La lettre de l'immobilier

La lettre de l'immobilier - Septembre 2020

Vacance de l’immeuble : quels impacts fiscaux pour le bailleur ?

Publié le 11 septembre 2020 à 15h37

La situation sanitaire liée au Covid-19 a conduit l’Etat à prendre des décisions drastiques de fermeture des lieux ouverts au public afin de limiter la propagation de la pandémie. Ces fermetures ont pu entraîner des situations de vacance dont l’incidence économique est aisée à deviner pour le bailleur. Dans ce contexte, l’on ne peut qu’inciter celui-ci à se préoccuper également des impacts fiscaux de ces situations de vacance, afin de parer à d’éventuelles difficultés ou, le cas échéant, d’alléger certains coûts.

Par Armelle Abadie, avocat counsel en fiscalité. Elle conseille et assiste les entreprises, notamment en immobilier, dans l’ensemble des sujets relatifs à la TVA ainsi que dans le suivi et la gestion de contrôles fiscaux et de contentieux. armelle.abadie@cms-fl.com / Alexis Bussac, avocat counsel en fiscalité. Il intervient tant en conseil qu’en contentieux particulièrement en matière de taxe foncière et de CET. alexis.bussac@cms-fl.com / François Lacroix, avocat associé en fiscalité. Il intervient plus particulièrement dans les secteurs de la fiscalité immobilière, des services publics, des entreprises et des personnes morales publiques ou privées non lucratives. francois.lacroix@cms-fl.com / et Frédéric Gerner, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de conseil que de contentieux dans les questions relatives aux impôts directs, notamment celles liées aux restructurations intragroupes et à l’immobilier. frederic.gerner@cms-fl.com

Le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (EUS) interdisait tout déplacement et ordonnait la fermeture physique des locaux d’activités non essentielles. La mise en œuvre de ces mesures s’est traduite par une situation inédite de quasi-suspension de la vie économique, qui a eu de fortes répercussions sur le marché locatif et a pu entretenir ou générer des situations de vacance en raison des difficultés rencontrées par les preneurs.

Sur le plan de la TVA, l’on peut s’interroger sur le coût éventuel, en termes de régularisations, d’une vacance temporaire de l’immeuble pour le bailleur. 

Cette question est traitée par la jurisprudence communautaire et par la doctrine administrative en ce qui concerne les locaux nus à usage professionnel pour lesquels le bailleur a opté pour l’assujettissement des loyers à la TVA. La doctrine administrative (BOFIP TVA-CHAMP-50-10 n°180) précise expressément qu’aucune régularisation n’est exigible sur le fondement de l’article 207-III de l’annexe II au Code général des impôts (CGI) dans les situations où, pendant la durée de l’option, il est constaté une vacance temporaire des locaux nus à usage professionnel justifiée par des circonstances économiques étrangères à la volonté du bailleur, telles que le changement de locataire, pendant la période au cours de laquelle le bailleur effectue les diligences nécessaires à la recherche d’un nouveau locataire. 

C’est également ce que la Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de rappeler dans un arrêt du 28 février 2018 (aff. 672/16, Imofloresmira), rendu dans une affaire portant sur des locaux situés dans deux immeubles restés vacants pendant plus de deux ans, que le bailleur n’avait pas cessé de chercher à louer pendant cette période. La Cour confirme que cette situation n’entraîne pas de régularisation de la TVA antérieurement déduite dans le chef du bailleur. En effet, en application d’une jurisprudence constante (CJUE 29 février 1996, aff. 110/94, Inzo), lorsque l’Administration a admis la qualité d’assujetti à la TVA d’une société qui a déclaré son intention de commencer une activité économique imposable, ce statut ne peut plus lui être retiré avec effet rétroactif en raison de la survenance ou de la non-survenance de certains évènements, sauf en cas de situations frauduleuses ou abusives. 

