La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Juin 2013

Du bon usage (dès 2013) du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi

Publié le 17 décembre 2013 à 16h16    Mis à jour le 12 mars 2014 à 10h01

Laurent Hepp, Pierre Bonneau, Grégory Benteux et Jean-Charles Benois

Le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi adopté à la fin de l’année 2012 par le Parlement constitue la pierre angulaire de la politique de compétitivité française, décidée à la suite du rapport Gallois. De fait, il ouvre aux entreprises la possibilité de reconstituer leurs marges et leur trésorerie afin de pouvoir investir et regagner des parts de marché. Cette opportunité reste cependant sous réserve de maîtriser les subtilités fiscales, sociales et financières de ce nouvel instrument.

Par Laurent Hepp, avocat associé, spécialisé en fiscalité, Pierre Bonneau, avocat associé, spécialiste en droit social, Grégory Benteux, avocat associé, droit bancaire et financier et et Jean-Charles Benois, avocat, spécialisé en fiscalité.

Dans le cadre du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi (le «Pacte»), le législateur a adopté1 dans la troisième loi de finances rectificative pour 2012 la création d’un crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (le «CICE» : prononcez 6 !).

Principales caractéristiques du CICE

Le CICE est un crédit d’impôt destiné à permettre aux sociétés imposées d’après leur bénéfice réel de réduire indirectement leurs coûts de personnel. Tant les sociétés translucides que celles imposées à l’impôt sur les sociétés (l’«IS») y sont éligibles, y compris lorsqu’elles bénéficient d’une exonération temporaire d’IS.

Le CICE est calculé sur le montant des rémunérations2 régulièrement déduites du résultat imposable et déclarées aux organismes de sécurité sociale, qui n’excède pas 2,5 fois le SMIC, augmenté le cas échéant des heures complémentaires et supplémentaires (hors majorations). Celles dépassant ce montant subissent en revanche un «effet de seuil» particulièrement fâcheux puisqu’elles sont exclues en totalité de l’assiette de calcul du CICE, y compris pour leur partie inférieure au plafond. Le fait que l’employeur bénéficie de dispositifs favorables (par exemple, exonérations dites «Fillon») à raison des rémunérations éligibles au CICE ne disqualifie pas celles-ci. Les rémunérations prises en compte sont celles versées au cours d’une année civile, indépendamment des dates de clôture d’exercice de l’employeur.

Egal à 4 % de cette base pour les rémunérations versées en 2013, puis à 6 % pour celles versées à partir de 2014, le CICE n’est pas plafonné, et constitue donc un instrument puissant de réduction de la charge fiscale des entreprises, et – indirectement – d’une partie de leur charge salariale.

Les modalités de comptabilisation du CICE ont été précisées récemment3, dans un sens a priori favorable aux entreprises. Ainsi, le CICE est en principe à comptabiliser en réduction des charges de personnel, même si la CNCC laisse une marge de manœuvre plus importante aux entreprises. En tout état de cause, ce traitement comptable est en principe fiscalement favorable, puisqu’il évite que le CICE ne soit pris en compte dans l’assiette de calcul de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et pour les besoins du calcul du plafonnement de la contribution économique territoriale (CET).

En termes de trésorerie, le CICE est imputable sur l’impôt dû au titre de l’exercice au cours duquel les rémunérations constitutives du crédit d’impôt ont été accordées, ainsi que des trois exercices suivants. L’imputation est réalisée au moment du paiement du solde de l’impôt, après imputation des éventuels autres crédits d’impôt dont bénéficie, le cas échéant, le contribuable.

En régime de droit commun, si le contribuable n’a pu imputer la totalité de son CICE sur l’impôt dû au titre des trois exercices ultérieurs, il peut en obtenir le remboursement auprès du Trésor public. Toutefois, s’agissant des start-ups («jeunes entreprises innovantes» et certaines entreprises dites «nouvelles»), de certaines entreprises du segment small/mid cap (les «PME» telles que définies par la réglementation communautaire) et de certaines entreprises en difficulté, ce remboursement peut même être anticipé et intervenir de plein droit dès la liquidation de l’impôt dû au titre de l’exercice de versement des rémunérations, donc en pratique dès 2014.

A noter que les sociétés ayant un exercice social ne coïncidant pas avec l’année civile ne peuvent imputer le CICE que sur l’impôt dû au titre de l’exercice clos l’année qui suit celle pendant laquelle les rémunérations ont été versées (ainsi évidemment que sur l’impôt dû au titre des trois années suivantes). Par conséquent, plus tard une société clôt son exercice social, sans pour autant le caler sur l’année civile, plus tard sa trésorerie bénéficiera des effets du CICE.

