Table ronde

L’ANI, une opportunité pour repenser la santé dans l’entreprise

Publié le 7 mai 2015 à 17h01    Mis à jour le 27 juillet 2021 à 11h39

Propos recueillis par Eric Leroux

L’accord national interprofessionnel, qui oblige les entreprises à souscrire une complémentaire santé pour leurs salariés, n’est pas vraiment une révolution. Mais combiné aux évolutions des contrats responsables, il va conduire à remettre beaucoup de points à plat. Les salariés pourraient donc voir leur protection réduite, et les entreprises assisteront à une baisse de leurs coûts. Pour les participants à notre table ronde, c’est une occasion rêvée pour repenser la place de la santé dans l’entreprise.

L'impact de l'ANI et des contrats responsables sur les entreprises

Patrice Capelli, directeur commercial des territoires, Humanis : Une révolution, je ne suis pas sûr, mais une évolution, sûrement. Ce ne sont pas des choses complètement nouvelles pour les entreprises, car elles ont déjà dû se positionner et réfléchir sur ces sujets. Aujourd’hui elles doivent donc faire aboutir cette réflexion pour se conformer à la loi et créer un tel dispositif. On entre dans le concret.

Olivier Massa, directeur du développement Prévoyance Santé, Siaci Saint Honoré : Je pense que c’est une révolution. Pas tant pour les moyennes et grandes entreprises, qui sont déjà habituées à l’existence de ces garanties de santé, que pour les branches professionnelles et, en général, l’environnement des conventions collectives, pour qui il s’agit d’une approche nouvelle. Je pense que pour les TPE, c’est une opportunité à saisir afin d’optimiser leur approche de la santé – et plus généralement de la protection de leurs collaborateurs –, mais ce n’est pas forcément perçu comme tel.

Pierre Guillocheau, directeur des assurances collectives, Crédit Agricole Assurances : Le marché des assurances collectives santé est déjà très développé. On estime que 80 % à 90 % des entreprises sont déjà équipées. L’ANI ne va donc pas bouleverser la couverture santé, comme on l’a beaucoup dit, mais permettre de couvrir des segments d’entreprises qui ne l’étaient pas encore.

Celles qui emploient plus de 50 salariés ont pour la plupart déjà mis en place un dispositif. C’est donc surtout dans les plus petites entreprises que le changement est «révolutionnaire». Elles n’étaient pas habituées à ce genre de chose, même si nombre d’entre elles proposaient déjà une complémentaire en prévoyance du fait d’accords de branche qui les y obligeaient. En revanche, ce sera une révolution pour les salariés. Certains qui étaient déjà couverts par des contrats individuels vont se retrouver avec une complémentaire d’entreprise différente et qu’ils n’ont pas forcément choisie.

C’est effectivement le vrai sujet pour les entreprises, car la définition des contrats responsables est restrictive. Pour éviter de supporter une taxe à 14 %, des entreprises offrant déjà une couverture santé vont être conduites à la réduire, afin de s’aligner sur les seuils et plafonds définis par la réglementation, souvent bien inférieurs à ceux en vigueur dans les entreprises ayant une politique sociale très développée. Je pense que les entreprises ont nettement moins conscience de cette évolution, alors que son impact sera très important pour la plupart d’entre elles.

Olivier Massa : Avec les limites de remboursement prévues pour les contrats responsables, on ne pourra pas se passer de systèmes complémentaires et optionnels, afin d’aller au-delà du panier de soin minimum. Ces options risquent d’être chères, car non responsables et plus taxées. L’accès à la couverture haut-de-gamme, demain, sera donc plus onéreuse. Tout le monde ne pourra pas y accéder, attention au risque de nivellement par le bas.

Les grandes entreprises ne sont pas véritablement impactées par l’ANI, car elles ont déjà mis en place de tels systèmes. Il peut toutefois rester des problèmes ponctuels, par exemple lorsque certains de leurs salariés ne sont pas couverts, mais ces entreprises sont en mesure d’y faire face facilement.