Il en résulte que le fait qu’un immeuble soit inoccupé pendant une certaine durée n’interrompt pas l’affectation de l’immeuble aux fins de l’entreprise lorsqu’il est établi que le bailleur a toujours l’intention de continuer à exercer une activité de location soumise à la TVA et entreprend les démarches nécessaires à cet effet (conclusion de mandats, recherche de locataires, etc.). Toutefois, la doctrine administrative française va plus loin et considère que dans une situation où la vacance des locaux perdure et aboutit, en définitive, à une cessation de son activité imposable de location d’immeuble, le bailleur doit déclarer la perte de la qualité d’assujetti et procéder à une régularisation de la TVA antérieurement déduite lorsque cette cessation d’activité intervient avant le commencement de la dix-neuvième année qui suit celle de l’ouverture des droits à déduction. 

Précisons que cette solution a été transposée récemment aux locations de locaux (nus ou meublés) consenties à des exploitants d’établissements d’hébergement hôteliers ou para-hôteliers imposables de plein droit à la TVA en application de l’article 261 D-4-c du CGI (CAA de Bordeaux, 25 juin 2019, SCI Pastel Capital). 

Enfin, bien que la vacance temporaire de locaux n’entraîne pas une régularisation globale de la TVA ayant grevé la construction ou l’acquisition de ces biens par le bailleur, elle pourrait mécaniquement entraîner une dégradation des droits à déduction de ce dernier lorsque les locaux vacants qui génèrent normalement la perception de loyers en TVA sont situés dans un immeuble comportant d’autres locaux donnés en location exonérée.  

Certains propriétaires de locaux demeurés ou devenus vacants doivent également se préoccuper de l’incidence de cette situation sur les conditions d’imposition de leurs revenus ou bénéfices.

Ainsi par exemple : 

– En cas de départ d’une entreprise locataire non liée au bailleur sans paiement des loyers encore dus jusqu’à l’échéance contractuelle, le bailleur sera soumis, en fonction des modalités juridiques convenues lors de ce départ, soit au régime favorable de déduction des abandons de loyers créé par l’article 3 de la loi COVID 19 du 25 avril 2020, soit au droit commun fiscal impliquant qu’il justifie son absence de recours juridique à l’encontre du preneur pour ses engagements locatifs non tenus.

– Une vacance prolongée de logements sujets à une réduction d’impôt sur le revenu sur investissements locatifs devra conduire le bailleur, pour éviter la restitution de cet avantage fiscal, à introduire un rescrit destiné à le prémunir contre ce risque, et à étudier une révision à la baisse des loyers proposés, tenant compte du coût fiscal qui s’induirait de cette restitution à défaut de location dans les 12 mois du début de la vacance, pour proposer des loyers d’abord faibles puis susceptibles d’une révision haussière.

La question se pose également de l’impact des situations de vacance sur certains bailleurs soumis à un régime fiscal spécifique, qui repose notamment sur la perception de loyers. Ainsi, les SCI, SCPI, SIIC ou OPCI ne sont pas assujettis à l’IS, soit parce qu’ils sont fiscalement transparents, soit parce qu’ils en sont exonérés, à condition qu’ils aient une activité principalement ou exclusivement foncière, caractérisée par la perception de revenus locatifs. 

En soi, la vacance, réduisant temporairement la détention de l’immeuble à un acte purement patrimonial, ne devrait pas dénaturer l’activité de ces entités et la conformité de celle-ci à leur objet social. Ne pas percevoir de loyer ne signifie pas développer une activité autre que foncière. Même si cette absence de perception de loyer est intrinsèquement en contradiction avec l’objectif poursuivi par ces entités, elle ne menacera pas en elle-même leur régime fiscal et se contentera de générer d’autres problématiques, liées notamment à la valorisation des actifs ou à la dégradation des distributions normalement promises à leurs associés. 

L’entité propriétaire de l’immeuble devra toutefois veiller à pouvoir démontrer que la recherche de nouveaux locataires n’a pas été interrompue. L’absence de perception de loyers conjuguée à un changement de perspective pour l’immeuble (mise en vente, en particulier) pourrait en effet conduire l’administration fiscale à considérer que l’actif a cessé d’être affecté à une activité locative et se trouve désormais à la source d’une activité commerciale, ce qui pourrait nuire au régime fiscal particulier de l’entité bailleur.

