Transformation d'entreprise

Transformation digitale : compétences et expertises, facteurs clés de succès

Publié le 7 décembre 2018 à 10h54    Mis à jour le 10 décembre 2018 à 15h23

Propos recueillis par Anne del Pozo

Si la nécessité d’engager une transformation digitale pour rester dans la course à la compétitivité ne fait pas de doute, sa mise en œuvre reste complexe. Principal obstacle : la propension des entreprises à sous-estimer l’importance des personnes qui permettront et accompagneront cette transformation, tant en interne (les collaborateurs) qu’en externe (les partenaires).

Les collaborateurs, acteurs des projets de transformation digitale

Frédéric Chapuis, directeur de projets transformation des fonctions support chez Argon Consulting : Il est primordial de toujours placer les collaborateurs au cœur des projets de transformation digitale. Plutôt que de mettre en place des projets qui descendent «top-down» comme nous l’avons beaucoup connu ces dernières années, il convient aujourd’hui de placer les collaborateurs et utilisateurs au cœur du sujet, qu’ils soient les véritables ambassadeurs et relais du projet. Grâce à cette approche, l’entreprise s’assure que les solutions mises en œuvre répondent à leurs besoins, facilitant et accélérant ainsi l’appropriation.

Thibaut Charmeil, directeur général d’Ayming : Dans le cadre de notre propre transformation digitale, notre enjeu était d’embarquer et de convaincre des consultants qui ont parfois jusqu’à 30 années d’expérience professionnelle. Il fallait pour cela leur donner une vision sur leur métier de demain, sur sa digitalisation, etc. La première démarche consiste à projeter une vision pour l’ensemble des collaborateurs de ce que peut être un métier de conseil dans un environnement plus digitalisé, intégrant des algorithmes d’intelligence artificielle, de l’analyse des données, de la prédictibilité… Par exemple, dans le domaine des RH, l’absentéisme est un enjeu devenu majeur pour les dirigeants. Nous avons une practice importante de conseil en prévention de l’absentéisme et du développement de l’engagement des collaborateurs. Notre rôle demain sera d’être capable de développer des modèles prédictifs de l’absentéisme chez nos clients, alors qu’aujourd’hui il s’agit plutôt de comprendre et d’analyser l’existant. L’idée est donc de projeter l’évolution du métier en partant de la valeur ajoutée attendue pour le client qui, in fine, justifie l’effort qu’exige une démarche de transformation.

Frédéric Chapuis : Pour mieux se projeter dans leur transformation digitale, les entreprises tendent, dans un premier temps, à se renseigner notamment vis-à-vis de ce qui est réalisé dans leur secteur d’activité, ce qui leur donne généralement un «vernis» de ces technologies. Les projets digitaux sur la fonction financière s’articulent essentiellement autour des initiatives de robotisation, d’ERP cloud/finance, voire intelligence artificielle. C’est le rôle des consultants ensuite de décliner les cas d’usage dans leur contexte et environnement. Cette démarche se prête particulièrement aux projets de robotisation et qui touchent également à l’efficience des organisations. Dans les cas de mise en œuvre des ERP cloud/finance, ces derniers sont davantage packagés avec des méthodologies plus top-down.

Diffuser la culture et l’expérience digitale

Thibaut Charmeil : La culture digitale doit être diffusée dans l’organisation. Il faut l’afficher, la projeter, communiquer dans l’entreprise sur sa dimension stratégique, cruciale et indispensable à la pérennité et au développement de l’entreprise. Ensuite, plus finement, il faut identifier chaque projet de digitalisation, le mener à bien et impliquer pleinement les collaborateurs, pour en faire un succès. Il faut que ce soit concret. Pour mobiliser les équipes, il existe un certain nombre de méthodes, telles que des ateliers digitaux, la création d’un shadow Comex avec des jeunes millenials qui peut permettre de faire émerger des idées nouvelles, etc. Le digital et les modes de développement des projets digitaux sont des modèles agiles, qui désilotent les organisations. Ces projets sont par nature construits en petites équipes intégrant de manière non hiérarchique des collaborateurs provenant de différents niveaux dans l’organisation. Il s’agit là véritablement d’innovation managériale, qui met l’humain au cœur des projets.

