La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Octobre 2019

Earn-out : attention au désalignement des intérêts !

Publié le 1 octobre 2019 à 11h37    Mis à jour le 4 octobre 2019 à 16h53

Christophe Blondeau et David Mantienne

La période de référence de l’earn-out peut se révéler en pratique propice aux conflits entre vendeur et acquéreur. Différentes précautions s’imposent afin de prévenir, dans l’intérêt des deux parties, les difficultés susceptibles de survenir pendant cette phase de transition pour en garantir au mieux la réussite.

Par Christophe Blondeau, avocat associé en corporate/fusions et acquisitions, couvrant l’ensemble des questions relatives aux opérations transactionnelles. christophe.blondeau@cms-fl.com et David Mantienne, avocat counsel en corporate/fusions et acquisitions. Il intervient

principalement en matière d’opérations de fusion-acquisition, de private equity et de restructuration de groupes de sociétés, pour des clients tant français qu’étrangers. david.mantienne@cms-fl.com

Les clauses d’earn-out reposent a priori sur une logique «gagnant-gagnant» : cédant et cessionnaire partagent en effet un intérêt commun à voir les résultats de la cible progresser une fois la cession réalisée, le premier pour maximiser le prix de vente de ses titres en continuant à profiter de la croissance post-cession, et le second afin de sécuriser son investissement et de réussir la phase de transition.

La pratique montre pourtant que cette période est loin d’être un long fleuve tranquille. La principale raison tient à la différence d’horizon des deux parties. Si l’action du cessionnaire s’inscrit dans le temps long, celle du cédant - qui reste en règle générale impliqué dans la gestion de la cible - risque de se limiter à la recherche d’une rentabilité immédiate et, ce faisant, de parasiter la gestion et la stratégie de la société pendant la durée de l’earn-out. Les investissements auxquels le cessionnaire entendra procéder pour assurer un développement à moyen ou long terme de la cible (lancement de nouvelles activités, opérations de croissance externe, dépenses de recherche et développement, etc.) viendront potentiellement ralentir voire annihiler la croissance rapide souhaitée par le cédant. Le recours à l’endettement, dès lors qu’il impactera les critères retenus pour le calcul du complément de prix, pourra également être source de conflit. De son côté, le cédant pourrait être tenté de favoriser des actions génératrices de profits immédiats mais non pérennes, telles par exemple que la réalisation de plus-values latentes en sacrifiant des actifs stratégiques. De même sera-t-il moins enclin à raisonner à l’échelle du groupe acquéreur, restant concentré sur les performances du seul périmètre cédé.

Anticiper les divergences entre cédant et cessionnaire : les précautions à prendre

Le premier outil de prévention des conflits réside dans le choix des paramètres (de préférence normés comptablement) de l’earn-out. La référence faite au résultat courant avant impôt permettra ainsi d’écarter du calcul du complément de prix l’impact du résultat exceptionnel, mais pas des dépenses d’investissement ; celle faite à l’excédent brut d’exploitation neutralisera les amortissements liés aux investissements réalisés ainsi que les provisions d’exploitation dont l’acquéreur pourrait être tenté d’abuser ; le recours au seul chiffre d’affaires exposera pour sa part le cessionnaire au gonflement artificiel de celui-ci par une baisse des prix répercutée sur les marges. Les agrégats retenus pourront en outre être affinés conventionnellement au travers de retraitements comptables ciblés : neutralisation des produits non-récurrents, des dépenses faites dans l’intérêt exclusif d’une partie, des préjudices subis par la cible dont l’acquéreur aura été indemnisé par le jeu d’une garantie de passif, ou encore des coûts d’intégration au groupe acquéreur (inhérents par exemple aux changements de méthodes comptables ou aux surcoûts induits par les managements fees) ; répartition de la marge commerciale relative aux nouveaux contrats conclus ; incidences du recours à la sous-traitance de certaines activités.

Le complément de prix peut aussi reposer sur des critères non financiers, tels que le renouvellement d’un marché, le dépôt d’un brevet ou l’issue d’un contentieux1. Dans ce dernier cas, il conviendra de définir le rôle respectif des parties dans la conduite du litige concerné.