Pour les petites entreprises, je ne suis pas certain qu’elles soient prêtes, car elles ne mesurent pas forcément les enjeux. Les dirigeants de PME ont une priorité : leur carnet de commandes, ils ont une vision très opérationnelle. Or, ils ne se rendent pas toujours compte que la rupture de la chaîne de production à cause d’un salarié en mauvaise santé peut avoir plus d’impacts pour eux que dans une grande entreprise.

Une prise de conscience doit donc avoir lieu. Les branches professionnelles ont un vrai rôle à jouer dans ce domaine, notamment en mettant en place dans les conventions collectives des régimes frais de santé qui vont au-delà du socle minimum. Elles vont ainsi répondre à un besoin de protection, de prévention, pour embarquer toutes ces petites entreprises dans le dispositif. C’est le meilleur moyen de leur faire comprendre que si c’est une obligation, c’est aussi une mesure qui va dans leur intérêt.

L’objectif de la loi était de mettre en place pour tous les salariés une protection sociale complémentaire. Après une année de doutes en 2014, on mesure aujourd’hui qu’un pur respect des textes sur les contrats responsables va conduire à réduire la couverture santé à sa plus simple expression, puisque les contrats ne couvriront que le panier de soins minimum. Etait-ce l’objectif recherché au départ ? Je ne le pense pas. Il est opportun d’aller au-delà des textes, car les entreprises doivent prendre conscience que la santé est pour elles un enjeu économique. Il n’y a pas de performance économique sans performance sociale, et elle passe aussi par la santé, la prévention et le bien-être. Un euro investi dans la santé, c’est donc un euro bien investi. Mais pour entendre ce message, les chefs d’entreprise ne doivent pas être freinés par des contraintes financières. Actuellement, nombre d’entre elles ont malheureusement d’autres priorités.

Pierre Guillocheau : Les chefs d’entreprises ont bien conscience de cette échéance, puisque tout le monde en parle. De plus, les opérateurs de marché sont très actifs pour les sensibiliser. Nos clients bancaires peuvent en témoigner : ils sont fortement démarchés par de nombreuses sociétés.

De là à dire que toutes les entreprises auront un contrat au 1er janvier 2016, il y a un pas à franchir. Certaines estiment qu’elles ne risquent pas grand-chose à ne rien faire. La mise en place de la réforme risque donc d’être plus étalée que prévu. Si les chefs d’entreprise ont conscience des obligations légales qui vont peser sur eux, je constate qu’ils n’ont pas forcément mesuré l’importance des enjeux en termes de couverture. Les TPE, lorsqu’elles souscrivent une complémentaire santé au profit de leurs salariés, vont plutôt vers des formules low-cost. Les accords de branche signés – lorsqu’ils existent, ce n’est pas systématique – vont aussi sur ces formules peu étendues, qui apportent une couverture partielle.

Pour les chefs de petites entreprises, c’est vu comme un coût ; les partenaires sociaux le voient eux comme un élément de progrès social. Les deux parties ont donc encore du chemin à faire pour mesurer l’intérêt d’avoir une approche plus large de la santé des salariés.

Patrice Capelli : Les experts-comptables témoignent de la bonne connaissance qu’ont les entreprises, y compris les plus petites, de cette échéance. Il y a toutefois une forme d’attentisme de la part des dirigeants. Ils s’interrogent sur ce que négociera, ou non, leur branche. Ils y voient aussi une charge supplémentaire et dans la mesure où l’échéance est en janvier, ils estiment avoir le temps avant de passer à l’acte.

La nécessité de souscrire à des "surcomplémentaires"

Pierre Guillocheau : Les accords de branche ou l’ANI sont à un niveau très bas. Cela ne répondra pas aux besoins de certaines populations, comme les cadres. On a déjà vu apparaître des demandes de surcomplémentaires individuelles, très calées sur le socle collectif. Elles doivent venir compléter les manques des contrats collectifs souscrits par les entreprises.

La couverture de base ne sera donc pas suffisante. Les accords actuels n’ont rien à voir avec ceux qui étaient passés il y a quelques années, qui étaient plus généreux.

Le problème du contrat responsable est le plafonnement des remboursements. Le niveau des dépassements d’honoraires n’est pas adapté aux cadres et à certaines agglomérations, et l’on peut difficilement imaginer que les professionnels de santé baissent leurs tarifs pour entrer dans le cadre.

