La lettre de l'immobilier

Février 2018

Le régime fiscal des «cessions de commercialité»

Publié le 9 février 2018 à 14h53

Elisabeth Ashworth, Gaëtan Berger-Picq et Frédéric Gerner

Le changement d’affectation d’un immeuble de manière générale, et la transformation d’un immeuble à usage d’habitation en un immeuble à usage de bureau en particulier, est une opération qui n’est pas neutre au plan fiscal et qui mérite une analyse attentive de ses modalités et conséquences.

Par Elisabeth Ashworth, avocat associé, responsable des questions de TVA au  sein du département de doctrine fiscale. elisabeth.ashworth@cms-fl.com

Gaëtan Berger-Picq, avocat associé en fiscalité. Il conseille et assiste les entreprises, notamment en immobilier, dans l‘ensemble des sujets relatifs à la TVA et à la taxe sur les salaires ainsi que dans le suivi et la gestion des contrôles et contentieux fiscaux.gaetan.berger-picq@cms-fl.com

et Frédéric Gerner, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de conseil que de contentieux dans les questions relatives aux impôts directs, notamment celles liées aux restructurations intra-groupes et à l’immobilier. frederic.gerner@cms-fl.com

En matière de TVA, le changement d’affectation d’un immeuble par une entreprise est susceptible en lui-même d’entraîner certaines conséquences. D’une part, une régularisation de la taxe qui avait grevé sa construction ou son achèvement peut être exigible si le changement intervient dans un délai de vingt ans et que l’activité à laquelle l’immeuble est nouvellement affecté est soumise à un régime différent de celle exercée à l’origine. Et, d’autre part, les travaux rendus nécessaires pour le nouvel usage peuvent, s’ils sont importants, aboutir à la construction d’un immeuble neuf.

C’est toutefois le sort fiscal de l’éventuel droit de commercialité généré par un changement de destination de l’immeuble qui retient particulièrement l’attention.

La «cession de commercialité» est effectuée par le propriétaire d’un immeuble à usage de bureaux qu’il transforme en immeuble à usage d’habitation (généralement appelé «fonds compensateur»), au profit d’un opérateur envisageant de procéder au changement d’affectation inverse (propriétaire du «fonds compensé»).

Pour comprendre, précisons que l’article L.631-7-1 du Code de la construction et de l’habitation (ci-après CCH) dispose que «l’autorisation préalable au changement d’usage est délivrée par le maire de la commune dans laquelle est situé l’immeuble, après avis, à Paris, Marseille et Lyon, du maire d’arrondissement concerné. Elle peut être subordonnée à une compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage.

L’autorisation de changement d’usage est accordée à titre personnel. Elle cesse de produire effet lorsqu’il est mis fin, à titre définitif, pour quelque raison que ce soit, à l’exercice professionnel du bénéficiaire. Toutefois, lorsque l’autorisation est subordonnée à une compensation, le titre est attaché au local et non à la personne. Les locaux offerts en compensation sont mentionnés dans l’autorisation qui est publiée au fichier immobilier ou inscrite au livre foncier».

Juridiquement, il n’y a jamais véritablement de cession de droit par le propriétaire du fonds compensateur au profit du fonds compensé, car le droit au changement d’affectation du fonds compensé est directement accordé par l’autorité administrative. Pour autant, le flux financier entre les propriétaires des fonds se justifie par le transfert de valeur du fonds compensateur vers le fonds compensé. Economiquement, ce mécanisme est donc assimilable à celui d’une cession.

Puisque l’engagement du propriétaire du fonds compensateur est indispensable à ce transfert de valeur et que ce dernier a un caractère définitif une fois réalisés les travaux de transformation du fonds compensateur, la situation est très proche de celle d’une cession de droit réel immobilier.

L’autonomie du droit fiscal et l’approche souvent plus économique des situations rendent raisonnable d’analyser fiscalement la compensation prévue par l’article 631-7-1 du CCH comme la cession d’un droit réel immobilier.