Frédéric Chapuis : Aujourd’hui, le collaboratif est une organisation différente avec plus d’autonomie donnée aux collaborateurs, par exemple au travers d’une plateforme d’échanges internes ou au moyen de la gamification (travail de groupe et d’échange), etc. Désormais, la mise en place des nouvelles technologies ne peut se faire qu’avec les initiatives et la validation des collaborateurs qui utiliseront la solution au quotidien. Ce qui n’était pas toujours le cas auparavant avec des approches plus centralisées. Concrètement, accompagner le changement d’un projet robotique consiste d’abord à définir avec chaque collaborateur ce que le robot prendra en charge dans les activités quotidiennes, en quoi cela lui permettra de libérer du temps et gagner de la valeur.

Thibaut Charmeil : En faisant faire par le robot tout ce qui est à faible valeur ajoutée, nous libérons du temps au collaborateur pour les tâches plus intéressantes et valorisantes. En ce sens, on peut dire que cela contribuera à «réhumaniser» le travail. Les robots nécessitent, en outre, d’autres compétences et expertises qu’il va falloir développer. Il faut par exemple savoir le faire évoluer, le paramétrer, le reparamétrer en fonction de ce que donne sa production effective et préparer les équipes à travailler conjointement avec eux.

Frédéric Chapuis : Le collaborateur est également attendu en amont dans l’identification des tâches chronophages que le robot pourrait prendre en charge, afin qu’il puisse se consacrer à d’autres tâches. Il revient ensuite aux managers de réorganiser le temps ainsi gagné et de réallouer les collaborateurs sur d’autres missions. Contrairement à certaines idées reçues, ces projets de robotisation sont perçus beaucoup plus positivement par les opérationnels car libérateurs de tâches ingrates et rébarbatives.

Capitaliser sur les bonnes compétences

Thibaut Charmeil : Depuis toujours nos consultants travaillent sur Excel. Désormais, nous allons plus loin avec des outils nettement plus puissants fonctionnant sur des modèles algorithmiques. Il faut donc les former, mais aussi intégrer des spécialistes des data sciences. Dans le cadre de notre transformation, nous avons fait ce choix en recrutant des data scientists pour créer une équipe qui va réaliser des modèles d’algorithmes dans un premier temps puis former nos consultants à ces méthodologies de travail et à ces nouveaux outils.

Frédéric Chapuis : Sur les nouvelles technologies, ce n’est pas toujours facile de recruter et de trouver les bons profils, avec les bonnes compétences (data science, robotique, ERP cloud). Toute la difficulté consiste à avoir le bon mix entre les experts techniques qui ne connaissent pas le métier et les experts métiers qui ne connaissent pas la technique. A cet effet, les entreprises ont souvent recours à quelques recrutements bien ciblés d’experts techniques, ensuite chargés des formations internes auprès des métiers.

Mettre en œuvre les conditions de travail nécessaires à la transformation digitale

Thibaut Charmeil : La mise en place de ces projets de transformation digitale nécessite plus de flexibilité de la part des collaborateurs. Nous avons par exemple des clients qui veulent rester en contact en permanence avec leurs fournisseurs, et obtenir des réponses instantanées. Ils attendent donc une disponibilité importante, qui peut poser un problème en termes de qualité de vie au travail des collaborateurs. Pour être en mesure de satisfaire ce client, il faut outiller les salariés en conséquence. En contrepartie, on propose davantage de flexibilité, par exemple sur les horaires de travail, le télétravail, etc. Il revient aux managers de mettre en place cette organisation : on parle là de change management. Il est donc important de former les managers à ces nouvelles méthodes de travail. Nous avons d’ailleurs créé l’Académie de l’engagement, qui a pour objectif de former les managers de nos clients sur la manière d’engager leurs propres salariés au quotidien, de savoir gérer toutes ces injonctions contradictoires, et d’être en mesure de garantir la qualité de vie au travail tout en assurant un bon niveau de service.