Patrice Capelli : 80 % de nos contrats en stock ont un niveau de garantie moyen compris entre le plancher des contrats responsables et le plafond de l’ANI. Si les orientations sont plutôt vers le bas, cela va créer des difficultés pour le dialogue social des entreprises. Le fait de réduire le niveau des garanties risque en effet d’entraîner un niveau d’insatisfaction important.

Tous ceux qui réfléchissent sur l’avenir des garanties de santé dans l’entreprise ne conçoivent pas de ne pas proposer des options individuelles pour compléter le socle de base.

Olivier Massa : Les entreprises avaient jusqu’ici la liberté de déterminer la couverture qu’elles souhaitaient offrir à leurs salariés. Le fait d’encadrer leur étendue leur enlève un levier dans le package de rémunération indirecte des salariés.

Les entreprises qui souhaitent limiter leur participation financière peuvent néanmoins y trouver avantage, en laissant aux salariés la responsabilité de se couvrir à titre individuel et optionnel au travers d’un contrat groupe.

Il manque certainement dans ces évolutions des niveaux de couverture plus étendus, afin que les entreprises puissent monter en gamme. Le contrat responsable et le tunnel de soins risquent de devenir une contrainte.

L’environnement va s’en trouver aussi complexifié : il faudra demain compter sur la Sécurité sociale pour les remboursements de base, sur l’ANI pour le panier de soin minimum (le tunnel de soins), et sur des options facultatives pour les dépassements d’honoraires ou certains forfaits, en matière d’optique ou de prothèses dentaires.

C’est aussi un challenge pour les assureurs, les conseils et les gestionnaires. Il y aura forcément une redistribution des cartes, ce qui est normal sur un marché qui s’ouvre, mais aussi des changements profonds. Ainsi, là où nous étions concurrents, nous pourrons demain être partenaires. En matière de gestion, nous développons des plateformes de services capables de se substituer partiellement aux obligations employeurs ; capables de conseiller des options facultatives et surtout de gérer plusieurs flux avec plusieurs assureurs.

Il y a aussi une autre révolution qui se profile : alors que nous sommes depuis des années orientés sur des systèmes qui privilégient le curatif, qui coûte très cher, nous allons évoluer massivement vers la prévention. Elle sera un élément incontournable dans la négociation. Cela a d’ailleurs déjà démarré, puisque le décret sur les contrats responsables pose des premiers jalons sur cette voie. Ce n’est toutefois qu’un début, nous irons certainement beaucoup plus loin dans l’avenir.

Pierre Guillocheau : Les deux cas seront possibles. Des entreprises voudront proposer des options facultatives individuelles dans un cadre collectif, mais qui resteront dans le cadre des contrats responsables, ou bien des extensions de garantie, ou des surcomplémentaires, dépassant le niveau des contrats responsables, et qui coûteront donc plus cher aux salariés.

Bref, certaines entreprises ne s’y intéressent pas, alors que d’autres veulent reconstruire un dispositif aussi proche que possible de celui proposé auparavant.

On voit aussi que les entreprises sont très vigilantes concernant le budget qu’elles sont prêtes à consacrer à cette couverture, car les coûts ont déjà fortement évolué ces dernières années en raison de l’augmentation des dépenses de santé. On voit bien la volonté de certains employeurs de plafonner leur budget consacré à la santé, car il augmente de 5 % à 6 % par an et commence à peser lourdement. Certains employeurs vont donc s’emparer des contrats responsables pour réduire le coût qu’ils supportent.

D’autres sont en revanche très satisfaits de proposer des offres complémentaires.

Le paradoxe de ces réformes est le suivant : on pensait supprimer la couverture individuelle et elles reviennent en fait différemment, non pas à côté du collectif mais en complément du collectif.

On parle beaucoup de l’ANI aujourd’hui, mais nous sommes en réalité face à un ensemble de réformes qui se sont étalées sur plusieurs années. Cet ensemble de réformes, qui n’ont pas été conçues dans leur globalité, bouleverse le marché de la santé. Surtout, elles n’ont pas été pensées de manière homogène. Cela fait perdre leurs repères aux différents acteurs. C’est donc la somme des réformes qui change l’environnement plus que l’ANI lui-même, faute de vision globale.

