La lettre de l'immobilier

Lettre de l'immobilier - Septembre 2020

Contrats privés de construction : nouveaux enjeux juridiques et fiscaux liés à l’épidémie de Covid-19

Publié le 11 septembre 2020 à 16h08

«Les marges de renégociation dépendent essentiellement des stipulations contractuelles.»

Par Christophe Frionnet, avocat associé en fiscalité. Il conseille notamment les entreprises dans l’ensemble de leurs opérations. Il est chargé d’enseignement en matière de fiscalité immobilière à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. christophe.frionnet@cms-fl.com / et Grégoire Marin, avocat en droit immobilier. Il intervient notamment en matière de ventes et d’acquisitions immobilières (actifs ou sociétés), de baux commerciaux et de contrats de construction. gregoire.marin@cms-fl.com

Malgré l’assouplissement progressif des contraintes liées à la situation sanitaire, il est complexe de réaliser des travaux dans des conditions analogues à celles préalables à l’épidémie de Covid-19. Dans ce contexte, les parties à un contrat privé de construction se trouvent confrontées à de nouveaux enjeux juridiques sans omettre des problématiques fiscales dans le cadre de leurs (re)négociations, portant notamment sur les évolutions possibles des délais et du prix applicables aux travaux.

Des chantiers confrontés à de nouvelles contraintes fluctuantes

Ainsi qu’il résulte désormais de l’article 1er du décret n°2020-860 du 10 juillet 2020 pour faire face à l’épidémie de Covid-19, les mesures dites «barrières» doivent être observées «en tout lieu et en toute circonstance» : règles de distanciation sociale (incluant la distanciation physique d’au moins un mètre entre deux personnes) et mesures d’hygiène (notamment le port du masque si les règles précédentes ne peuvent pas être respectées).

Les modalités d’application aux chantiers de construction de ces nouvelles règles sont détaillées et explicitées par le «Guide de préconisations de sécurité sanitaire pour la continuité des activités de la construction en période d’épidémie de Coronavirus SARC-COV-2» publié par l’OPPBTP (Organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et des Travaux Publics) et mis à jour le 8 juillet 2020.

Même s’il ne s’agit que de préconisations sans valeur règlementaire, ce guide sert de référence aux acteurs de la construction pour déterminer les conditions de déroulement des chantiers et implique de nombreuses contraintes tant dans l’organisation du chantier que dans l’exécution des tâches y afférentes.

Surtout, ces nouvelles contraintes liées à l’épidémie de Covid-19 évoluent en fonction de la réalité de la circulation du virus et des connaissances scientifiques, sans qu’il soit possible de connaître avec certitude les règles qui s’imposeront sur les chantiers dans les mois à venir.

Des impacts sur les délais et sur le prix initialement convenus dans les contrats passés

Ces nouvelles contraintes impactent de facto les délais et le prix de réalisation des travaux.

Pour les contrats en cours lors de l’apparition de l’épidémie, l’entreprise en charge des travaux cherche généralement à proroger les délais et à augmenter le prix initialement convenus, ce que le maître d’ouvrage veut éviter.

Les marges de renégociation dépendent essentiellement des stipulations contractuelles : causes légitimes de suspension des délais de réalisation des travaux prévues, encadrement contractuel éventuel de la force majeure, renonciation éventuelle à l’imprévision prévue à l’article 1195 du Code civil, éléments inclus dans le prix, etc.

Néanmoins, en toutes hypothèses, l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 suspend ou décale automatiquement les effets des sanctions contractuelles prévues dans les contrats en cours jusqu’au 23 juin 2020 en cas de défaillance d’une partie (par exemple : pénalités en cas de retard dans l’achèvement des travaux) pour une durée pouvant aller jusqu’à 104 jours calendaires (soit la période entre le 12 mars et le 23 juin 2020), dépendant de la date de signature du contrat (antérieure ou non au 12 mars 2020) et de la date d’exigibilité de l’obligation sanctionnée (antérieure ou non au 23 juin 2020).

Il en est de même si des enjeux fiscaux sont à la clé du point de vue de l’investisseur comme du promoteur. On sait par exemple que de nombreux dispositifs incitatifs sont soumis à une contrainte d’achèvement dans un certain délai (Pinel, Censi Bouvard). De même, un promoteur a pu prendre un engagement de cet ordre lors de l’achat du foncier, soit pour bénéficier d’une exonération de droits (cas des engagements de construire ou de revendre) soit pour faire bénéficier le cédant d’une économie fiscale (abattements exceptionnels en matière d’IR et de prélèvements sociaux ; réduction du taux d’IS).

S’agissant des délais imposés par la législation fiscale à l’égard de ces dispositifs incitatifs - et notamment ceux dans lesquels doivent être respectés des obligations ou des engagements reposant sur le contribuable, un professionnel ou le cessionnaire d’un bien ou d’un titre pour le bénéfice d’avantages fiscaux - la doctrine administrative (BOI-DJC-COVID19-10-24/06/2020) a admis que ces délais qui n’avaient pas expiré avant le 12 mars 2020 ont été, à cette date, suspendus jusqu’à la fin de la période juridiquement protégée, c’est à dire jusqu’au

23 juin 2020 inclus.

L’Administration accorde donc une prorogation automatique et générale de 104 jours calendaires qui s’applique à une liste de dispositifs expressément cités par le BOFIP sans, toutefois être exhaustive.

Des impacts sur les délais et sur le prix à encadrer dans les nouveaux contrats

Les nouvelles contraintes et incertitudes influent également de facto sur les négociations des parties au regard de la détermination et de la variation des délais et du prix applicables aux travaux dans les nouveaux contrats.

Généralement, le maître d’ouvrage voudra que les délais et le prix convenus contractuellement couvrent toutes les contraintes actuelles et futures liées à l’épidémie de Covid-19, tandis que l’entreprise de travaux voudra au contraire que les délais et le prix puissent évoluer en fonction des contraintes applicables au chantier.

Les parties aboutiront le plus souvent à une position de compromis, après avoir notamment négocié les trois principaux points suivants :

– causes légitimes de suspension des délais de réalisation des travaux

L’enjeu est de déterminer si l’épidémie de Covid-19 et ses conséquences (confinement total ou partiel, nouvelles contraintes réglementaires applicables aux chantiers, etc.) pourront ou non influer sur les délais de réalisation des travaux et, le cas échéant, d’encadrer cet impact. A ce titre, les parties pourront ou non déroger à la force majeure telle que prévue à l’article 1218 du Code civil («un évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur») ;

– éléments inclus dans le prix

Les parties devront déterminer le juste prix pour que toutes les contraintes règlementaires et recommandations d’organismes professionnels connues à la date de signature du contrat soient prises en charge par l’entreprise de travaux.

Le sort des évolutions des contraintes applicables fera quant à lui l’objet de plus âpres négociations et la prise en charge par l’entreprise des contraintes futures ne se fera généralement pas sans augmentation du prix initial ;

– encadrement de l’imprévision

L’article 1195 du Code civil permet une renégociation du contrat en cas de «changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat» qui «rend l’exécution excessivement onéreuse pour un partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque».

Sauf renonciation à ces dispositions, l’entreprise en charge des travaux pourrait tenter de renégocier les conditions initialement convenues en cas d’évolution des contraintes applicables au chantier.

Quels que soient les accords des parties, il ne peut être exclu que les évolutions de la situation sanitaire conduisent à l’adoption de nouveaux textes modifiant les effets des clauses contractuelles (comme l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 susmentionné). 


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