La lettre de l'immobilier

Décembre 2014

Cessions de biens démembrés : comment déterminer le redevable de l’impôt et l’assiette imposable ?

Publié le 28 novembre 2014 à 11h58    Mis à jour le 28 novembre 2014 à 16h03

Richard Foissac, avocat associé et Pierre Carcelero, avocat

Les mesures fiscales de ces dernières années n’ont pas permis de trancher certaines difficultés rencontrées en cas de cession de biens démembrés ; de nouvelles sont même apparues. Nous présentons ici les principaux écueils fréquemment rencontrés.

Par Richard Foissac, avocat associé, spécialisé en fiscalité.

Il traite notamment des dossiers d’acquisition et de restructuration de groupes immobiliers cotés ou non cotés et les conseille sur leurs opérations. Il est chargé d’enseignement en droit fiscal aux Universités de Paris I et de Nice Sophia-Antipolis.

et Pierre Carcelero, avocat spécialisé en fiscalité.

Il traite notamment des dossiers d’acquisition et de restructuration de groupes immobiliers cotés et non cotés et les conseille sur leurs opérations. Il est chargé d’enseignement en droit fiscal à l’Université de Montpellier.

Qu’il s’agisse de réformer ou de lutter contre l’optimisation fiscale, le régime d’imposition des plus-values réalisées par des personnes physiques a connu de nombreuses modifications, parfois votées sans examen préalable approfondi.

Le législateur aurait pu saisir l’occasion de lever certaines interrogations pesant sur le traitement d’opérations de cessions de biens démembrés ; nous constatons à l’inverse l’émergence de nouvelles problématiques.

Nous nous proposons de rappeler, dans le contexte propre aux investissements immobiliers, les principales difficultés afférentes à l’identification du redevable de l’impôt et à la détermination du revenu imposable dans des situations courantes telles que la cession de titres de sociétés immobilières ou la constitution d’un usufruit temporaire.

Les principes exposés sont, sauf exception, transposables aux prélèvements sociaux.

Cession de titres de sociétés immobilières assujetties à l’impôt sur les sociétés1

Une jurisprudence établie2 permet de définir le redevable de l’impôt établi dans les conditions visées aux articles 150-0 A et suivants du Code général des impôts (CGI).

En cas de cession isolée de l’usufruit ou de la nue-propriété d’un bien, le redevable de l’impôt est, logiquement, le cédant.

En cas de cession de la pleine propriété réalisée conjointement par l’usufruitier et le nu-propriétaire, l’impôt est alors dû :

– par l’usufruitier et le nu-propriétaire, à proportion de leurs droits, si le produit de la vente est réparti entre eux3 ;

– par le nu-propriétaire si le produit de la vente est remployé dans un bien démembré4 ;

– par l’usufruitier s’il bénéficie d’un quasi-usufruit sur le produit de la vente5.

Dans ces deux dernières situations, ces principes6 désignent le redevable de l’impôt mais les règles relatives à son assiette n’intègrent qu’imparfaitement les caractéristiques des droits cédés.

L’administration fiscale a proposé des solutions quant à la détermination du prix de revient des biens cédés7, mais ces commentaires ne fixent pas la réglementation applicable.

En outre, la réglementation ne précise pas si le revenu imposable doit être déterminé distinctement pour les droits d’usufruit et de nue-propriété ou bien si ce revenu doit être déterminé globalement au titre de l’ensemble des droits portant sur le bien cédé.

Prenons l’exemple de l’annulation par une société d’une partie de ses propres titres démembrés à la suite de la donation de leur nue-propriété, les donateurs-fondateurs s’étant réservé l’usufruit. Si la société dispose de réserves importantes, les sommes réparties à ses associés dans le cadre de la liquidation constitueront pour l’essentiel des revenus distribués au sens des dispositions de l’article 112 du CGI.

Au titre de la nue-propriété, la valeur de donation permettra de limiter le montant du revenu imposable conformément aux dispositions de l’article 161 du CGI ; une moins-value pourrait même, selon le cas, être constatée.

S’agissant de l’usufruit8, le prix de revient retenu sera limité à une quote-part de l’investissement initial. Le boni de liquidation, en principe imposable selon le régime des dividendes, pourrait être limité s’il est admis de tenir compte du prix de revient global des droits démembrés et notamment, des droits de mutation supportés lors de la transmission de la nue-propriété.

Dans de telles situations, les parties à la cession auront intérêt à examiner par anticipation l’opération envisagée et à mettre en œuvre les modalités permettant de retenir la solution la plus favorable.

Cession d’immeubles ou de parts de SCI non IS9

Depuis la réforme de 2004, les plus-values de cession d’immeubles ou de parts de sociétés immobilières non assujetties à l’impôt sur les sociétés sont soumises à une imposition proportionnelle et quasi libératoire.