Patrice Capelli : C’est clair que l’on se retrouve dans une offre encadrée, avec une fourchette basse et une haute. Si cette logique conduit vers du low-cost, nous allons nous retrouver face à des salariés qui ne seront pas satisfaits de leur sort. Car si certains salariés ne sont pas couverts en collectif, ils disposent d’une couverture individuelle plus étendue.

On rentre donc dans une période de turbulences. Les experts-comptables ne vont pas rentrer dans le dialogue social pour le compte de leurs clients ; c’est là que l’on risque de se retrouver dans une situation compliquée.

Les entreprises obligées de revoir leur stratégie

Patrice Capelli : Aujourd’hui, nous avons l’ANI d’un côté, les contrats responsables de l’autre. Tout cela n’est pas très cohérent, ni sur les dates, ni sur l’enchaînement des garanties.

Entre 2016 et 2018, les entreprises ayant des contrats couvrant au-delà des limites des contrats responsables risquent de voir l’ensemble de leur régime requalifié. Ce n’est pas concevable. Les entreprises vont donc chercher à limiter leur budget en réduisant les garanties pour qu’elles entrent dans les seuils des contrats responsables, puis proposer des options individuelles à leurs salariés qui veulent bénéficier d’une couverture plus étendue.

Le paradoxe est que les salariés risquent de payer, au total, un prix plus élevé. En effet, les garanties optionnelles n’étant pas responsables, elles vont voir leur taxation augmenter. Par ailleurs, ce volet facultatif risque d’entraîner un phénomène d’anti-sélection, puisque ce sont les plus gros consommateurs de soin qui seront les premiers souscripteurs de ces options. Nous allons donc avoir des explications complexes, voire douloureuses, à donner aux entreprises.

Les entreprises ont peu d’autres choix que la limitation de leur régime actuel. Elles en profiteront pour faire des économies d’échelle et cela devrait entraîner des bouleversements dans l’économie de la santé. Je ne suis pas sûr que tous les médecins se pressent pour signer le CAS (ndlr : Contrat d’accès aux soins). Les opticiens de leur côté pourraient voir leur chiffre d’affaires sensiblement impacté.

Pierre Guillocheau : Etre au-dessus du socle de l’ANI ou de la branche ne pose pas de problème. Qui peut le plus peut le moins. Le vrai problème, ce sont les contrats responsables et les stratégies des entreprises par rapport à ces contrats.

La plupart des contrats actuels sont déjà, aujourd’hui, au-dessus du socle ANI et des accords de branches. Mais 90 % à 95 % des contrats d’entreprises ne sont pas responsables selon les nouveaux critères. Les entreprises vont donc devoir revoir leur stratégie. Que vont-elles faire des économies générées par la transformation en contrat responsable ? Vont-elles réduire leur budget, le redéployer, se positionner sur la prévention santé ? Nous sommes en présence d’options très différentes et ne savons pas encore lesquelles seront privilégiées. Je note toutefois que de nombreux DRH sont lassés des fortes augmentations observées sur les tarifs ces dernières années, et y voient une possibilité de réduire, enfin, le budget consacré à ce poste. Dans des entreprises dont on pouvait penser qu’elles avaient une politique sociale avancée, on assiste aussi à un désengagement en douceur. Elles veulent profiter de ce plafonnement pour réduire leur charge.

Des interrogations existent aussi sur leur attitude vis-à-vis de leurs salariés qui vont interpréter ce changement comme une régression. Les représentants du personnel ne comprennent pas cette évolution. Même si c’est une loi qui l’impose, cela vient brouiller le dialogue social dans l’entreprise, car la «mutuelle» est un acquis fort, et jusqu’ici, on n’avait jamais vu des garanties être réduites. Ce sera donc une première, y compris dans des grandes entreprises ayant une politique sociale très avancée et innovante. Elles vont promouvoir des surcomplémentaires auprès de leurs partenaires sociaux, mais ce n’est plus la même chose, car ces garanties seront totalement payées par le salarié. Il y aura donc un effet report sur le salarié pour le financement.