Cependant, afin de supprimer le décalage d’un an entre le versement des rémunérations éligibles au CICE et l’effet cash du crédit d’impôt correspondant, la loi dispose que la créance de CICE peut également être mobilisée auprès d’Oséo ou des banques commerciales, voire préfinancée dès 2013 alors même qu’elle ne serait que future (voir ci-dessous). Cette faculté alternative de mobilisation de la créance de CICE peut s’avérer particulièrement recommandée lorsque le contribuable (ou sa société mère, dans le cas d’un groupe d’intégration fiscale) a des difficultés de trésorerie, ou est par ailleurs endetté, et que la dette porte intérêt à un taux supérieur à celui exigé par les établissements financiers pour mobiliser cette créance.

Contrairement à ce que le Pacte, comme la loi, avaient pu laisser entendre, l’octroi du CICE n’est pas conditionné à l’utilisation finale qu’en fait le contribuable. Ainsi, si la loi précise que le CICE ne saurait venir financer une augmentation des bénéfices distribués ou des rémunérations des dirigeants, l’administration a précisé que ces dispositions ne constituaient que des «éléments de cadrage»(4), et non des conditions posées au bénéfice du CICE. Pour autant, l’utilisation du CICE devra faire l’objet d’une communication aux instances représentatives du personnel (voir ci-dessous), et être détaillée dans les comptes annuels de l’employeur.

Aspects sociaux du CICE

Le CICE soulève deux points de vigilance au plan de la réglementation sociale : le premier a trait à son incidence sur le calcul de la participation et le second concerne la consultation du comité d’entreprise.

Concernant l’impact du CICE dans la formule de calcul de la participation, celui-ci peut s’analyser en des termes identiques que pour les autres crédits d’impôt. A cet égard, le Conseil d’Etat a tout récemment conclu, dans un arrêt Schlumberger(5), à l’annulation d’une doctrine fiscale(6) qui prévoyait la majoration du bénéfice net du crédit d’impôt recherche. Le principe dégagé à cette occasion, qui emporte donc l’absence de majoration de la participation du fait du crédit d’impôt, paraît donc également devoir trouver application pour le CICE. Il conviendra cependant de suivre ce point avec vigilance au vu de la volonté de certains parlementaires de remettre en cause cette jurisprudence, laquelle pourra donner lieu à un débat d’ici la fin de l’année à l’occasion de la réforme annoncée des dispositifs de rémunération collective.

S’agissant à présent de la consultation du comité d’entreprise, le gouvernement a profité de la transposition législative de l’accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi pour investir le comité d’entreprise, ou à défaut les délégués du personnel, d’un rôle consultatif, de contrôle et d’alerte sur l’utilisation de ce crédit d’impôt.

Ainsi, le comité d’entreprise doit désormais être informé et consulté, avant le 1er juillet de chaque année, sur l’utilisation par l’entreprise du CICE(7). Pour renforcer cette information, il est par ailleurs prévu que les sommes reçues par l’entreprise au titre de ce crédit d’impôt et leur utilisation doivent être retracées dans la future base de données économiques et sociales dont la mise en place est également prévue par la loi de sécurisation de l’emploi.

Lorsque le comité d’entreprise constate que tout ou partie du crédit d’impôt n’a pas été utilisé conformément à son objet, il peut demander des explications à l’employeur. Cette demande est alors inscrite de droit à l’ordre du jour de la prochaine réunion du comité(8). Si le comité n’a pu obtenir d’explications suffisantes de l’employeur ou si celles-ci confirment l’utilisation non conforme du CICE, il établit un rapport qui est transmis à l’employeur et au comité de suivi régional du CICE, lequel adresse une synthèse annuelle au comité national de suivi. Au vu de ce rapport, le comité d’entreprise peut décider de saisir de ses conclusions l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance dans les sociétés ou personnes morales qui en sont dotées, ou d’en informer les associés dans les autres formes de sociétés, ou les membres dans les GIE(9).

En l’absence de précision du texte quant à la date d’entrée en vigueur de ces dispositions, il semble pouvoir être considéré que les entreprises devront consulter leur comité d’entreprise avant le 1er juillet 2014 sur l’utilisation du crédit d’impôt dont elles auront bénéficié au titre des rémunérations versées en 2013. Cependant, l’administration ne manquera certainement pas d’apporter des précisions à ce sujet, en particulier pour éclairer la situation des entreprises qui ne clôturent pas leurs exercices avec l’année civile ainsi que de celles qui, faute d’impôt suffisant et en l’absence de monétisation de leur créance de CICE, ne peuvent immédiatement bénéficier de tout ou partie de l’avantage fiscal.