Vis-à-vis de l’Administration, l’impôt est davantage afférent au bien cédé qu’aux cédants et elle se préoccupe peu de la répartition de la charge fiscale entre les intéressés.

La contribution exceptionnelle de 3 % ou 4 % visée à l’article 223 sexies du CGI impose toutefois, en cas de cession d’un bien démembré, de déterminer si la plus-value réalisée sera rattachable à l’usufruitier ou au nu-propriétaire10.

Les principes précités pourraient être transposés mais, en l’absence de jurisprudence arrêtée, des doutes persistent, selon les situations, sur l’analyse à retenir en fonction des circonstances.

Les parties à la cession trouveront ici encore intérêt à procéder à un examen circonstancié de leur projet afin de retenir les modalités optimales de mise en œuvre.

Première cession à titre onéreux d’un usufruit temporaire

Le législateur a souhaité s’opposer aux opérations d’optimisation consistant à céder l’usufruit temporaire de biens (immeubles ou parts de SCI notamment) tout en bénéficiant en particulier du régime des plus-values immobilières (potentiellement exonérées selon la durée de détention des biens) au lieu de percevoir des revenus relevant de l’imposition au barème progressif.

Le nouvel article 13-5 du CGI vise dans ce but à soumettre à l’impôt progressif, sans préjudice des prélèvements sociaux, «le produit résultant de la première cession à titre onéreux d’un même usufruit temporaire».

En l’absence de précisions sur la détermination de l’assiette imposable, ces dispositions pourraient rendre imposable le prix (ou la valeur) de cession de l’usufruit, sous déduction des seules charges liées à la cession.

Cette rigueur ne semble pas légitime dès lors que l’opération bénéficie généralement à l’acquéreur et non au cédant de l’usufruit (bien qu’ils soient parfois liés), d’autant que l’Administration entend interpréter extensivement ce dispositif.

Elle vise ainsi en particulier11 la cession concomitante à deux cessionnaires de l’usufruit temporaire et de la nue-propriété ; elle reconnaît pourtant que l’usufruit n’a alors pas vocation à revenir au cédant, circonstance qui constitue le fondement principal de l’assimilation du produit de cession à la perception anticipée de revenus futurs.

Ces deux analyses, si elles devaient perdurer, conduiraient à des conséquences qui nous paraissent devoir être dénoncées. Le cédant n’optimise en effet en rien sa situation fiscale mais se trouverait alors imposé :

– à un taux nettement plus élevé, pour ce qui est de la cession de l’usufruit, que s’il avait cédé la pleine propriété du bien12 ;

– et sur un revenu partiellement fictif, supérieur au profit réalisé en cas de cession de la pleine propriété du bien ; en effet, le produit de cession de l’usufruit temporaire ne serait minoré que des charges liées à la cession sans que la fraction du prix d’acquisition du bien afférente à ce droit ne soit prise en considération, la plus-value rattachable à la cession de la nue-propriété n’étant minorée qu’à hauteur de la fraction correspondante du prix d’acquisition.

Des distorsions similaires ou complémentaires apparaissent également dans des situations aussi légitimes que des opérations d’apport de biens démembrés.

Ce dispositif s’avère certes dissuasif mais les cibles ont été incorrectement identifiées et le législateur comme l’Administration devraient prendre conscience des obstacles mis sans motif à la réalisation d’opérations économiquement justifiées.

Les parties se trouveront dès lors avisées de manipuler avec précaution la constitution d’un usufruit pour éviter qu’elle ne conduise à des conséquences lourdes et difficilement réparables.

1. Sous réserve des cessions d’un premier usufruit temporaire, voir paragraphe ci-après.

2. Elle remonte en particulier à une décision du Conseil d’Etat du 28 octobre 1966, n° 68280.

3. Voir, notamment, Conseil d’Etat, 30 décembre 2009, n° 307165.

4. Voir, notamment, CAA Paris 3 février 2000, n° 96-339.

5. Voir, notamment, Conseil d’Etat, 8 novembre 1967, n° 69696

6. Repris par l’Administration, BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60.

7. Ibidem.

8. Si le démembrement est postérieur au 3 juillet 2001, les règles antérieures étant plus favorables.

9. Cf. note 1.

10. Une problématique de même nature préexistait en matière de plafonnement d’ISF ou de bouclier fiscal.

11. Réponse ministérielle Lambert, Assemblée nationale, 2 juillet 2013, n° 15540.

12. Taux marginal de 64,5% si l’on tient compte de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus à comparer avec un taux marginal de 38,5%, après abattements pour durée de détention.


La lettre de l'immobilier

Le démembrement de propriété en matière immobilière

Richard Foissac, avocat associé

Le démembrement de propriété. Simple méthode de gestion patrimoniale pour les uns, outil d’optimisation fiscale pour les autres, il reste une situation juridique dont le traitement fiscal pour les titulaires de droits démembrés méritait assurément qu’on lui consacre un numéro de la Lettre de l’Immobilier.

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