On sent les grosses entreprises assez mal à l’aise face à cette question des contrats responsables. C’est une sorte de déstabilisation. Mais certaines d’entre elles, qui sont dans une logique de lutte contre l’absentéisme et les arrêts de travail, sont sensibles au discours sur la santé au travail, sur la prévention. Ce sont des points qui vont s’affiner dans les prochaines années.

Olivier Massa

Effectivement, la plupart des contrats des grandes entreprises vont au-delà du panier de soin. Le changement vient des contrats responsables et des mises en conformité sur les deux années à venir. Cela ne va pas créer une révolution au plan tarifaire, car la baisse de cotisation sera située entre 2 % et 4 %, mais cela constituera un levier pour réinvestir dans des garanties plus à risque, comme l’hospitalisation, la prévention.

Il est clair que les branches et les partenaires sociaux ont un rôle important à jouer. C’est un élément fondamental de la négociation collective. C’est une opportunité que doivent saisir les fédérations syndicales et professionnelles, car la santé est un sujet élément incontournable dans la performance des entreprises. Je crois qu’il n’est pas encore bien perçu ; c’est à nous d’aider entreprises et salariés à cette prise de conscience. Les entreprises aujourd’hui sont aussi mal formées. On a tendance à dire que les organisations syndicales ne connaissent pas bien le sujet, mais les chefs d’entreprise ne sont pas toujours bien informés. On le voit lorsqu’on aborde le contrat responsable. Les professionnels doivent là jouer leur rôle de conseil pour les épauler.

Les éléments de différenciation des offres

Olivier Massa : La différenciation pourra exclusivement se faire sur les services et le conseil expert. C’est l’enjeu de demain. Il faudra, par exemple, faire évoluer les plateformes de gestion en plateformes de services pour mieux servir les utilisateurs. La santé est un sujet collectif, mais il est possible d’individualiser les protections et garanties. La prévention, par exemple, est un élément d’individualisation.

Deuxième différenciation : l’offre de conseil dans les grands groupes et les ETI devra intégrer une valeur ajoutée de plus en plus forte, avec une vraie colonne vertébrale. Quand on parle de prévention, cela doit se faire dans le cadre d’une politique globale, elle ne peut pas être traitée sous un seul angle. La prévention, c’est la mise à disposition d’une boîte à outils dans laquelle chaque entreprise et chaque salarié pourront trouver une réponse.

Pierre Guillocheau : L’ANI a un effet pervers, car elle est synonyme de low cost. Dans les appels d’offres que nous traitons, nous observons que le prix est le critère principal dans 50 % des cas, la qualité de la gestion compte pour 30 % et le service pour 20 %. De ce fait, l’élément prix demeure central, quoi que l’on dise.

Si la notion de prix est importante dans les petites entreprises, il me semble toutefois qu’elle est moins décisive dans les plus grandes. Elles sont plus intéressées par le discours de prévention santé, de bien-être au travail, la lutte contre l’absentéisme, la hausse de la productivité, la maîtrise de la consommation et des prix. De plus en plus d’entreprises se penchent sur ces questions ; c’est un cercle vertueux, qui peut aussi entraîner une baisse du coût des garanties de prévoyance grâce à la réduction de l’absentéisme.

Sur la prévention, il y a encore du travail à faire pour passer du discours à la réalité, car il nous faut industrialiser les approches dans ce domaine. L’accompagnement à la reprise du travail est un plus, mais il faut aller plus loin. Faire de la prévention, c’est aller sur quelque chose de plus systématique.

Les contrats responsables, en dégageant 2 % à 5 % de marge budgétaire, peuvent donner les moyens aux entreprises de renforcer leurs dispositifs de prévention, en les rendant systématiques et avec une portée plus large.

Il faudra aussi remettre en avant les services de base, car les assurés veulent avant tout être remboursés vite, avoir le tiers payant. Ce sont des éléments qui sont trop souvent oubliés. Il faut aussi que les assureurs soient en capacité de fournir les informations administratives fiables et rapides.