La vacance des locaux induite par l’EUS et ses répercussions économiques ont enfin des effets en matière de fiscalité locale, sous différents angles (taxe foncière, cotisation foncière des entreprises (CFE) et cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE)).

En matière de taxe foncière sur les propriétés bâties, l’article 1389-I du CGI prévoit la faculté pour les contribuables d’en solliciter le dégrèvement en cas de vacance d’une maison normalement destinée à la location à usage d’habitation ou d’inexploitation d’un immeuble utilisé par le contribuable lui-même à usage commercial ou industriel. 

Le dégrèvement est subordonné à la triple condition : i) que la vacance ou l’inexploitation soit indépendante de la volonté du contribuable, ii) qu’elle ait une durée minimale de trois mois, et iii) qu’elle concerne la totalité de l’immeuble ou une partie susceptible d’exploitation ou de location séparée.

Ce texte pourrait être invoqué tant en ce qui concerne les locaux d’habitation n’ayant pas trouvé preneur que les locaux professionnels dont l’activité aurait cessé en raison de la mise en œuvre de ce dispositif. Afin de pouvoir s’en prévaloir, le contribuable devra démontrer que les restrictions réglementaires liées à l’EUS s’imposant à lui sont indépendantes de sa volonté et constituent un obstacle inéluctable à la poursuite de l’exploitation pendant au moins trois mois.

Le dégrèvement serait accordé à partir du premier jour du mois suivant celui du début de la vacance ou de l’inexploitation, jusqu’au dernier jour du mois au cours duquel la vacance ou l’inexploitation a pris fin.

S’agissant de la CFE, la situation de vacance, et plus généralement d’inexploitation des locaux, peut entraîner des dégrèvements en application des deux dispositifs suivants.

Le premier dispositif prévu à l’article 1478-I- alinéa 2 CGI, lequel relève du droit commun, prévoit qu’en cas de cessation d’activité en cours d’année, la CFE n’est pas due pour les mois restant à courir. Il permet aux entreprises qui auront fermé définitivement un établissement de bénéficier d’un dégrèvement de CFE au prorata temporis. Ce dispositif suppose qu’il n’y ait pas eu de cession de l’activité exercée dans l’établissement ni de transfert d’activité. 

La troisième loi de finances rectificative pour 2020 (article 11 de la loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020) a instauré un second dispositif, qui est spécifique à la crise sanitaire, en offrant la possibilité pour les collectivités locales bénéficiaires de la CFE d’accorder exceptionnellement un dégrèvement de CFE 2020 à hauteur des 2/3, dont 50 % sera pris en charge par l’Etat. Toutefois, les délibérations des collectivités locales devaient être adoptées pour le 31 juillet 2020 au plus tard, de sorte qu’il est très probable que ce mécanisme sera applicable dans peu de communes.

Le décret n° 2020-979 du 5 août 2020 précise les secteurs éligibles au dégrèvement (essentiellement tourisme, transport, restauration, activités culturelles et de loisirs, événementiel).

En ce qui concerne la CVAE des bailleurs, 

une situation de vacance prolongée des locaux devrait mécaniquement entraîner une diminution de la valeur ajoutée servant à son calcul par rapport aux années antérieures en raison de la perte consécutive des loyers. Les contribuables devront donc veiller à l’applicabilité du dispositif de dégrèvement de la CET pour plafonnement en fonction de la valeur ajoutée prévu à l’article 1647 B sexies du CGI. 

Globalement, en cas de situation de vacance créée par la crise sanitaire, le bailleur aura donc tout intérêt à en analyser attentivement les conséquences sur le plan fiscal, et à constituer un dossier lui permettant de bénéficier des mesures d’allègement existantes, ou d’éviter l’altération de son régime fiscal.


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