à tout moment de leur transformation digitale. Cependant, lorsque nos clients font appel à nous, c’est constamment à la suite d’une réflexion menée en interne sur le digital. Leur problématique est de briser les silos, de favoriser la collaboration et de partager les informations en temps réel pour améliorer le processus de décision.

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