Frédéric Chapuis : Les technologies nécessitent de mobiliser les opérationnels très en amont sur les projets pour s’assurer de l’appropriation et de la définition des cas d’usage. C’est notamment le cas sur les robots. La mise en œuvre des ERP Cloud est pour sa part plus itérative. Les utilisateurs sont formés très tôt et formeront ensuite les autres collaborateurs. Force est donc de constater qu’aujourd’hui, nous sommes beaucoup plus collaboratifs, ne serait-ce que dans la façon de mettre en œuvre les technologies, de former et d’accompagner le changement. Ce sont les technologies modernes qui permettent cette approche itérative et collaborative car beaucoup plus faciles à adopter par tous, se rapprochant volontairement des technologies de tous les jours type Internet, réseaux sociaux Facebook, Twitter, etc.

Les ressources externes

Thibaut Charmeil : Les grandes entreprises et ETI peuvent trouver au sein de leur écosystème des start-ups qui développent des solutions disruptives avec des méthodologies agiles, leur permettant de tester des nouveaux business de façon beaucoup plus rapide que ce qu’elles pourraient réaliser elles-mêmes. Les ETI sont en effet centrées sur le delivery de leur modèle opérationnel tel qu’il existe. En travaillant avec des partenariats externes, elles font émerger de nouvelles idées qui peuvent changer la donne pour leur modèle économique et organisationnel. Il s’agit d’une approche que nous avons nous-mêmes adoptée chez Ayming. Par exemple, nous venons de développer un chatbot fonctionnant avec une intelligence artificielle pour répondre aux questions des salariés des entreprises sur le prélèvement à la source, afin de désengorger les ressources RH. Pour cela, nous avons noué un partenariat avec une start-up qui apporte la technologie. De notre côté, nous apportons l’expertise métier RH et celle du prélèvement à la source. Nous mettons en place ce type de partenariat sur chacune de nos lignes métiers. Nous faisons du codéveloppement, testons les solutions auprès de nos clients, etc. Parfois, il nous arrive de réaliser des développements en interne ou de prendre une participation dans une start-up, dès lors que nous jugeons que le produit ou service ainsi créé peut être stratégique pour nous et au cœur de notre proposition de valeur. Toute entreprise qui mène sa transformation digitale doit se poser cette question du partenariat, du codéveloppement ou de l’internalisation de sa R&D.

Frédéric Chapuis : La réflexion doit être la même dans le domaine des data sciences. Aujourd’hui, il existe des entreprises sur le marché capables d’analyser de très importants volumes de données. Mieux vaut parfois s’appuyer sur leur expertise pour analyser ses propres données plutôt que d’investir lourdement dans les technologies et compétences ad hoc.

Thibaut Charmeil : Tout dépend du cœur de métier de l’entreprise. Chez Ayming, les data sciences et l’analyse des données sont tellement centrales que nous avons décidé de le faire nous-mêmes en interne. Nous avons donc recruté plusieurs data scientists et créé une business line autour de ces compétences.

Frédéric Chapuis : Sur les sujets de niches ou d’expertises, l’entreprise va plutôt aller chercher des partenaires technologiques externes, tester leurs solutions, faire du codéveloppement ou de la cocréation. En revanche, sur des technologies plus éprouvées sur le marché avec du contenu plus standardisé et sur lesquelles se positionnent déjà plusieurs éditeurs comme par exemple les ERP Cloud, l’entreprise sera davantage amenée à faire des appels d’offres, à mettre en concurrence les différents acteurs pour ensuite s’engager sur des partenariats plus classiques.

Thibaut Charmeil : C’est alors que les sociétés de conseils, de par leur neutralité par rapport aux technologies disponibles, peuvent apporter un regard d’expert sur le sujet de la digitalisation du process, quel qu’il soit (finance, achat, RH, etc.). Dans le cadre de cette démarche, nous avons pour vocation de bien comprendre le contexte client, ses enjeux, son niveau de maturité par rapport au digital pour ensuite l’orienter sur les bons outils, vérifier que son organisation est prête à les intégrer et projeter ces transformations dans la durée, à savoir l’aider à choisir une solution qui soit évolutive.