Patrice Capelli : La notion de prix sera demain l’élément déterminant. Ce qui sera autour du prix, notamment la prévention, pourra jouer un rôle important aussi. Mais il reste beaucoup de choses à construire dans ce domaine.

Le service essentiel sera celui de la gestion, puisque les salariés dépendront de plusieurs régimes. Il y aura de gros efforts à faire de la part des professionnels. Un sujet restera à explorer : celui du haut degré de solidarité dans les branches. On va se tourner vers du service, de la solidarité au sens large, avec des plus qui vont se greffer autour des produits qui en feront des éléments différenciants.

En parallèle de la gestion, il y a le sujet des plateformes de santé. Sur du low cost, la capacité à proposer et à aider sur l’optique ou les prothèses dentaires, à un prix cohérent avec le niveau des garanties, sera essentielle. C’est souvent ce qui fera la différence puisque cela permettra aux salariés de mieux maîtriser leurs dépenses de santé et d’être remboursés pour l’essentiel de leurs dépenses.

Que devront faire les salariés qui sont déjà couverts à titre individuel ?

Patrice Capelli : Aujourd’hui, nous sommes dans un mode simple : on est couvert soit dans son entreprise, soit à titre individuel. Très peu de personnes ne bénéficient pas d’une complémentaire santé, en raison de l’existence de divers dispositifs comme la CMU ou l’ACS (ndlr : lire pages «marché»). Demain, ce système risque de voler en éclats : il y aura des pans de garanties dans l’entreprise, d’autres à titre individuel, parfois au travers de plusieurs contrats. Ce sera difficile à gérer et à appréhender par les salariés.

Cela va aussi changer notre approche vis-à-vis des entreprises. Jusqu’ici, lorsque nous établissons une proposition, nous comparons la couverture avec les garanties déjà en place. Demain, chaque salarié aura sa propre couverture personnalisée, et il sera bien difficile de préconiser une complémentaire santé adaptée à tous.

Ce sera aussi difficile pour les salariés, qui ne maîtrisent pas forcément le jargon utilisé dans les contrats – ticket modérateur, tarif de convention, etc. – et qui auront du mal à mesurer l’étendue réelle de leur protection.

Pour les retraités, il n’y aura pas de changement, puisque les dispositions de la loi Evin continueront à s’appliquer.

Olivier Massa : Lorsqu’il y a eu la négociation entre le Medef et les partenaires sociaux autour de l’ANI, la couverture santé n’était pas un sujet prioritaire. Il est apparu et pourtant les sujets sensibles restent la prévoyance et l’incapacité, qui sont des risques majeurs pour les entreprises.

Ceux qui sont couverts à titre individuel le seront-ils toujours demain ? Cela dépendra des contrats qui seront négociés dans le cadre des accords de branche et des accords d’entreprise. Si les régimes mis en place en 2016 sont minimalistes, nombre de salariés conserveront certainement leur couverture individuelle.

Par ailleurs, je crains que l’on soit gagné par une certaine frustration après 2016, car les chefs d’entreprise qui ont choisi une formule minimum intéresseront peu leurs salariés, qui devront parfois garder leur contrat individuel pour être mieux couverts.

Pierre Guillocheau : Les salariés qui sont déjà couverts par un contrat individuel vont devoir résilier leur couverture santé. En 2016, il y aura vraisemblablement des périodes de chevauchement car des salariés seront couverts deux fois, faute d’avoir procédé à temps à la résiliation de leur contrat.

L’autre conséquence pourrait être quantitative : certains salariés vont découvrir qu’ils sont moins bien couverts par leur entreprise, parce que le niveau des remboursements a été réduit, ou bien parce que le nombre de personnes couvertes dans le foyer sera réduit. Ce qui était présenté comme un progrès ne le sera donc pas forcément, d’autant que la plupart des Français sont déjà couverts à titre à titre individuel. Il y aura à coup sûr des déceptions.

L’ANI, qui avait pour but de généraliser la couverture en complémentaire santé et de couvrir des personnes qui ne l’étaient, va en fait se substituer à des garanties individuelles. Cet effet n’a pas été suffisamment anticipé. Nous nous attendons à rencontrer beaucoup d’incompréhension en 2016.

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