TVA

Du point de vue de la TVA, dès lors que cette opération repose sur un engagement d’affectation pris par le propriétaire du fonds compensateur vis-à-vis de celui du fonds compensé, l’assujettissement ne fait pas de doute lorsque le «cédant» agit dans le cadre d’une activité économique indépendante.

Si l’on retient la qualification de droit réel immobilier, la «cession» suit le régime du bien immeuble auquel les droits se rapportent, conformément à l’article 257, I, 1° du Code général des impôts (CGI), la cession d’un immeuble étant exonérée lorsqu’il est achevé depuis plus de cinq ans, sauf taxation sur option du vendeur.

Il est vrai que la réponse ministérielle Martin (n° 20381 JOAN, 12 avril 1999, p. 2205) concluait à une taxation à la TVA «ordinaire», alors que la qualification en droit réel immobilier aurait alors conduit à un assujettissement à la TVA «immobilière», dans les conditions de l’article 257-7 du CGI. L’analyse fiscale était donc implicitement mais nécessairement celle d’un droit personnel, assimilé à une prestation de services. Toutefois, la réglementation juridique alors en vigueur prévoyait expressément que les dérogations administratives à l’interdiction de changement d’usage des locaux d’habitation étaient accordées à titre personnel. Ce n’est qu’à partir de l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2005-655 du 8 juin 2005 que l’autorisation subordonnée à une compensation a été attachée au local et non à la personne. La réponse Martin ne parait donc plus d’actualité.

Droits d’enregistrement et taxe de publicité foncière

Au regard des droits d’enregistrement et de la taxe de publicité foncière, la «cession de commercialité» se trouve ainsi logiquement soumise aux droits applicables aux mutations d’immeubles :

­- le droit de vente d’immeuble est dû au taux normal si le fonds compensateur est une construction achevée depuis plus de cinq ans ;

­- la taxe de publicité foncière au taux réduit s’applique si le fonds compensateur est une construction achevée depuis moins de cinq ans.

Dans un tel cadre toutefois, l’engagement de construire un immeuble neuf (article 1594 0G A du CGI) apparait comme une alternative intéressante, permettant de réduire la taxation au droit fixe de 125 euros lorsque le propriétaire du fonds compensé est un assujetti qui poursuit la réalisation d’un immeuble neuf.

Impôt sur les bénéfices

Au regard de l’impôt sur les bénéfices, enfin, le Conseil d’Etat vient récemment de se prononcer sur le traitement, chez le propriétaire du fonds compensé, de l’indemnité versée au propriétaire du fonds compensateur dans un sens qui semble cohérent, ou du moins n’est pas en contradiction, avec l’analyse développée ci-avant en matière de TVA et de droits de mutation.

La question se posait, dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat (21 juillet 2017, n° 395457, société Cidinvest), de savoir si l’indemnité s’analysait comme une charge ou comme une immobilisation, dans le contexte particulier d’une société sollicitant une autorisation de changement d’usage en vue d’installer son siège social dans un immeuble parisien à usage d’habitation. Ce contexte rendait obligatoire la compensation mais pas nécessairement l’indemnisation de celle-ci. Le Conseil d’Etat, constatant que l’autorisation administrative demandée est attachée au local et non à la personne de son bénéficiaire, et que l’indemnité constitue un coût directement engagé pour la mise en état d’utilisation de l’immeuble, conclut assez logiquement que celle-ci constitue une immobilisation et non une charge déductible : elle s’ajoute donc au prix de revient de l’immeuble objet du changement d’affectation, dont elle a pour effet d’accroître la valeur.

Cette analyse est par ailleurs en conformité avec l’analyse développée au plan comptable en septembre 2013 par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, selon laquelle l’indemnité a la nature d’un actif puisque cette dépense, attachée à l’immeuble, est identifiable et a une valeur économique positive pour l’entreprise qui la verse.


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