La lettre de l'immobilier

Février 2019

Loi Pacte et baux commerciaux : solidarité inversée, clap de fin ?

Publié le 8 février 2019 à 15h01

Alexandre Bastos et Aline Divo

«Une telle clause de solidarité inversée constitue ainsi un réel obstacle à l’objectif de maintien de l’activité exploitée par le débiteur en procédure collective à l’occasion d’une éventuelle cession de cette dernière.»

Alexandre Bastos, avocat associé, responsable de l’activité Restructuring-Insolvency et Aline Divo, avocat associé en droit immobilier. 

Le projet de loi PACTE (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), voté en première lecture à l’Assemblée nationale et transmis au Sénat, comporte une atteinte sérieuse à l’efficacité des clauses que la pratique a dénommées «clauses de solidarité inversée». A ce stade cependant, il est impossible de certifier que ces dernières appartiennent au passé. D’abord parce qu’il ne s’agit toujours que d’un projet de loi et ensuite parce que sa rédaction concernant le sujet traité ne conduit pas à priver totalement de portée toutes les clauses de solidarité inversée.

En effet, cherchant sans nul doute à écarter un obstacle rencontré de plus en plus fréquemment dans les reprises d’entreprises en procédure collective, le législateur semble s’être arrêté en chemin.

De lege lata

Rappelons tout d’abord ce qu’il est convenu d’entendre par clauses de solidarité inversée : des clauses stipulant qu’en cas de transmission du contrat, tout ayant-cause à titre particulier de l’un des cocontractants demeurera tenu solidairement des obligations du précédent cocontractant à l’égard de l’autre partie au contrat. Ces clauses sont apparues dans les baux commerciaux comme une sorte de bilatéralisation de la clause de solidarité «classique» qui stipule le cédant du bail solidaire du cessionnaire vis-à-vis du bailleur au titre de l’exécution du bail par le cessionnaire postérieurement à la cession. Il est à noter que l’article L.145-16-2 du Code de commerce, issu de la loi Pinel du 18 juin 2014, a limité la portée des clauses de garantie du cédant au bénéfice du bailleur en réduisant la durée de la solidarité à trois ans à compter de la cession du bail. En pratique, les parties dérogent souvent aux dispositions de cet article en ce qui concerne la durée de la solidarité. 

Naturellement, l’application de cette clause semblait délicate en cas de procédure collective du preneur. En effet, ce dernier bénéficiant de la protection des dispositions relatives, notamment, au gel du passif, il est difficile d’admettre que la cession du bail dans le cadre de sa procédure collective l’engage à garantir les dettes de son successeur dans les liens du bail. Cette clause est donc privée d’effet dans une telle situation1, ce qui, au demeurant, ne porte qu’un impact limité aux intérêts du bailleur, le cédant étant, par hypothèse, défaillant. Cette mise à l’écart est toutefois temporaire en ce qu’elle ne profite qu’au preneur en procédure collective pour ensuite retrouver son plein effet à l’égard de tout autre preneur2.

C’est cette stipulation que la pratique s’est mise à «bilatéraliser» en précisant que le cessionnaire demeure garant solidaire du cédant du bail. Or le cessionnaire n’est pas, lui, en procédure collective et, de ce fait, ne bénéficie d’aucune protection particulière.

Le prix qui sera offert pour acquérir un fonds de commerce ou un droit au bail fondé sur un contrat incluant une telle stipulation sera dès lors forcément modéré du fait de l’impact du transfert de la charge des arriérés impayés par le cédant. De même, si le droit au bail est un élément essentiel de l’entreprise exploitée, une telle clause est de nature à dissuader la formulation même d’une offre de reprise car, si dans de tels schémas de reprise en plan de cession, l’article L.642-7 du Code de commerce permet au repreneur de solliciter le transfert judiciaire des contrats de crédit-bail, de location ou de fourniture de biens ou services nécessaires au maintien de l’activité, ces contrats sont alors transférés aux mêmes clauses et conditions. 

De fait, il est généralement admis par la jurisprudence que les clauses de solidarité inversée ne sont pas écartées dans une reprise en plan de cession3. Elles ont même été expressément validées en cas de reprise de fonds de commerce hors plan de cession4. 

Une telle clause de solidarité inversée constitue ainsi un réel obstacle à l’objectif de maintien de l’activité exploitée par le débiteur en procédure collective à l’occasion d’une éventuelle cession de cette dernière.

De lege ferenda

Devant la généralisation des clauses de solidarité inversée, l’article 19 du projet de loi PACTE entend modifier cette situation en complétant ainsi l’article L.642-7 du Code de commerce : «Par dérogation, toute clause imposant au cessionnaire d’un bail des dispositions solidaires avec le cédant est réputée non écrite. Les dispositions du I du présent article ne sont pas applicables aux procédures en cours au jour de la publication de la présente loi».

Le législateur écarte clairement, dans le cadre d’un plan de cession, le jeu de la clause de solidarité inversée incluse dans un bail. La rédaction retenue soulève quelques regrets.

Un premier regret touche à la limitation de la mise à l’écart de la clause aux seules cessions intervenant dans le cadre d’un plan de cession. En effet, dans certains cas, le sauvetage se fait par le truchement d’une cession d’actif isolé5 du droit au bail ou du fonds de commerce. Cela est notamment vrai dans les secteurs du commerce de détail et de la restauration. Cependant, le législateur a écarté l’option large d’une mise à l’écart de la clause dès lors que la cession intervient en procédure collective (plan de cession ou réalisation d’actif isolé) estimant nécessairement que seule la poursuite de l’activité et le maintien de l’emploi, critères légaux attachés au seul plan de cession, sont de nature à justifier la mise à mal des intérêts du bailleur6. De même, il est possible de regretter que l’article L.622-15 du Code de commerce n’ait pas été, lui aussi, modifié.

Le second regret a trait au cantonnement de la mise à l’écart des clauses de solidarité inversée aux seules clauses stipulées dans un contrat de bail. Pourquoi l’obstacle à la reprise en plan de cession devant être écarté varie-t-il en fonction du contrat concerné ? Un fournisseur mérite-t-il un meilleur traitement qu’un bailleur ? A notre sens, il serait opportun d’étendre ce traitement dérogatoire à tous les contrats nécessaires au maintien de l’activité visés à l’alinéa 1er de l’article L.642-7 du Code de commerce. 

Enfin, la «sanction» choisie interroge. La clause de solidarité inversée sera réputée non écrite, c’est-à-dire que le bailleur ne pourra pas solliciter du repreneur le paiement des arriérés existant à la date de l’ouverture de la procédure collective en exécution de la clause. De plus, si cette nouvelle disposition devait s’analyser au regard de celles des articles L.622-15 et L.641-12 alinéa 5 du Code de commerce, le fait que la clause soit réputée non écrite ne profite qu’au preneur en procédure collective de sorte qu’une telle clause devrait retrouver son plein effet au profit du bailleur en cas de nouvelle cession du bail selon les modalités de droit commun7.

Au-delà de ces quelques imperfections, nous ne pouvons toutefois que saluer la prise de conscience du législateur et lui en demander, peut-être, un peu plus.

 

1. Articles L.622-15 et L.641-12 alinéa 5 du Code de commerce.

2. Com., 15 novembre 2017, n° 16-19.131.

3. CA Versailles, 13e chambre, 12 mars 2015, n° 14/02599.

4. Com., 27 septembre 2011, n° 10-23.539.

5. Article L.642-19 du Code de commerce.

6. Etude d’impact du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, 18 juin 2018, p. 234 et suivantes.

7. Com., 15 novembre 2017, précité.

 

 


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