La lettre de l'immobilier

Septembre 2014

L’existence d’une clientèle propre pour reconnaître l’exploitation d’un fonds de commerce sur le domaine public

Publié le 19 septembre 2014 à 11h49    Mis à jour le 19 septembre 2014 à 15h54

Jean-Luc Tixier

L’exploitation par une entreprise d’une activité commerciale sur le domaine public a toujours posé une question sensible : l’absence de «propriété commerciale» exclut-elle que l’entreprise dispose pour autant d’un fonds de commerce ?

Par Jean-Luc Tixier, avocat associé, spécialisé en droit immobilier et droit public, CMS Bureau Francis Lefebvre.

Jusqu’alors, nombre de conventions d’occupation domaniale entendaient y apporter une réponse négative en excluant toute référence ou allusion au fait que les activités autorisées puissent être constitutives d’un fonds de commerce.

Fonds de commerce sans droit au bail

S’il est constaté que la clientèle attachée à l’exploitation est personnelle à l’exploitant, la jurisprudence judiciaire s’accorde à admettre l’existence d’un fonds1. La reconnaissance de l’existence d’un fonds de commerce n’implique pas pour autant celle d’un droit au bail. Nombre de tels fonds ne comportent pas de droit au bail : tel le cas des fonds exploités en qualité de titulaire d’un bail «dérogatoire», d’un bail emphytéotique ou à construction, voire d’une convention d’occupation précaire2. La jurisprudence la plus constante souligne d’ailleurs que l’existence d’un droit au bail n’est pas une condition nécessaire à l’existence d’un fonds de commerce3.

La vente, le nantissement ou la location-gérance de tels fonds sont tout à fait possibles (sauf à se soumettre aux règles qui les gouvernent) ; la seule particularité est que ledit fonds ne comprend pas le bénéfice d’un bail commercial statutaire (comportant «droit au renouvellement») ; ce fonds existe mais sa pérennité et sa valeur sont affectées par l’absence de «droit au renouvellement» ou de bénéfice d’une indemnité à l’issue des contrats d’occupation précités.

Domaine public et fonds de commerce : quelles conséquences ?

De longue date le juge administratif ignore pourtant le fait qu’un fonds de commerce puisse exister sans droit au bail et, au contraire, opère une surprenante association de ces deux notions. Pour le Conseil d’Etat, l’occupant du domaine public titulaire d’une convention personnelle et non cessible, ne saurait être propriétaire d’un fonds de commerce du seul fait qu’il ne peut légalement disposer d’un bail commercial statutaire4. Dénier le caractère de fonds de commerce à l’entreprise exploitée sur le domaine public, au motif qu’elle ne bénéficie pas de la protection issue du statut des baux commerciaux, n’est donc pas fondé.

C’est dans ce contexte que la loi Pinel5 du 18 juin 20146 a introduit dans le CG3P7 un nouvel article L. 2124-32-1 qui dispose qu’«un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre8».

Le constat de l’existence ou non d’une clientèle propre sera donc déterminant. Pour ce faire, on s’appuiera utilement sur l’abondante jurisprudence judiciaire rendue à propos des commerces enclavés, ou soumis à de fortes contraintes.

Mais cette disposition ne doit pas faire illusion. Cette reconnaissance légale de la possible présence d’un fonds de commerce sur le domaine public ne fait pas pour autant naître une simili «propriété commerciale» : l’autorisation d’occupation demeure précaire et révocable. La cession de l’autorisation à l’acquéreur du fonds n’est pas prévue ; la solution jurisprudentielle n’est donc pas modifiée9.

En revanche, le potentiel acquéreur pourra désormais solliciter «par anticipation» une autorisation d’occupation temporaire du domaine public10 sans qu’un tel octroi soit de droit.

Il restera à apprécier la portée de cette reconnaissance dans l’aménagement des clauses relatives à l’indemnisation de l’exploitant en cas de retrait ou résiliation.

1. Cass. com., 28 mai 2013, n° 12-14 049, F + P + B.

2. Désormais définie à l’article L. 145-5-1 du Code de commerce issu de la loi «Pinel».

3. Cass. com., 27 avr.1993, n° 91-10 819, Bull. civ. IV, n° 156 ; Cass. com., 4 fév. 2014, n° 12-25 528, F-D.

4. V. CE, Ass., 28 avr. 1965, n° 53714 et 53715, CE 2° et 7° s-s-r., 31 juill. 2009, n° 316534, «Société Jonathan Loisirs».

5. Art.72 L. n° 2014-626 du 18 juin 2014, relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.

6. Applicable depuis le 20 juin 2014.

7. Code général de la propriété des personnes publiques.

8. Les fonds artisanaux ne sont pas concernés (CG3P art. L. 2124-33) ni le domaine public naturel (CG3P art. L. 2124-35).

9. V. CE 2° et 7° s-s-r., 31 juill. 2009, n° 316534 ; CE 2° et 7° s-s-r., 11 janv. 2011, n° 323924.

10. CG3P art. L. 2124-35.


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