La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Mars 2016

Déduction fiscale des charges financières : vers de nouvelles barrières ?

Publié le 25 mars 2016 à 10h36    Mis à jour le 25 mars 2016 à 17h04

Laurent Hepp et Jean-Charles Benois

L’OCDE comme la Commission européenne ont respectivement émis, en novembre 2015 et le 28 janvier 2016, une recommandation (l’«Action 4 OCDE») et un projet de directive (le «Projet de Directive») destinés à lutter contre l’optimisation fiscale réalisée par les groupes, consistant à allouer les profits et les charges dans des pays à taux d’imposition plus ou moins élevés (base erosion and profit shifting, ou «BEPS»).

Par Laurent Hepp, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity. laurent.hepp@cms-bfl.com

Et Jean-Charles Benois, avocat en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity. jean-charles.benois@cms-bfl.com

Dans les deux cas, les propositions consistent à plafonner le montant des déductions nettes d’une entité au titre d’intérêts d’emprunt (et de paiements économiquement équivalents à des intérêts) à un certain pourcentage de son résultat avant intérêts, impôts, amortissements et provisions (EBITDA), avec cependant un seuil de minimis (de 1 000 000 euros dans le Projet de Directive, non chiffré dans l’Action 4 OCDE). Dans l’hypothèse où une partie du seuil d’EBITDA n’aurait pas été absorbée par les intérêts supportés par l’emprunteur, cette fraction serait reportable sur les exercices futurs. Il en irait de même pour les intérêts qui n’auraient pu être déduits au titre d’un exercice compte tenu de la saturation du plafond de déduction. Une clause de sauvegarde par rapport au groupe est également prévue dans les deux cas (la «Clause de sauvegarde»). Enfin, les deux propositions excluent de leur champ d’application les sociétés financières.

Si les objectifs et les caractéristiques principales des deux projets sont convergents, au moins deux différences doivent être notées. Ainsi, s’agissant du plafond de déduction des intérêts, celui-ci serait compris entre 10 et 30 % de l’EBITDA dans l’Action 4 OCDE (avec éventuellement 10 points supplémentaires lorsque les charges financières sont dues à raison de dettes tierces), alors que le Projet de Directive retient un taux fixe de 30 %. En ce qui concerne la Clause de sauvegarde, elle s’appliquerait lorsque l’entité débitrice pourrait démontrer, soit que son ratio intérêts nets/EBITDA est inférieur à celui du groupe auquel il appartient (Action 4 OCDE), soit que son ratio fonds propres/ensemble des actifs est au moins égal au ratio équivalent du groupe (Projet de Directive).

Qu’elle corresponde à celle proposée par les pays de l’OCDE ou par la Commission européenne, cette nouvelle limitation conduirait à transposer à un niveau international le «modèle» allemand, qui s’applique à l’ensemble de la dette, que celle-ci soit souscrite auprès d’entités liées ou de prêteurs externes au groupe. Elle plafonnerait ainsi la déduction fiscale en fonction de la capacité de l’emprunteur à générer de la marge, à la différence de la limitation générale de déduction des charges financières nettes en droit français, dite règle du «rabot», qui rejette la déduction de 25 % des charges financières nettes à partir de 3 000 000 euros. Dans ce modèle (dont la constitutionnalité est pourtant contestée devant la Cour constitutionnelle allemande !), la dette ne semble plus combattue (quoi qu’en disent l’OCDE et la Commission européenne) pour l’optimisation fiscale qu’elle est susceptible d’induire, mais au motif qu’elle serait intrinsèquement néfaste dès lors qu’elle est disproportionnée au regard des revenus de l’emprunteur.

Si cette nouvelle limitation devait être insérée dans le droit interne français, elle pourrait – tout particulièrement en matière de financement d’acquisitions – porter un coup brutal à l’attractivité de la France dont le taux d’impôt sur les sociétés est déjà l’un des plus élevés des pays dits développés (et où, de surcroît, l’amortissement du goodwill n’est pas autorisé comme il l’est en Allemagne). La question se poserait, en outre, de sa transposition technique. Deux hypothèses se présenteraient alors : soit cette limite viendrait se substituer à l’ensemble des régimes encadrant la déduction des intérêts (dont celui de lutte contre la sous-capitalisation), dans un effort salutaire de simplification ; soit elle viendrait remplacer le seul «rabot», voire s’additionner à l’arsenal déjà existant, ajoutant une haie supplémentaire au redoutable parcours d’obstacles de la déduction des intérêts d’emprunt. Les paris sont ouverts, et la vigilance est déjà de mise !


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