La lettre de l'immobilier

Mars 2013

Démembrement de la propriété : droit réel de jouissance spéciale

Publié le 17 février 2014 à 17h23    Mis à jour le 12 mars 2014 à 10h11

Jean-Luc Tixier

Dans un arrêt du 31 octobre 2012, la Cour de cassation énonce que «le propriétaire peut consentir, sous réserve des règles d’ordre public, un droit réel conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de son bien qui s’exercera pendant toute la durée d’existence de son bénéficiaire1».

Par Jean-Luc Tixier, avocat associé, spécialisé en droit immobilier et droit public.

Dans un arrêt du 31 octobre 2012, la Cour de cassation énonce que «le propriétaire peut consentir, sous réserve des règles d’ordre public, un droit réel conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de son bien qui s’exercera pendant toute la durée d’existence de son bénéficiaire(1)». Cette affirmation conduit à devoir s’interroger sur les notions de propriété, de droits réels, et sur l’éventuel caractère sui generis que pourraient présenter certains de ces derniers. Compte tenu des enjeux que l’on peut lui prêter, faut-il ou non s’étonner ou s’inquiéter à sa lecture, ou la relativiser ?

En 1932, par deux actes notariés, la fondation Maison de Poésie avait vendu un hôtel particulier à la SACD, en se réservant un droit, qualifié de «droit de jouissance et d’occupation» sur une partie des locaux qu’elle utilisait alors. En cas d’éviction de l’occupant par le propriétaire le droit d’occupation se convertissait en une obligation de ce dernier de le reloger, à surface et localisation constantes. Après 70 ans de jouissance paisible, la SACD a décidé d’expulser l’occupant. La Cour de cassation censure l’analyse de la cour d’appel de Paris qui, pour accueillir la demande, avait considéré que la prérogative conférée s’analysait en un droit d’usage et d’habitation, dont la durée devait être calquée sur celle de l’usufruit – soit trente ans en cas d’attribution à une personne morale(2).

La Cour de cassation énonce que rien n’interdit de constituer des droits réels sui generis, qu’ils peuvent être formés pour la durée prévue dans la convention, et que, contrairement au droit d’usage et d’habitation, lequel est soumis au même régime que l’usufruit, de tels droits réels peuvent excéder trente ans. La Cour de cassation a déjà reconnu la validité de droits réels non prévus par la loi ; l’exemple du droit de superficie (req. 5 nov. 1866, D. 1867 1 32) et celui du droit réel de jouissance sur les parties communes d’une copropriété (Civ. 3e, 4 mars 1992, n° 90­13 145, Civ. 3e, 2 déc. 2009, n° 08-20 310) l’illustrent.

On connaît le droit de superficie constitué à titre définitif qui opère une scission, deux biens distincts, superposés dans l’espace, appartenant alors à deux propriétaires différents. Les baux superficiaires opèrent pour leur part ce type de dissociation de façon temporaire. Reste à mesurer l’ampleur de la portée de la possibilité de constituer des droits réels qui n’entrent pas dans le numerus clausus quelquefois prêté à cette catégorie. S’agit-il d’une résurgence d’un domaine «utile» et d’un domaine «éminent» dans le cadre d’un droit réel d’usage, avec un propriétaire définitivement privé de la reconstitution de l’ensemble des prérogatives attachées à son immeuble ?

L’énoncé de ce principe laisse entrevoir une très grande variété de droits réels grevant un bien. On décèle néanmoins déjà deux questions essentielles :

– qu’implique l’admission d’une indétermination temporelle de ce droit réel de jouissance ?

– sous couvert de «variété», pourrait-on envisager de constituer des droits réels innommés consistant en l’emprunt à des droits réels nommés des seuls caractères qui satisferaient les parties en présence : tel, par exemple, un droit réel qui reprendrait toutes les caractéristiques de l’emphytéose à l’exception de la libre destination, jugée essentielle et inhérente à ce droit ?

La possibilité de concéder librement, sur une ou plusieurs utilités d’un bien, un droit réel conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale reste donc à appréhender dans toutes ses composantes. Le régime du droit ainsi constitué n’a, d’ailleurs, pas été abordé par l’arrêt en cause.

(1)- Civ. 3, 31 octobre 2012, pourvoi n° 11-16.304.

(2)- Paris, 10 février 2011, JurisData n° 2011-001678.

Retrouvez tous les trimestres la Lettre de l'Immobilier avec notre partenaire, CMS Francis Lefebvre.
CMS Francis Lefebvre est l’un des principaux cabinets d’avocats d’affaires français, dont l'enracinement local, le positionnement unique et l'expertise reconnue lui permettent de fournir des solutions innovantes et à haute valeur ajoutée en droit fiscal, en droit des sociétés et en droit du travail. 

 

Au sommaire de la lettre


La lettre de l'immobilier

Droit de préemption urbain et cession de parts d’une société civile immobilière : quand faut-il adresser une déclaration d’intention d’aliéner ?

Céline Cloché-Dubois

Depuis la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, la cession de parts d’une société civile immobilière (SCI) peut, sous certaines conditions, être soumise à la purge préalable du droit de préemption urbain. Ces conditions ont été modifiées par la loi du 25 mars 2009. A l’occasion d’opérations de cession de parts de SCI, il convient donc de s’interroger systématiquement sur la nécessité d’adresser ou non une déclaration d’intention d’aliéner (DIA) à la commune.

Lire l'article

Consulter les archives

Voir plus

Chargement en cours...