Autre axe de prévention des divergences entre les parties : la définition en amont des principes de gestion de la cible pendant la période de référence, en allant dans la mesure du possible au-delà d’une simple stipulation renvoyant à une gestion «dans le cours normal et habituel des affaires conforme aux pratiques antérieures». Un business plan, reflétant la stratégie arrêtée pour la durée de l’earn-out, pourra être établi. Le rôle conservé par le cédant dans la gestion de la cible devra être défini (son degré d’implication pouvant aller d’un simple rôle de surveillance jusqu’à - ce qui sera fréquemment le cas - une implication profonde dans la gestion), en veillant à éviter l’écueil de la gestion de fait et ses possibles conséquences. Un droit de veto relatif à la réalisation de certaines opérations, et tout particulièrement celles non prévues dans le business plan, permettra d’encadrer l’action des dirigeants. Les méthodes comptables devant être appliquées au calcul du complément de prix devront aussi être précisées.

Le recours à un tiers pour la détermination du complément de prix en cas de désaccord persistant entre les parties est indispensable afin de sécuriser le dénouement de l’opération en permettant de parfaire la vente juridiquement2. Ce tiers - dont l’intervention pourra être éventuellement précédée d’une procédure de conciliation - devra rester tenu d’appliquer dans l’exercice de sa mission les règles de calcul du complément de prix conventionnellement arrêtées par les parties.

La régulation de l’earn-out sera également assurée par le droit commun des sociétés, l’action des dirigeants - qu’il s’agisse du cédant ou du cessionnaire - devant toujours rester guidée par l’intérêt social de la cible. Elle pourra l’être aussi le cas échéant par le juge, qui a déjà été amené à reconnaître que le cessionnaire qui souscrit une clause d’earn-out prend nécessairement vis-à-vis du cédant l’engagement implicite de conserver un périmètre d’activités sensiblement constant jusqu’au terme fixé par la clause3. De même a-t-il été jugé que lorsque des décisions stratégiques du cessionnaire avaient fait perdre au cédant une chance de percevoir un complément de prix, ce dernier devait en obtenir réparation4.

Le sort de l’earn-out en cas de cessation anticipée des fonctions du cédant

Les différends entre les parties pendant la durée de l’earn-out pourront aller jusqu’à entraîner la cessation prématurée de l’accompagnement de la cible par le vendeur, dont les conséquences doivent être appréhendées par la clause. Le cédant risque en effet dans cette situation de ne plus être en mesure de sécuriser le complément de prix qu’il escomptait en restant partie prenante dans la gestion de la cible, le cessionnaire s’exposant pour sa part à la perte de l’homme-clé indispensable au succès de la phase de transition.

La première conséquence de cette cessation sera généralement la déchéance du terme de l’earn-out. Le sort réservé au créancier du complément de prix dépendra alors le plus souvent du point de savoir si son départ lui est ou non imputable. Dans le premier cas (bad leaver) - qui recouvre les hypothèses de la démission (sauf si celle-ci est motivée par une maladie grave ou une invalidité), du licenciement pour faute grave ou lourde ou de la révocation du mandat social pour un motif assimilable à la faute grave ou lourde du salarié - le cédant sera sanctionné par une privation partielle, voire totale, du complément de prix. Dans le second (good leaver) - qui vise principalement le décès, l’invalidité, et le licenciement ou la révocation sans faute - ses droits seront maintenus.

Une dernière difficulté consistera toutefois à faire en sorte que le complément de prix demeure calculable de manière pertinente sur une période de référence que les circonstances auront écourtée.

1. Pour une illustration de ce dernier cas de figure, voir Com. 14 novembre 2018, n° 16-28.778.

2. Cf. «Détermination par un tiers du prix de cession de droits sociaux : l’art de l’expertise», La Lettre des Fusions-Acquisitions et du Private Equity, 24 juin 2019, p. 8.

3. CA Paris, 15 septembre 2011, n° 07/02102. Sur la question spécifique de la modification du périmètre de l’earn-out, cf. pages 6-7.

4. CA Paris, 17 mars 2009, n° 08/13702.


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