La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Juin 2018

Conclusion d’un contrat par le biais d’un représentant : les sociétés soustraites à l’article 1161 du Code civil

Publié le 15 juin 2018 à 15h53

Bruno Dondero et Jean-Thomas Heintz

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats a introduit dans le Code civil des dispositions sur la conclusion d’un contrat par le biais d’un représentant et, parmi celles-ci, un article «anti-conflits d’intérêts», l’article 1161. Le droit français cherchait ainsi à se rapprocher d’autres systèmes juridiques. Ce texte n’en a pas moins créé des difficultés, notamment au regard de son articulation avec le droit spécial des sociétés.

Par Bruno Dondero, of counsel, co-responsable de la Doctrine juridique, professeur à l’école de droit de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. bruno.dondero@cms-fl.com et Jean-Thomas Heintz, avocat associé en corporate/fusions & acquisitions de CMS Francis Lefebvre Lyon Avocats. Il intervient en matière de restructuration de groupes de sociétés et de fusions-acquisitions pour des clients tant français qu’étrangers. jean-thomas.heintz@lyon.cms-fl.com

L’article 1161 a cependant été modifié par la loi de ratification de l’ordonnance (loi n° 2018-287 du 20 avril 2018) et il est intéressant de revenir sur cette évolution.

Le dispositif original et les perturbations engendrées

L’article 1161 issu de l’ordonnance interdisait à un représentant d’agir «pour le compte des deux parties au contrat», ainsi que de «contracter pour son propre compte avec le représenté» et ce, à peine de nullité du contrat conclu, sauf autorisation du législateur ou du représenté ou ratification par ce dernier.

La question que soulevait ce texte était surtout celle de son articulation avec les droits spéciaux, comme le droit des sociétés, pour lequel deux situations délicates se rencontraient.

On se demandait tout d’abord dans quelle mesure les sociétés pour lesquelles existait un dispositif de contrôle des conventions réglementées étaient soustraites à l’article 1161. Pour une société anonyme, une société par actions simplifiées ou une société à responsabilité limitée, par exemple, il était clair que les conventions autorisées ou approuvées n’avaient pas à être autorisées à nouveau par application du nouveau dispositif. Mais certains estimaient que les conventions libres ne l’étaient plus complétement et devaient être autorisées par application de l’article 1161.

Ensuite, les sociétés dépourvues de mécanisme de contrôle (par exemple, les sociétés en nom collectif) suscitaient une autre interrogation. Le silence du législateur à leur égard valait-il autorisation implicite au sens de l’article 1161, ou bien ce dernier texte, constituant le droit commun, ne devait-il pas s’appliquer pleinement à ces sociétés ?

Le principe selon lequel la règle spéciale déroge à la règle générale, de même que l’idée que la réforme du droit des contrats ne devait pas perturber le droit des sociétés, conduisaient à écarter l’article 1161 quand intervenait un dirigeant social, mais une certitude accrue était demandée par la pratique, au vu de la sanction de nullité prévue par ce texte.

Le dispositif nouveau

La loi de ratification a répondu aux souhaits de nombreux commentateurs en opérant par son article 6, 2° une réduction radicale du champ d’application de l’article 1161, qui joue désormais seulement «en matière de représentation des personnes physiques» (et ne saisit plus la multi-représentation que lorsque les parties sont en opposition d’intérêts).

Les sociétés, les associations, les groupements d’intérêt économique et les autres personnes morales n’ont donc plus à se préoccuper de ce texte, du moins pour l’avenir. L’article 1161 du Code civil leur demeure tout de même applicable en sa rédaction initiale pour les contrats conclus entre le 1er octobre 2016 et le 30 septembre 2018. L’entrée en vigueur du nouveau texte a en effet été fixée au 1er octobre 2018 (article 16, I de la loi).

La prudence incitera donc, pour la période intermédiaire, à respecter l’article 1161, au moins dans les sociétés dépourvues de mécanisme de contrôle des conventions réglementées, en évitant la multi-représentation ou en obtenant une autorisation préalable de la part de la société. Reste à identifier l’organe compétent pour fournir cette autorisation.

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