La lettre de l'immobilier

Mars 2016

Uberisation de l’hébergement touristique de courte durée et contraintes réglementaires

Publié le 4 mars 2016 à 9h52    Mis à jour le 4 mars 2016 à 17h14

Par Jean-Luc Tixier et Céline Cloché-Dubois

Par Jean-Luc Tixier, avocat associé en droit immobilier et droit public. Il assiste tant en matière de conseil que de contentieux des entreprises commerciales et industrielles et intervient auprès des promoteurs en matière de droit de l’urbanisme, de construction, de vente et location d’immeubles, de baux emphytéotiques et à construction. Il est chargé d’enseignement à l’Université de Paris I. jean-luc.tixier@cms-bfl.com

Et Céline Cloché-Dubois, avocat counsel en droit de l’urbanisme et en droit de l’environnement. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux auprès d’entreprises et de personnes publiques. celine.cloche-dubois@cms-bfl.com

La location de locaux meublés à une clientèle touristique de passage n’est pas anodine. Elle est susceptible de soulever un certain nombre de problématiques juridiques.

En effet, classiquement, l’affectation de locaux, même temporairement, à un autre usage que celui pour lequel ils sont utilisés habituellement, peut être soumise à plusieurs autorisations :

– autorisation de changement d’usage d’une part, telle que régie par le Code de la construction et de l’habitation (CCH) ;

– autorisation de changement de destination d’autre part, telle que régie par le Code de l’urbanisme (CU).

Ces deux domaines, souvent confondus, ne relèvent pas du même régime juridique.

Le changement d’usage

Le régime du changement d’usage actuellement en vigueur est issu de l’ordonnance du 8 juin 2005 et codifié aux articles L. 631-7 et suivants du CCH ; il a pour objet de contrôler la suppression des locaux d’habitation1 dans les communes de plus de 200 000 habitants. Toute transformation de locaux d’habitation en un autre usage est ainsi soumise à l’autorisation préalable du Maire. La délivrance de cette autorisation est subordonnée à une compensation, c’est-à-dire la transformation en habitation d’autres locaux ayant un usage autre que l’habitation. En pratique, il est souvent fait appel à un opérateur spécialisé en «cession de commercialité» (dit «commercialisateur») lequel met en relation des créateurs de surface d’habitation avec des entités souhaitant en supprimer.

Depuis quelques années, s’est développée une nouvelle offre sur le marché : la location meublée de courte durée. La question s’est posée de savoir si ce type de location était constitutive d’un changement d’usage au sens de l’article L. 631-7 susvisé. Les juridictions judiciaires ont répondu par l’affirmative et ces locations ont été sanctionnées sévèrement au motif qu’une autorisation de changement d’usage aurait dû être sollicitée2.

Eu égard à la démocratisation de cette pratique par les particuliers, via des sites Internet, la loi dite «ALUR» du 24 mars 20143 a modifié les dispositions du CCH. Plusieurs dispositions ont ainsi été insérées :

– le dernier alinéa de l’article L. 631-7 clarifie la situation juridique de ce type de prestations et précise désormais que «le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage» ;

– un nouvel article L. 631-7-1 A est inséré dans le CCH et souligne, par dérogation à la disposition ci-avant, qu’aucune autorisation de changement d’usage n’est nécessaire pour la location d’un local d’habitation qui constitue la résidence principale du loueur.

En revanche, pour les autres types de location meublée de courte durée (location institutionnalisée notamment), chaque commune concernée peut définir un régime d’autorisation temporaire de changement d’usage. Une délibération du conseil municipal doit fixer les conditions de délivrance de cette autorisation.

A titre d’illustration, la ville de Paris n’a pas du tout fait ce choix. Elle a au contraire modifié son règlement municipal en novembre 2014 pour affirmer qu’une autorisation de changement d’usage pour la transformation des locaux destinés à l’habitation en locaux meublés de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile doit être sollicitée et qu’une compensation doit être proposée.

Le changement de destination

Le Code de l’urbanisme contrôle les changements de destination. Pour définir la destination, il convient de se référer à l’article R. 151-27 du CU qui en énumère cinq4 :

– exploitation agricole et forestière ;

– habitation ;

– commerce et activités de service ;

– équipements d’intérêt collectif et services publics ;

– autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire.

Toute transformation d’un local emportant comme conséquence le passage de l’une à l’autre de ces destinations est soumise soit à déclaration préalable5, soit à permis de construire6. En pratique, se pose la question de savoir à quelle destination correspond la location meublée de courte durée. En effet, selon l’article R. 151-28 du CU, la destination «habitation» inclut le logement et l’hébergement. La destination «commerce et activités de service» inclut quant à elle l’artisanat et le commerce de détail, la restauration, le commerce de gros, les activités de services où s’effectue l’accueil d’une clientèle, l’hébergement hôtelier et touristique, ainsi que le cinéma.

Ces dispositions nouvelles, puisqu’issues du décret du 29 décembre 2015, doivent encore être précisées par un arrêté ministériel. Aussi, en l’état, il ne peut être exclu que la transformation de locaux d’habitation en locaux meublés touristiques de courte durée soit soumise à autorisation d’urbanisme (déclaration préalable ou permis de construire). Tel a été le raisonnement retenu jusqu’à présent, notamment à Paris, dont le PLU précise que l’ancienne destination hébergement hôtelier comprend notamment les logements meublés donnés en location qui ne relèvent pas de l’article L. 632-1 du Code de la construction et de l’habitation (hors meublés de courte durée donc).

1. Toutes catégories de logements et leurs annexes, logements-foyers, logements de gardien, chambres de services, logements de fonction, locaux meubles donnés en location, logements inclus dans un bail commercial.

2. En ce sens : CA Paris, 4 septembre 2012, n° 11/58295 ; CA Paris, 24 mai 2011, n° 10/23802.

3. N° 2014-366.

4. Décret n° 2015-1783 du 29 décembre 2015.

5. Article R. 421-17 du CU : «Doivent être précédés d’une déclaration préalable lorsqu’ils ne sont pas soumis à permis de construire en application des articles R. 421-14 à R. 421-16 les travaux exécutés sur des constructions existantes, à l’exception des travaux d’entretien ou de réparations ordinaires, et les changements de destination des constructions existantes suivants : (…) b) Les changements de destination d’un bâtiment existant entre les différentes destinations définies à l’article R. 151-27 ; pour l’application du présent alinéa, les locaux accessoires d’un bâtiment sont réputés avoir la même destination que le local principal et le contrôle des changements de destination ne porte pas sur les changements entre sous-destinations d’une même destination prévues à l’article R.

6. Article R. 421-14 du CU : «Sont soumis à permis de construire les travaux suivants, exécutés sur des constructions existantes, à l’exception des travaux d’entretien ou de réparations ordinaires : (…) c) Les travaux ayant pour effet de modifier les structures porteuses ou la façade du bâtiment, lorsque ces travaux s’accompagnent d’un changement de destination entre les différentes destinations et sous-destinations définies aux articles R. 151-27 et R. 151-28.151-28».

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