La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Juin 2018

L’amendement Charasse est-il un dispositif anti-abus ?

Publié le 15 juin 2018 à 15h53

Jean-Charles Benois et Morgan Toanen

Le dispositif dit de l’«amendement Charasse» interdit aux groupes fiscalement intégrés la déduction de leur résultat taxable d’ensemble des charges financières supportées par une société cessionnaire H membre dudit groupe au titre d’une opération dite de «rachat à soi-même», consistant dans l’acquisition à titre onéreux auprès de l’associé qui la contrôle (directement ou indirectement) des titres d’une société F qui rejoindrait ultérieurement le même groupe fiscalement intégré que la société H.

Par Jean-Charles Benois, avocat counsel en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity. jean-charles.benois@cms-fl.com et Morgan Toanen, avocat en fiscalité. Il conseille au quotidien des sociétés dans le cadre de leurs problématiques fiscales ainsi que dans leurs opérations d’acquisitions, de capital-transmission et de restructuration. morgan.toanen@cms-fl.com

Dans une décision aussi novatrice que déroutante1, les Sages du Conseil constitutionnel, récemment saisis d’une QPC sur le sujet, ont considéré que ce dispositif avait vocation à s’appliquer indépendamment de l’objectif poursuivi par les parties, notamment lorsque celui-ci était non fiscal.

Les juges de la Haute juridiction distinguent à cette occasion – et à notre connaissance pour la première fois – les dispositifs «anti-abus» (qui doivent inclure une clause de sauvegarde permettant, le cas échéant, aux contribuables de démontrer que l’opération critiquée poursuivait un but non fiscal) des dispositifs «limitant le cumul d’avantages fiscaux» (qui peuvent ne pas comprendre une telle clause sans enfreindre le principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques).

Selon le Conseil constitutionnel, l’amendement Charasse relèverait de cette seconde catégorie, puisqu’au vu des commentaires publiés sous cette décision, il sanctionnerait moins les opérations artificielles que les «rachats artificieux».

Sans même revenir sur le fait que les travaux préparatoires ne paraissaient laisser aucun doute quant à la portée anti-abus de l’amendement Charasse, cette décision conduit à s’interroger sur le cumul d’avantages fiscaux que permettrait une opération de rachat à soi-même.

Le premier avantage procèderait de l’option pour le régime de l’intégration fiscale qui, s’il est en effet souvent profitable en permettant la compensation au sein du groupe des pertes et bénéfices fiscaux individuels, peut cependant conduire dans certains cas à un surcoût fiscal net pour les sociétés ayant opté. Le second avantage résiderait dans la déduction fiscale des charges financières, qui conduirait à faire supporter une partie du coût de celles-ci au Trésor public.

Cependant, cette approche conduit à compter deux fois l’avantage lié à la déduction des charges financières relatives à la dette d’acquisition de la cible, puisque ce sont les mêmes charges qui sont prises en compte pour la détermination du résultat fiscal de la société cessionnaire, et pour la compensation des pertes de la société cessionnaire et des bénéfices de la société cible.

Par ailleurs, on comprend mal en quoi le raisonnement tenu par les Sages ne conduirait pas à contester toute déduction de charges financières supportées à raison d’acquisitions réalisées auprès de tiers par une société intégrée et financées par endettement. En effet, dans ce cas également, le même prétendu cumul d’avantages fiscaux serait constaté. C’est donc moins l’effet fiscal qui est dénoncé par l’amendement Charasse que l’opération qui y a conduit, en l’occurrence le rachat à soi-même. Or, si c’est l’opération qui est critiquable, il aurait dû être réservé au contribuable la possibilité de démontrer qu’elle répondait à un objectif économique réel et prépondérant.

Telle n’a cependant pas été l’approche des Sages, qui ont choisi de laisser survivre un texte dénué de clause de sauvegarde. Les groupes n’ont donc d’autre possibilité pour éviter son application que de démontrer qu’ils ne se situent pas dans son champ d’application, ce qui conduira les juges du fond à assumer une lourde responsabilité au moment de qualifier l’existence juridique d’un contrôle (notamment lorsque l’administration fiscale invoque l’existence d’un contrôle conjoint, souvent de manière particulièrement extensive et contestable). Il faut souhaiter à ce titre qu’ils se montreront exigeants dans la caractérisation par l’Administration dudit contrôle et, partant, du rachat à soi-même. A défaut, un texte présenté par monsieur le ministre Charasse lui-même comme devant s’attaquer aux «montages purement artificiels» pourrait trouver une application générale.

1. Décision n° 2018-701 QPC du 20 avril 2018.

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