Frédéric Chapuis : En fonction du projet, le retour sur investissement n’est pas toujours quantifiable notamment quand les bénéfices sont avant tout qualitatifs. Nous pouvons, cependant, nous engager en termes de délais, de respect du contenu des livrables, etc. En termes de risques, sur des contrats types ERP Cloud, ils sont généralement portés par le partenaire intégrateur, y compris la formation des utilisateurs. Peu d’éditeurs prennent en charge ces risques.

Transformation digitale de la fonction achat

Thibaut Charmeil : Sur un projet de digitalisation des achats, une entreprise peut engager une robotisation de certains process tels que la commande, la réception, le paiement («procure to pay», P2P) pour lesquels plusieurs éditeurs proposent des solutions. Il s’agit d’un des éléments sur lesquels nous pouvons gagner en productivité, diminuer les risques d’erreurs. Dans le cadre de cette démarche, nous pouvons quantifier les gains de productivité de cette digitalisation. Il est également possible de digitaliser la partie «sourcing to contract», S2C, identifier les fournisseurs, les rationaliser, négocier. Plusieurs éditeurs opèrent également sur ce marché. Mais il faut savoir, comme l’a montré notre Baromètre sur la digitalisation des achats publié cet été, que les ETI ne sont encore que 2,5 % à être outillées sur l’ensemble du processus, dont 50 % ont des outils obsolètes. Elles ont besoin d’accélérer leur transformation. L’étape suivante concerne le SRM («supplier relationship management») pour les entreprises qui pilotent véritablement leur relation fournisseur en intégrant des éléments de qualité venant des opérationnels. Cela permet de faire tendre les fournisseurs vers une excellence, sur un certain nombre d’indicateurs et de sécuriser le fonctionnement de l’entreprise. Tout ces process sont mesurables et concrets. Le sens de cette digitalisation sera de permettre aux fonctions achats de l’entreprise d’apporter beaucoup plus de valeur car un certain nombre de fonctions à faible valeur ajoutée seront digitalisées, comme par exemple valider les commandes, les paiements, automatiser les appels d’offres, les analyses, le pilotage, etc. En gagnant ainsi du temps, les achats peuvent alors se consacrer à d’autres tâches, comme réfléchir à la manière dont ils peuvent intégrer plus tôt leurs fournisseurs dans leur process de conception, capturer leurs innovations plus rapidement et ainsi, être plus différenciant sur le marché. Les achats peuvent potentiellement intervenir sur le design d’un produit et apporter un avantage compétitif à l’entreprise.

Frédéric Chapuis : Sur des projets de robotisation, il convient d’être positif. L’objectif des entreprises qui s’engagent dans ces projets n’est pas tant de réduire la masse salariale mais d’être innovant et de redonner du dynamisme dans des services fonctionnels pas toujours très enclins aux changements en profondeur. C’est à cette fin qu’une entreprise de services nous a sollicités sur un projet de robotisation de sa fonction support et finance. Nous avons commencé par définir une équipe d’experts interne/externe, puis nous les avons accompagnés dans la réflexion sur le projet qui s’est déroulé dans plusieurs régions test, la définition des cas pratiques, l’identification des tâches à automatiser, etc. Ces cas d’usage ont été testés et ensuite déployés à plus grande échelle sur l’ensemble du territoire.

Thibaut Charmeil : Dans le cadre d’un projet de transformation digitale, il est important que les collaborateurs soient acteurs du changement, qu’ils intègrent les nouvelles technologies et développent ainsi leurs expertises et leur employabilité tout en participant à la performance de l’entreprise. Il est d’autre part important que le projet amène de la valeur ajoutée pour tout le monde, (le client, l’entreprise et le collaborateur) et qu’il soit conduit de manière collective afin de faire émerger des méthodologies agiles, favorisant l’innovation et la différenciation sur un marché de plus en plus concurrentiel.

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