Opportunités financières offertes par le CICE

Afin de permettre aux entreprises de traduire sans délai et en trésorerie les effets du CICE, la loi prévoit la possibilité de céder ou nantir au profit d’un établissement de crédit les créances de CICE détenues sur l’Etat. La cession de ces créances réalise un financement en ce qu’elle permet au cédant de percevoir sans délai le prix de cession d’une créance à terme. Le nantissement de la créance de CICE garantit quant à lui un financement (prêt, ouverture de crédit) octroyé par ailleurs par un établissement de crédit.

La loi distingue deux situations :

– la mobilisation d’une créance correspondant à la quote-part du CICE n’ayant pas pu faire l’objet d’une imputation sur l’impôt dû au titre : de l’année au cours de laquelle les rémunérations prises en compte pour le calcul du CICE sont payées et le cas échéant, des deux années suivantes. Dans ce cas, l’établissement de crédit mobilise une créance dont le montant est connu (le cessionnaire pouvant s’en assurer lors de la mise en place de l’opération) ;

– la mobilisation de la créance de crédit d’impôt avant toute imputation, donc dès 2013. L’établissement de crédit mobilise alors une créance dite «en germe», dont le montant est estimé (notamment si la mobilisation a lieu avant que les rémunérations servant d’assiette de calcul au CICE n’aient été versées).

Dans le cas d’un groupe de sociétés intégrées fiscalement, le titulaire d’une créance de CICE mobilisable est la société-mère intégrante et les rémunérations prises en compte pour le calcul du CICE sont celles versées par les membres du groupe d’intégration durant l’exercice concerné (ce qui implique, en cas de mobilisation d’une créance en germe, d’anticiper l’étendue du périmètre d’intégration durant l’exercice concerné).

La structuration d’une opération de mobilisation de CICE doit notamment tenir compte de deux variables :

– le montant de la créance. En particulier en cas de cession (et non de nantissement) d’une créance «en germe», le montant de cette dernière donne une estimation du montant financé. Le cessionnaire peut s’assurer de la fiabilité de cette estimation, notamment en examinant avec le cédant les conditions de versement des rémunérations concernées et les perspectives d’emploi de l’entreprise. L’incertitude résiduelle peut être couverte par une décote supplémentaire sur la créance, qui pourrait le cas échéant être financée lorsque le montant de la créance de CICE sera connu ;

– la durée du financement. Lorsque le financement est garanti par un nantissement de créance de CICE, la durée de ce financement est assez souple (mais généralement inférieure à la durée de vie résiduelle de cette créance), le remboursement du financement provoquant la caducité du nantissement. En cas de financement par cession de créance, la durée du financement est généralement prédéterminée et se termine lors du paiement complet de la créance de CICE par l’Etat. Il convient de noter que cette durée n’est pas connue au jour près lors de la cession. Ces variations potentielles doivent également être prises en compte dans les conditions financières appliquées à l’opération.

On regrettera que les créances ne puissent être mobilisées qu’auprès d’un établissement de crédit et par le moyen d’un bordereau «dailly» (L. 313-23 et suivants du code monétaire et financier). Une telle restriction limite en effet les possibilités de financement des entreprises et de refinancement des établissements de crédit eux-mêmes.

(1). Articles 199 ter C et 244 quater C du Code général des impôts (le « CGI »).

(2). Telles que définies par l’article L. 242-1 du code de la Sécurité sociale. En particulier, les rémunérations des mandataires sociaux sont exclues, sauf pour la partie versée au titre d’un contrat de travail en cas de cumul par le dirigeant.

(3). Séance du 28 février 2013 du collège de l’Autorité des normes comptables (ANC), et communiqué de la Compagnie nationale des Commissaires aux comptes (CNCC) du 23 mai 2013.

(4). BOFiP, BOI-BIC-RICI-10-150-30-20, n° 220 et s.

(5). CE, 20 mars 2013, n° 347633.

(6). Doc. adm. 4 N 1121 du 30 août 1997, et rescrit n° 2010/23 du 13 avril 2010. Position reprise au BOFiP (notamment s’agissant du CICE) sous la référence BOI-BIC-PTP-10-10-20-10, § 200 et 210.

(7). Article L. 2323-26-1 nouveau du code du travail.

(8). Article L. 2323-26-2 nouveau du code du travail.

(9). Article L. 2323-26-3 nouveau du code du travail.

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